Sparkle Hard, le nouvel album de Stephen Malkmus avec son groupe The Jicks, sort ces jours-ci. Un de plus ? Le meilleur plutôt. L’ancien leader de Pavement, figure culte du rock des années 90, a retrouvé l’énergie et la fluidité de ses grandes années. Entretien avec un héros indispensable, conscient de son statut, mais qui ne se prend jamais trop au sérieux.
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Ton dernier album datait de 2014, qu’as-tu fait depuis ?
J’ai fait un petit break d’un an ou deux, long pour moi. Avant cet album en 2014, j’ai vécu à Berlin avec ma copine qui est artiste. Elle a été exposée à la Biennale de Venise, elle travaille dur, elle fait des céramiques déstructurées. J’ai joué moins, tourné moins, mais eu plus de temps pour réfléchir. C’était bien pour moi, j’écoutais des choses, je me demandais pourquoi je faisais ce métier au fond. Puis on est retournés à Portland il y a trois ans, et j’ai eu un appel d’un acteur, qui m’a proposé de faire la musique d’un show télé. Je n’avais jamais fait ça, alors pourquoi pas. Ça m’a occupé pendant deux ans. J’ai fait des chansons instrumentales. Tout en travaillant là-dessus, j’ai commencé à travailler sur des chansons pour les Jicks et Malkmus. Faire des BO, ça t’oblige à te poser des questions, à te demander : « qu’est-ce qui est juste pour ce projet ? ». Tu peux te dire « bon, c’est juste un album de plus de Malkmus », mais celui-là a été plus réfléchi, sur le son, les textes, le tempo. Voilà comment ça a commencé. Je me suis plus concentré sur cet album. J’ai regardé ce qui passait autour dans la musique. Ce n’est pas calculé, mais je me suis demandé « à quoi bon refaire un album de rock à guitares ? ».
Et tu as trouvé la réponse ?
Hum… C’est un mélange. Je suis un homme d’âge mûr maintenant, on ne peut pas se mentir là-dessus quand on a la cinquantaine. La plupart des gens pensent qu’on monte jusqu’à un certain âge, puis qu’on se dirige vers la mort avec le temps. Peu importe si on travaille, qu’on est actifs et même très bon : c’est inéluctable, on vieillit et on se rapproche de la fin. J’avais ça en tête. Et aussi des responsabilités dans ma vie, j’ai une famille, je dois m’occuper de mes enfants, ça me prend du temps. Faire ce disque, c’était aussi pour moi d’agir pour moi, en dehors de cette vie de famille prenante. Et puis je sens que j’ai encore des choses à dire. Je veux faire un truc très bon, cool, surprenant.
Comment sais-tu que ce que tu enregistres est « cool » ?
Ma première gratification, c’est les réactions des membres du groupe, quand ils sont emballés par une chanson que je leur présente. Sinon, ça tient à l’image générale que je renvoie. Se sentir invisible, c’est blessant. J’espère avoir l’image qui me convient. Aujourd’hui, si tu n’es pas sur les réseaux sociaux, c’est comme si tu n’existais pas. Je ne parle même pas en tant que musicien, mais en tant qu’être. C’est presque existentiel.
As-tu des modèles de musiciens qui vieillissent bien ?
Bien sûr, personne n’arrête vraiment. Les musiciens des années 70-80 qui sont encore là vont probablement faire des concerts cette année. Si tu regardes les icônes alternatives, comme Lou Reed, Leonard Cohen, Iggy Pop, David Bowie, s’ils ont duré longtemps dans notre culture, c’est parce qu’ils étaient liés à une avant-garde. La culture a besoin de ces figures qui restent, contrairement aux groupes qui ont fait un tube et que tout le monde a oublié. Mais ils sont tous en train de mourir, ou déjà morts. Il va y avoir un grand vide dans la culture. Et si j’étais un label, je me dirais qu’il va y avoir des places à prendre. Regarde Nick Cave, il est là, en train d’acquérir ce statut d’ex-punk lettré. Björk pareil, elle est magnifique. Ils sont tous deux très bons, des artistes pré-internet, qui durent et restent très bons. Ça me plairait d’avoir ce statut. De garder la force de certains musiciens de cette époque. Il y a des choses qui durent pour toujours, et il y en a qui dureront dans la musique d’aujourd’hui. Mais il y a aussi beaucoup d’artistes qui sont connus pendant un an, puis qui disparaissent, ça va peut-être encore plus vite que dans les années 80-90.
Tu sens qu’il y a un nouveau revival 90’s aujourd’hui, notamment autour de Pavement ? Superorganism reprend Pavement, et leur chanteuse s’est présentée à un de mes collègues en disant : « Je suis Stephen Malkmus, je suis la reine des 90’s ! »…
Super, il en faudrait plus comme elle ! Je ne sais pas. Kurt Vile, Courtney Barnett, je les aime et ils pourraient venir des 90’s. Peut-être qu’il y a aujourd’hui une demande pour un retour des guitares un peu sales, une musique plus ancrée. Avec les pro-tools, c’est très facile de faire de la musique chez soi, mais tout commence à sonner pareil. Je sens qu’il y a l’envie d’une musique moins dupliquée, moins homogénéisée. Une musique où en entend que des musiciens ont joué, et que la voix a été enregistrée en une prise.
C’est peut-être une réaction au hip-hop, qui est devenu la musique mainstream ?
Le hip-hop est fascinant, c’est la musique la plus populaire dans les chiffres, mais on ne sait pas qui s’enrichit vraiment, qui profite de ce succès. Il y a tellement de rappeurs en ce moment. C’est une compétition, ça doit être très compliqué de mettre son pied dans la porte et de percer. Il y a les cendrillons comme Migos ou Travis Scott, que j’aime. J’aime les trucs populaires, pas le rap indé. C’est peut-être comme une bulle spéculative, le hip-hop en ce moment.
Tu utilises l’autotune sur deux chansons de ton nouvel album, c’est surprenant.
J’ai acheté un programme qui permet de le faire. Je fais d’autres trucs en musique, qui ne sont pas sur cet album, et j’avais besoin de cet effet. La chanson Rattler avait un côté sci-fi sombre, ça m’amusait d’en mettre là. Tout le monde aime ça maintenant, il suffit d’en mettre et ça plaît. Mais pour moi, ça posait question quand même. C’est comme si je me regardais dans un miroir avec un jean de mec de 18 ans. Là, tu demandes à ta copine, « c’est bon, tu crois que je peux sortir comme ça ? ». Est-ce que c’est cool ou débile ? Je ne sais pas vraiment. Souvent je compose des trucs que je trouve géniaux juste parce que ça vient de moi, mais en fait j’ai besoin d’avis extérieurs pour savoir si c’est vraiment bon. Par ego et autohypnose, tu te convaincs toi-même que ce que tu fais est vraiment bon, mais quand le disque sort, des gens te demandent pourquoi tu as fait ci ou ça… C’est mieux de demander avant… Je pense que c’est le problème de David Byrne sur son dernier album. Moi je demande à pas mal de gens, même du label. On ne cherche pas un tube, on sait que ça ne va pas arriver, mais au moins on veut s’assurer que c’est cool. On y met de l’argent et du temps quand même.
C’est quoi pour toi, « cool » pour cet album ?
C’est un disque bien produit, qui pourrait coller avec un style de vie. Comme le public de Radiohead, qui s’adresse aux programmeurs informatiques et fait partie de la jet-set. Le disque sonne bien. Mon rêve, c’est juste que tout le monde l’aime. Que les Daft Punk ou Frank Ocean souhaitent travailler avec moi. Et qu’il plaise à Parquet Courts. Que n’importe qui un peu tendance l’aime, en fait. Y compris les kids, mais ça n’arrivera pas.
S’il sonne mieux, c’est une question de production ?
Les décisions de production… Je me suis demandé si je ne devais pas travailler avec un producteur célèbre pour faire ce disque. J’ai envoyé des démos, presque terminées. Les producteurs me disaient, « je ne vois pas trop ce que je pourrais ajouter ». On est allés à Portland dans petit studio tout neuf, avec un très bon équipement. Chris Funk, le producteur, a apporté les cordes sur deux chansons, il a eu l’idée d’un duo pour la chanson country. Moi j’y pensais aussi, mais j’avais trop la flemme de chercher, je trouvais que ça allait en la chantant seul.
Penses-tu que tu aurais pu être guitariste de jazz ? Il y a souvent eu des influences jazz dans tes chansons, avec Pavement ou sur cet album…
J’aime le jazz bien sûr. J’aime jouer des demi-tons. Il y a un groupe à New York qui fait des reprises de chansons de Pavement en jazz. Ce sont des pointures. Sur la deuxième chanson de l’album, je joue des trucs jazz, mais un peu à la Steely Dan aussi, ou jazz-rock.
Joues-tu autre chose que ce que tu sors sur disque ?
Oui, j’ai un projet entièrement électronique, que je vais sortir. Et puis de la musique inspirée par mon séjour à Berlin. Et des chansons acoustiques, plus folk, sans instruments électriques, avec une contrebasse. Ce n’est pas jazz, mais plutôt dans le style d’Astral Weeks de Van Morrison. Voilà. Et puis je joue sur les projets d’autres personnes quand on me le demande.
Comment te sens-tu à Portland ? C’est toujours la capitale mondiale du rock indé des années 90 ?
C’est une ville qui change, qui grandit, qui se rajeunit, avec des gens qui cherchent un certain style de vie… La première fois que j’y suis allé, c’était Twin Peaks, du café noir, la nature et un peu de grunge. Et beaucoup de pluie. Maintenant, c’est très écolo, bio, pistes cyclables, valeurs progressistes. C’est ok à Portland. A Paris, l’embourgeoisement vous l’avez connu. J’aime qu’il y ait du sang neuf, des gens qui veulent changer la ville, plutôt que vieux hostiles aux nouveaux arrivants, c’était mieux avant, gnagnagna.
La chanson Bike Lanes parle de cet embourgeoisement…
Il y a une dualité. C’est comme une chanson de Weird Al Yankovic, First World Problems, que mes enfants adorent. Ce monde qui s’inquiète des pistes cyclables et de ses problèmes à lui. Je ne me place pas au-dessus, je ne dis pas que je ne suis pas comme eux, d’ailleurs je fais du vélo. Mais j’ai remarqué qu’on dépensait beaucoup d’énergie sur des projets tellement secondaires, qui concernent uniquement une bulle suburbaine. C’est assez chiant de parler de Trump, mais au moment de son élection, tout le monde flippait et disait que c’était la fin du monde. Les gens disaient sur Facebook qu’ils allaient passer quatre ans près de leur cheminée à lire des livres, ou faire des gâteaux. Je ne crois que ça soit la bonne chose à faire. Voilà ce qui a inspiré cette chanson.
Quand tu as commencé la musique, comment imaginais-tu ta vie à 50 ans ?
Je viens d’une famille de la périphérie urbaine, où il n’y avait pas de terreau artistique. A 11-12 ans, je me projetais plutôt dans un boulot bourgeois inintéressant. Je jouais dans des groupes punk. Mes première chansons étaient très punk et sarcastiques. Mais je ne croyais pas réussir quoi que ce soit avec la musique. A Londres, j’aurais pu rencontrer quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un et percer. Mais pas en venant d’où je viens. Je faisais ça pour moi, pour m’amuser. Je me sens chanceux. J’ai eu du succès, alors que personne ne peut savoir ce qui va marcher en musique. Il y a tellement de chance et de hasard dans une vie, les gens que tu vas rencontrer, si tu vas avoir une famille ou pas. En musique c’est pareil. C’est assez malin ce que fait quelqu’un comme Rick Rubin : juste rester là sans prononcer un mot. Les gens projettent ce qu’ils pensent sur lui, et se trouvent géniaux. Personne ne sait rien, lui non plus. Moi je parle trop, je ne devrais pas. Je devrais rester là et laisser les gens projeter ce qu’ils veulent sur moi, ce serait le truc à faire.
Qu’est-ce qui a été le plus gratifiant dans ta carrière ?
Partager tout ça avec un groupe, les voyages et les concerts. Et puis avoir une reconnaissance de mes pairs. Les Jicks vivent tous à Portland, ils font partie de ma bande. J’ai beaucoup d’amis, mais peu sont des vrais proches. J’ai l’impression que les femmes ont des relations plus personnelles avec leurs amis. Avec mes amis, ce n’est pas si intense, mais c’est cool. C’est un peu comme ça avec mon groupe, et avec tout le monde.
Est-ce que Pavement te manque ?
Voyager avec ces gars, avoir des loges plus grandes, plus de succès, tout ça me manque bien sûr. Ce sont beaucoup les fans de Pavement qui me suivent, donc ça va.
Une reformation de Pavement ?
Non, pas prochainement en tout cas. J’ai trop à faire avec ce disque. Ce disque va être tellement énorme que je n’aurais pas de temps à consacrer à autre chose. Ok je blague.
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