Le photographe Stéphane Couturier s’immisce dans l’espace organique de la ville : il en saisit des fragments qui contrarient notre rapport aux apparences.
Bâtiments en chantier, quartiers en réaménagement, trous béants et murs éventrés, c’est quand elle est malade et que l’homme intervient pour la disséquer que la ville révèle son histoire, ses fonctions et finalement son âme. Lorsqu’elle est découpée en tranches verticales, la ville stratifiée dévoile une accumulation de couches sédimentaires. Renforcés par des attelles d’acier, on s’aperçoit que nos bâtiments familiers ne sont que des façades, des décors vaniteux qui cachent ce dont ils sont constitués. Les grands formats photographiques de Stéphane Couturier donnent à voir une représentation éminemment picturale de ces sites urbains en mutation. L’artiste crée des compositions à partir des multiples éléments qui forment ces espaces perturbés. Il intervient dans cet entre-deux temporel du chantier, alors que les organes internes se révèlent, que l’ossature apparaît, que les liftings successifs sont tellement affaissés qu’il s’agit pour l’homme de les rafistoler, de bricoler dans l’instable. Parce qu’elle évolue par à-coups, la ville est une accumulation d’histoires successives. Les événements sociaux, culturels comme politiques ainsi que les outrages du temps nécessitent des interventions spectaculaires autant que des soins méticuleux.
Une série de formats surdimensionnés découpent des parcelles d’entrailles du Grand Palais en chantier. Ces images confrontent des effets formels déroutants. L’une d’entre elles met en scène les volutes ornementales des coursives qui contrastent avec des poutres d’échafaudage en métal rouillé encadrant rigoureusement le plan. Le centre optique déplacé vient contrarier toute recherche de repère spatial. Ici comme ailleurs, l’extrême complexité de l’agencement des formes géométriques empêche une lecture cohérente de l’image. S’il est possible d’entrer au plus près du détail tant la définition est précise, l’image saisie frontalement échappe à toute compréhension globale. La juxtaposition et les entrecroisements de ces formes sont perturbés par une dé-hiérarchisation des plans due à une perte de profondeur de champ qui annule tout effet de perspective. Il est ainsi difficile de déterminer les limites, l’avant de l’arrière, ce qui pousse la vision, pourtant rassurée par le réalisme de l’image Cibachrome, à s’égarer dans les paradoxes, les contradictions des agencements de formes. Se plongeant dans l’infra-organique, le cadrage serré qu’il applique aux bases des colonnes du Grand Palais leur confère un statut anthropomorphique. Attiré par une multitude de détails saisis au plus près de leur réalité, le regard entre dans l’intimité de l’existence de ces matériaux : les plis formés par les couches de peinture accumulées, l’acier gondolé par la pression de la masse porteuse, les multiples interventions des hommes qui ont découpé l’acier pour en prélever des échantillons, gratté la matière, inscrit des repères chromatiques, toute sortes de codes graphiques et numériques. Systèmes de signes énigmatiques, que l’on retrouve dans une série des chantiers berlinois cette fois-ci traitée à travers une approche macro-organique. L’image met en scène un paysage urbain qui pullule de panneaux signalétiques dont les injonctions silencieuses sont censées maîtriser le fluide : la circulation des hommes manifestement absents des lieux. Un silence inquiétant résonne dans ces espaces intermédiaires.
Sébastien Pluot
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