Deux ans après le confinement, le chanteur suisse publie un EP digital en écho à nos vies masquées, “Autour de ton cou”, dont la pochette est signée Sophie Calle.
Trois ans après Homeless Songs, le chanteur et musicien helvète revient avec une trilogie de EP dont le premier, déjà paru, est inspiré par les deux années écoulées sous le signe de la pandémie, avec des paroles toujours signées Philippe Djian (Sans contact, Autour de ton cou, Je te mentirais disant).
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De passage à Paris lundi 14 mars, le jour même où les masques étaient enfin retirés de nos vies quotidiennes, Stephan Eicher évoque l’avenir plutôt que le passé, son théâtre mobile Le Radeau des inutiles, Sophie Calle, le metaverse, les quatre saisons, l’expérimentation et son accent reconnaissable entre tous, qui ne l’a pas empêché de faire carrière dans l’Hexagone.
Comment as-tu vécu ces deux dernières années, depuis le confinement historique de mars 2020 ?
Stephan Eicher – Mal et inspiré. Au début de la pandémie, j’étais tellement flippé qu’en revenant des courses, il m’arrivait de laver les semelles de mes chaussures. Pendant cette période, j’ai exploré Spotify comme jamais – même U2 n’avait plus aucune nouveauté à me proposer. (Sourire.) Vivant alors dans ma maison en Camargue, j’ai trouvé la version française du confinement un peu rude. Sans parler de toutes ces attestations qu’il fallait remplir avant de sortir. Pendant ces deux mois, je ne pouvais plus rendre visite en Suisse à mes parents assez âgés. Avant qu’ils ne meurent à six semaines d’intervalle, mon père à cause du coronavirus.
Et la musique ?
Contrairement à la peinture ou à la sculpture, la musique est un art informel, qui est basé sur la mélodie, le rythme, l’harmonie, la voix. Et c’est la balance, l’équilibre surprenant entre tous ces éléments qui constitue une œuvre d’art de trois, quatre minutes. Comme un athlète de haut niveau, il ne faut pas perdre la main. Or, du jour au lendemain, nous étions totalement à l’arrêt, dans l’impossibilité de monter sur scène. Au printemps 2021, j’ai commencé à chanter en extérieur devant des auditoires restreints, en construisant un théâtre mobile baptisé Le Radeau des inutiles – l’image du radeau était symbolique pour notre milieu artistique. Avec mon groupe de musiciens et mon équipe technique, nous sommes devenus des tueurs. Je n’ai jamais eu un groupe pareil.
Quel fut le premier morceau composé du EP Autour de ton cou, paru en digital vendredi dernier ?
Sans contact pour lequel j’avais demandé à Philippe Djian d’écrire l’hymne du Radeau des inutiles. L’expression Sans contact résume bien notre vie quotidienne depuis deux ans. L’autre jour, dans le TGV, en commandant mon café, le vendeur m’a dit “Sans contact”, comme s’il connaissait déjà mon nouveau single. (Sourire.) L’avantage de sortir un EP digital, c’est que nous avons pu, avec mon pianiste, enregistrer au tout dernier moment une deuxième version de Sans contact. Cette flexibilité m’intéresse, surtout après deux années blanches forcées. Économiquement parlant, c’est un désastre annoncé, mais c’est le triomphe artistique qui m’anime.
Le titre de la chanson Autour de ton cou est aussi révélateur de nos vies masquées.
Bien sûr, il résonne avec l’actualité, mais pas seulement avec le Covid, aussi avec la guerre en Ukraine. Nous sommes comme étranglés et peut-être aussi un peu responsables, surtout nos dirigeants. Dans les textes de Philippe Djian, je me demande parfois où il veut m’amener : “C’est pas moi qui serre autour de ton cou/C’est dans l’atmosphère/C’est bien fait pour nous.”
L’absence de support physique, surtout avec une pochette signée de Sophie Calle, ne te frustre pas ?
Finalement, non. Quand j’ai reçu la pochette de Sophie, je la voyais déjà imprimée en vinyle ! On verra à la fin comment seront publiées ces chansons. Avec la pandémie, la saisonnalité est devenue encore plus importante qu’une vie dans le metaverse. C’est pourquoi j’ai décidé de publier ces trois EP au printemps, en été et à l’automne. En Camargue, pendant les confinements successifs, j’ai eu la chance de vivre dans le jardin et de mesurer davantage encore l’importance des saisons. J’ai vraiment envie de jouer avec la forme musicale.
En hiver, ce sera la saison de l’album ?
Je suis heureux d’ajouter des chansons au fur et à mesure. Et d’avoir un label, Polydor, que j’ai persuadé d’avoir confiance dans mes choix. Je ne demande même pas d’avance ! Une maison de disques pour un artiste, c’est un peu comme une banque. On touche une avance ou un crédit que l’on doit rembourser avec les ventes d’albums. Mais c’est le moment d’expérimenter, autant artistiquement qu’économiquement.
Avec Sophie Calle, cela fait des années que vous vous connaissez ?
Depuis… 1992. Trente ans, déjà. Lors de notre première rencontre, j’étais comme une groupie devant son travail. Ce soir, je vais d’ailleurs au vernissage de sa nouvelle exposition, Les Fantômes d’Orsay. Je n’avais jamais pensé qu’un jour elle réaliserait l’une de mes pochettes. Alors que je lui parlais des morceaux d’Autour de ton cou, Sophie m’a dit par téléphone qu’elle était devant une œuvre avec des mains. Aussitôt j’ai pensé à la pochette du EP, et je lui ai demandé qui était l’auteur de cette œuvre. Elle m’a répondu simplement : “Ce sont les mains ouvertes de mon père que j’avais prises en photo.”
Tu disais avoir profité des périodes de confinement pour explorer Spotify. Quelles (re)découvertes as-tu faites à cette occasion ?
Ce qui m’a fasciné, c’est l’hyperpop, une musique qui représente bien l’époque TikTok. J’adore la regrettée Sophie ou encore Oklou, dont le talent me hante. Pendant un temps, je ne pouvais plus écouter de guitare acoustique et de voyelles dans les refrains, même si ça fait partie de ma culture musicale. J’ai aussi étudié avec attention l’œuvre de Frank Zappa, car on en parle souvent avec mon mon big band Traktorkestar. Si je suis moins familier avec la grammaire du rap, je sais que Vald et OrelSan me plaisent. Et si Kanye West est un personnage public fatigant, sa liberté artistique m’impressionne encore.
Quarante ans après Grauzone et ton premier album solo, Les Chansons bleues, quel regard portes-tu sur ta carrière ?
Je n’ai jamais aimé me retourner sur mon passé, mais avec la proposition d’un label suisse que j’affectionne, We Release Whatever The Fuck We Want Records, de rééditer l’album de Grauzone pour le quarantième anniversaire, j’ai commencé à être sensibilisé aux dates symboliques de ma discographie. Puis il y a eu la réédition d’Engelberg l’an passé. C’est quand même fou d’avoir fait carrière en France avec un accent comme le mien !
Autour de ton cou (Polydor/Universal). EP sorti depuis le 11 mars. Concerts le 19 mars à Strasbourg (Palais de la Musique et des Congrès), le 20 à Metz (Arsenal), le 29 à Poitiers (Futuroscope), le 30 à Nantes (Cité Internationale des Congrès), le 31 à Saint-Brieuc (Salle de l’Hermione).
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