John Hammond, le directeur artistique et dénicheur de nouveaux talents de Columbia, se remet d’une attaque cardiaque subie juste après avoir assisté à un concert de Bruce Springsteen au Max’s Kansas City à New York. (…) D’après son médecin, la cause est à chercher dans l’enthousiasme qu’a déchaîné chez lui le concert de Springsteen. Hammond vient de signer Springsteen sur son label Columbia.
(Première brève mentionnant Springsteen à être parue dans Rolling Stone, 15 mars 1973.)
Critique de Greetings from Asbury Park, par Lester Bangs
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Le cher Bruce insiste pour nous faire savoir qu’il vient de la partie la plus pourrie, inutile et inintéressante du Jersey. Il a été très influencé par le Band, de temps à autre ses arrangements rappellent Van Morrison, et il crachote ses chansonnettes dans une diction-bouillie un peu à la manière d’un Robbie Robertson sous Quaaludes avec un Dylan qui lui dégueulerait dans le cou. C’est une combinaison courageuse, mais ce n’est que le début. Parce que ce qui rend Bruce totalement unique et cosmiquement au-delà des bornes, ce sont ses mots. Bordel de Dieu en slip, quel verbiage ! Il a fourré plus de phrases dans son album qu’il n’y en a dans n’importe quel autre disque sorti cette année, mais ça passe bien parce qu’elles ont toutes leur petite place, c’est pas comme Harry Chapin qui nous sort de foireux plans poétiques du fond de son larynx. En plus, chaque mot en a au moins un autre avec qui rimer. Certains d’entre eux peuvent avoir une signification sociale ou quoi, mais y’en a un paquet qui n’ont même pas cette prétention, se délectant de la joie d’un talent totalement crasseux et poseur qui court en roue libre, parfaitement hors de contrôle. (…) On pourrait prendre ça pour une tare, mais en fait, c’est revigorant comme l’enfer parce qu’il est très clair que Bruce Springsteen n’en a rien à battre. Il vous lance ses perches à l’aveuglette et vous pouvez en attraper autant que vous voulez, ou les laisser s’écraser contre le mur, c’est leur place de toute façon. Bruce Springsteen est un talent rare qui a plus qu’une poignée de choses à dire, et un coup d’oeil à sa photo au verso suffit pour voir qu’il a la niaque suffisante pour balader ses guêtres dans ce monde de toc et de paillettes.
(Extrait de Rolling Stone du 5 juillet 1973.)
Critique de Born to run, par Greil Marcus
En tant que résident féru de la Côte Ouest, la fureur que les performances live de Bruce Springsteen ont fait naître à l’est ces deux dernières années m’ont laissé, comment dire, dépossédé culturellement, et même, un peu suspicieux. (…)
La question de savoir si Springsteen allait un jour marquer de son empreinte l’histoire du rock’n’roll ou même garder une chance de le faire résidait dans ce troisième album, très attendu. (…) La réponse de Springsteen est Born to run. C’est un magnifique album qui remporte la mise de tous les paris jamais placés sur lui une Chevrolet de 1957 qui carbure aux disques des Crystals fondus à chaud et aplatit tous les doutes. Et il devrait lui ouvrir l’avenir en grand.
Rien que les titres des morceaux Thunder Road, Night, Backstreets, Born to run, Jungleland suggèrent l’extraordinaire autorité dramatique qui est au coeur de la nouvelle musique de Springsteen. C’est le côté narratif qui compte ; les histoires que Springsteen raconte n’ont rien de neuf, mais personne ne les a jamais aussi bien racontées, ni avec autant d’intensité. Leur romantisme familier est pour moitié dans leur puissance : la promesse et le danger de la nuit ; l’attraction de la route ; la recherche d’une chance digne d’être saisie et la soif d’en payer le prix ; des filles entraperçues un jour à 100 kilomètres/heure et jamais oubliées ; les rues des villes comme l’ultime et permanente frontière américaine. On connaît la musique : les mille et une nuits américaines une longue nuit de peur et d’amour.
Ce qu’il y a de nouveau, c’est la majesté que Springsteen et son groupe ont apportée à cette histoire. La manière de chanter de Springsteen, ses paroles et la musique du groupe ont transmuté en épopée les rêves et les échecs que deux générations ont semés sur le bord de la route épopée qui a commencé au moment où, dans La Fureur de vivre, la voiture se plante dans le fossé. On sent que tout ce que ça a jamais voulu dire, tout ce que ça signifie, est sur cet album, enfanté avec une force et une volonté qu’on croyait éteintes depuis des années. On sent que la musique que Springsteen en a tirée a largement débordé le cadre de cette histoire ; que cette musique, dans toute sa fureur, est l’exigence de quelque chose de nouveau. (Extrait de Rolling Stone du 9 octobre 1975.)
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