En octobre 2003, Lhasa nous avait ouvert les portes de sa maison montréalaise alors que sortait son deuxième album, The Living road (photo Christophe Beauregard).
C’était au mois d’octobre 2003. Lhasa, qui venait de sortir son deuxième album, The Living Road, nous avait invités chez elle à Montréal pour une longue interview et une session photo avec Christophe Beauregard. Les feuilles rouges et orangées de l’automne étaient encore accrochées aux arbres. Il faisait un froid de canard, et les premiers embryons de neige commençaient à tomber sur la ville. Lhasa était venu nous ouvrir la porte et nous avait accueillis avec beaucoup de gentillesse, dans un appartement tout simple.
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Elle nous avait fait du thé en sifflant un petit air qui ressemblait à du Charles Aznavour : elle nous avait dit que tout ce qu’elle sifflait ressemblait à du Charles Aznavour, de toute façon. Il y avait un petit piano droit, appuyé contre les murs blancs du salon, et des photos de membres de sa famille, parfois très anciennes, accrochées à ces mêmes murs. Il y avait des plantes partout et un chat qui passait discrètement sur le parquet. Lhasa était venue se réfugier à Montréal après trois années « un peu compliquées » passées à Marseille. Elle était déjà venue trouver le calme à Montréal au début des années 90, après avoir passé une bonne partie de son adolescence dans une sorte de bus familial sillonnant les Etats-Unis et le Mexique (son père était mexicain, sa mère américaine).
A Montréal, elle était venue une première fois rejoindre ses sœurs, et s’était inscrite à une école de cirque. « L’ambiance qui régnait dans la ville m’a fascinée immédiatement. Je suis tombée amoureuse des Foufounes Electriques, un bar de la ville. J’y ai beaucoup dansé et beaucoup bu. C’était l’anarchie, mais en même temps je me sentais très protégée. Vivre ici est vite devenu pour moi une évidence ». A Montréal, tout le monde se souvient de Lhasa et de sa période « Foufounes » : elle arborait un crâne complètement rasé et donnait des tours de chant en compagnie d’un musicien de la ville, Yves Desrosiers. C’est avec lui qu’elle avait enregistré son premier album, La Llorona, sorti en 1997.
Lhasa nous avait ouvert sa collection de disques : il y avait du Dylan, Anouar Brahem, David Byrne, Amalia Rodrigues, Robert Johnson, des compils de musique éthiopienne ou albanaise. Lhasa avait évoqué en notre compagnie des amours laissés en souffrance, des voyages impossibles, des déracinements insurmontables. Elle nous avait raconté ses origines, les histoires, parfois épiques, d’une famille, la sienne, incroyablement cosmopolite : en deux heures de temps, elle avait exposé en notre compagnie des origines polonaises, jordaniennes et espagnoles.
Au mur, Lhasa nous avait montré une photo sépia accrochée, celle d’un homme qui semblait tout droit sorti des Brigades du tigre. Il avait quitté le Liban à 11 ans, en se cachant sur un bateau parti rejoindre Marseille. Elle nous avait raconté son histoire : « Sa mère élevait seule une dizaine d’enfants. Pour la soulager, parce qu’il l’entendait se plaindre qu’elle avait trop d’enfants, il a décidé de partir. Il s’est retrouvé à Marseille, où il portait les valises des gens qui arrivaient par bateau jusqu’aux hôtels. Puis il est parti aux Etats-Unis. Il n’a jamais revu sa mère. A 90 ans, avant de mourir, il a enregistré une chanson pour elle sur une cassette. Ma mère me l’a fait écouter, c’est bouleversant. Il pleure. Il est incapable de finir cette chanson. C’est au travers d’histoires comme cela qu’on se construit », avait-elle ajouté.
Après l’interview, Lhasa nous avait emmenés prendre des photos dans les rues de Montréal. Elle tenait à y apparaître avec son nouveau vélo. Une fois la session terminée, elle nous avait ramenés chez elle pour un dernier thé, et nous avait sorti d’une boîte une sorte d’œil en plastique qu’elle nous avait offert en disant ceci : « Avec ça, j’aurais toujours un œil sur vous. » Puis Lhasa nous avait raccompagnés, en nous demandant de faire attention à bien nous couvrir, car l’hiver arrivait à grand pas sur Montréal.
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