Entouré d’amis, de planches de surf et de skate-boards, Devendra Banhart participe au réchauffement mondial des sens sur un album classique mais réjouissant. Ecoute intégrale et critique, avant son concert à La Cigale de Paris le 6 décembre.
Dis-moi où tu travailles, je te dirai quel farfelu tu es : son précédent album, Smokey Rolls down Thunder Canyon, avait été enregistré dans une maison planquée dans le Topanga Canyon, petit coin de paradis de la Californie, connu pour avoir hébergé une brochette d’artistes et d’illuminés (Woody Guthrie dans les années 50, Neil Young, Jim Morrison, Gram Parsons ou Joni Mitchell dans les années 60 et 70). L’amour est enfant de bohème, Devendra aussi : victime de bougeotte depuis toujours (il a vécu au Texas, à New York, en Californie, mais aussi au Venezuela et en Europe), le musicien a eu envie, pour son septième album, What Will We Be, de fuir encore davantage le monde, et d’aller là où personne ne pourrait, littéralement, le trouver.
Si la ville en question, royaume des surfeurs situé à environ une heure de route de San Francisco, se nomme Bolinas, une légende raconte qu’elle n’a officiellement pas de nom, ses habitants n’ayant eu de cesse de décrocher les panneaux routiers indiquant sa position afin qu’on leur foute une paix royale.
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“Richard Brautigan, qui est un des mes écrivains préférés, y a vécu et travaillé. C’est comme un leader pour moi, il m’a donc montré la voie. Toutes les tentatives de renommer la ville ont été vaines : les personnes qui y habitent souhaitent que l’endroit reste anonyme, ce qui me plaît. C’est à la fois très bucolique et brumeux. Parfois, le matin, vous ne pouvez pas voir à un mètre de vous à cause du brouillard. C’est près de l’océan, idéal pour mon batteur qui pouvait aller surfer quand il voulait. Moi, je suis plutôt skate-board.” Symboliquement, Bolinas a beau rester un temple du mouvement hippie, la ville est surtout devenue le paradis des bobos.
Le paradoxe résume assez bien la complexité de l’image de Banhart : sacré nouveau maître du genre il y a quelques années, il affiche aujourd’hui un profil moins stéréotypé. Loin des clichés du barde reclus dans ses montagnes, le jeune homme, qui a rasé sa barbe il y a belle lurette, fait du skate-board, boit des mojitos avec ses copains des Strokes, envisage une collaboration avec le Wu-Tang Clan, a flirté avec le fantasme ultime du trentenaire (Natalie Portman) et reste solidement accroché à son iPod au long des entretiens. “Je crois que les gens ont une mauvaise perception de moi. Je suis surtout mal à l’aise vis-à-vis des vrais hippies, des musiciens de folk authentiques, car eux ne mentent pas. Je ne suis pas un hippy. J’essaie souvent de faire comprendre aux gens que je ne me prends pas au sérieux. Je fais l’idiot, je ne suis pas toujours très clair. Il n’y a que la musique que je prends au sérieux.”
[attachment id=298]Le jeune homme (sept albums mais seulement 28 bougies), qui a déménagé sur une major, n’a pas pour autant changé de méthode de travail : on retrouve aujourd’hui autour de Devendra Banhart la même tribu de bons copains qu’à ses débuts, dont le formidable Andy Cabic de Vetiver. L’album est à la fois classique et réussi ; bien qu’il ne contienne pas de grandes chansons, il convainc finalement par cet aspect léger, joueur et insouciant. “Je n’ai pas changé grand-chose dans ma démarche, à part peut-être dans le travail sur ma voix, que j’ai essayé d’utiliser comme un instrument. Certains matins, après le réveil, je m’empêchais de parler, d’émettre le moindre son. Je communiquais alors en écrivant des phrases sur des bouts de papier. Puis on commençait à enregistrer : on capturait alors le premier son de la journée. Ça donnait un timbre grave, pénétrant. Je suis convaincu que le timbre de voix suffit à communiquer, qu’il n’a pas forcément besoin des mots. Bébé, on peut s’exprimer avec une intonation, un cri, alors qu’on est incapable de parler. Je ne vois pas pourquoi ça changerait une fois devenu adulte.”
La voix de Banhart, tantôt douce comme les pulls en laine de brebis qu’on l’imagine porter le soir, tantôt exotique comme les vacances qu’on passerait bien à l’écouter (l’estival Foolin), porte en effet la charpente de l’album. Follement velvetienne sur le groovy Baby, aérienne et légère sur la délicieuse Angelika, ballade qui dresse un pont imaginaire entre les collines de L.A. et l’Ecosse de Bert Jansch, elle est une des joies de l’automne. Belle revanche pour celle qui longtemps fut source de mal-être pour son propriétaire. “Longtemps ma voix a été une ennemie : né au Texas, j’ai appris l’anglais et nous sommes partis vivre au Venezuela. Là-bas, j’étais le gosse bizarre qui venait d’Amérique et qu’on comprenait mal. De retour aux Etats-Unis, j’étais à nouveau marginal, le gamin avec l’accent vénézuélien : les enfants se moquaient de moi. J’ai passé beaucoup de temps à apprivoiser ma voix, pour être accepté, du moins pas remarqué. L’accent ne revient aujourd’hui que quand j’ai bu.” Que Devendra Banhart ne nous en veuille pas : lumineux et groovy, ce What Will We Be nous donne très envie de l’inviter au prochain apéro.
Album : What Will We Be (Warner)
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