Du 1er au 3 juin 2006 se déroulait au forum de Barcelone la sixième édition du festival Primavera Sound. Un bien beau festival, à la programmation aventureuse, où les vieilles gloires côtoyaient de jeunes énervés souvent passionnants. Compte-rendu, en images.
Face à la mer, à l’écart de l’activité touristique, le Forum est une vaste péninsule, que dis-je un cap futuriste et bétonné qui s’avance sur la mer. Voilà deux ans maintenant que le festival Primavera Sound a posé ses calicots dans ce nouveau quartier tout en verre et en tour à l’image un peu froide, mais néanmoins spectaculaire, de notre Tolbiac à nous.
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Pour cette sixième édition, l’affiche était une nouvelle fois très éclectique, avec une volonté réelle de montrer aux festivaliers les expérimentations les plus brutes ? beaucoup d’artistes bruitistes new-yorkais, du No-Neck Blues Band à papi Lou Reed ? comme de déterrer quelques vieilles gloires dont on se gargarisera pendant longtemps d’avoir pu les entendre live (Violent Femmes, Dinosaur Jr ou même Motorhead).
Le jeudi est un petit jour pour se mettre en jambe. Le site immense parait un peu désert, la scène principale n’est pas encore en activité. Le mois de juin étant un peu frais, même ici à Barcelone, il faut sortir la petite laine pour arpenter les allées de ce décor fantomatique. Très rapidement pourtant, nous prenons les premières salves de guitares cramées et vintage de Motörhead. Les t-shirts pour faire dodo à l’effigie des hard-rockeux de notre jeunesse s’arborent sur le vrai gratteux à cheveu gras comme sur la fashionista en jean slim et repetto. Quelques morceaux plus tard pourtant, notre enthousiasme s’émousse, au fond ne serait-ce pas que du « bruit » comme disait notre grand-mère et on prend encore quelques années dans les dents.
Ce n’est pas les barjots de No-Neck Blues Band qui nous feront retrouver l’harmonie. Ces new-yorkais underground, sous couvert de raffinement avant-gardiste, nous refont le coup du bruit avec des sons destroy et chuintant à la limite de l’entendement : une petite japonaise grince des dents et une bande de chevelus masqués l’accompagne en faisant péter leurs instruments. C’est rigolo, mais juste pendant cinq minutes.
Comme Babyshambles d’ailleurs. Passé la curiosité de voir enfin sur scène l’ex-futur-ex débauché de Kate Moss, on se rend compte du peu d’intérêt de l’affaire. Le pauvre Pete Doherty est sérieusement cramé par ces années de consommations illicites. Résultat, un blanc bec aux yeux exorbités qui s’enroule dans son micro, défait comme sa tête, une voix inaudible qui tente quelques poussées en vain. On est triste.
Why ? Tandis que l’on s’interroge sur les effets de la drogue et la déchéance humaine, le collectif lié à cLOUDDEAD nous offre nos premiers émois de la soirée. C’est lunaire, enchanteur et hypnotique. A la fois pop et hip-hop, brute et maniérée, la drôle de musique de Why joue à cache-cache avec les sens pour mieux les envoûter. Au premier rang, une jeune fille tient une plante verte au dessus de sa tête : le printemps commence là, tout de suite.
Sur la plus petite scène dédiée aux talents régionaux, on découvre avec plaisir le post-rock acéré, teinté d’accents free jazz, des catalans de 12twelve. Impressionnant de maîtrise et d’envies d’ailleurs, ces musiciens, dont les beaux albums sont sculptés par l’inénarrable Steve Albini, jouent ici en terrains conquis. On en apprécie d’autant plus l’énergie communicative de leurs compositions alambiquées.
Il commence déjà à se faire tard lorsque les vétérans de Yo La Tengo montent sur scène. A priori tout a fait prêt pour glisser dans les rêveries éclectiques de la bande d’Ira Kaplan, c’est finalement la fatigue générale qui prendra le dessus. Sans concession, ils joueront une set-list plutôt molle, tout juste émaillé par quelques morceaux de bravoure à l’électricité retrouvée (Tom Courtenay). Comparé à leur prestation au festival Pantiero l’année dernière, la déception est au rendez-vous. Dodo.
Le second soir, les choses sérieuses commencent. Arrivés un peu tard, nous ratons les concerts de Castanets, Final Fantasy, Yeah Yeah Yeahs et José Gonzalez. C’est devant la prestation d’Isobel Campbell qu’on ira cueillir les premières notes de la soirée. Petite déception : comme l’affiche le laissait pressentir, Isobel est ici sans son camarade Mark Lanegan qui faisait le contrepoint rocailleux à sa voix fragile sur l’album Ballad of the broken seas. Un illustre inconnu légèrement en retrait se contente de donner la réplique à la miss, sans présence ni charisme. Les ballades mutines défilent ainsi doucement dans nos oreilles, sans créer de véritable complicité. Dommage.
Séchons nos larmes car à quelques centaines de mètres de là, la formation originelle de Dinosaur Jr vient de monter sur scène, soit dans l’ordre Jay Mascis, équipé d’une bonne bedaine et de longs cheveux décolorés, Lou Barlow, égal à lui-même, et l’improbable Murph, batteur chauve aux biceps impressionnants. A quelques mètres de la scène, nos oreilles souffrent un peu, mais quel plaisir d’entendre les geignements de Mascis, ses solos gluants, à la fois sublimes et pathétiques’ Une bonne Madeleine de Proust, comme Primavera sait nous en fournir chaque année.
A peine le temps de se faire réduire les tympans en charpie qu’il nous faut retourner sur nos pas, croiser sur le chemin un concert de Richard Hawley qui semble aussi ennuyeux qu’un dimanche de janvier, pour finalement aller s’encanailler sur les grooves rachitiques de la fratrie féminine d’ESG. Le choc est frontal : une basse réduite à trois notes, une batterie riquiqui et plusieurs voix entre phrasé hip-hop et soul servent de moteur à une tentative forcenée d’hallucination collective. Et ça fonctionne ! Le public en redemande et fait une ovation au groupe.
Les pupilles encore marqués par les déhanchements sexy d’ESG, c’est auprès des Flaming Lips qu’on ira chercher nos prochaines sensations. La musique est plus ici un faire-valoir pour les effets spéciaux et autres surprises que le groupe met un malin plaisir à déchainer sur le public : ballons géants, paillettes, écrans géants. On se croirait à un show d’Iron Maiden, sans Eddy le mort vivant et avec beaucoup de LSD dans la bière. A coté, le concert de Sleater Kinney, devant lequel on passera rapidement, parait bien terne.
Il aura fallu attendre jusqu’à trois heures du matin, horaire propice aux divagations sonores, pour finalement voir LE concert de la soirée, voire du festival (ou même de l’année). Les new-yorkais d’Animal Collective, visiblement ravis d’être en Espagne, donneront une heure durant un exemple parfait de musique contemporaine, à la fois pointue et primitive, tantôt joyeuse et parfois sournoise et désespérée. On ne sait pas trop quel son provient de quel instrument : on voit bien deux guitaristes, un batteur et un type, lampe frontale vissée sur le crâne, en train de triturer des machines inconnus, mais l’ensemble est opaque, mystérieux et totalement envoûtant. A la fin du concert, on fera parti des quelques irréductibles à trépigner devant la scène pour demander un peu de rab .
« Aie, j’ai mal aux cheveux. Quoi ? Tu veux déjà aller au festival ? Mais il n’est que 17 heures ! Pfiouuu ». On se retrouve sur les lieux du crime, une dizaine d’heure après, rien n’a bougé, sauf le soleil qui donnera un petit coté bucolique à la prestation des doux-dingues d’Akron/Family. Visiblement dans le même état physique que nous, le groupe peinera à retrouver la grâce insensé de leur premier album. Tant pis.
Surtout que d’improbables revenants prennent d’assaut la scène principale du Forum, Big Star, featuring Alex Chilton et deux Posies en goguette. C’est au son du splendide Back of your car que l’on arrivera devant la scène. D’autres splendeurs suivront, Thirteen, tout d’abord, qui donne la chair de poule, et également September gurl, repris en chœur par une foule de connaisseurs.
Plus tard, c’est le trio décalé Deerhoof, mené par la japonaise Satomi Matsuzaki, qui fera monter un peu plus l’ambiance. Leur rock déstructuré, ponctué par les petits cris de Satomi, a quelque chose d’éminemment éphémère, ce qui en fait sans doute le charme.
Passons de l’éphémère Deerhoof à l’éternel Lou Reed, enfin éternel’seuls les diamants le sont et les disques aussi quand on en prend soin. Si la voix ne défaille pas encore, le physique en a pris un coup. Papi Reed, en survêt, fait ses exercices d’aquagym sur scène avant de regagner le car de la maison de retraite de Clamart. On est quand même heureux lorsqu’il entame quelques morceaux à mille facettes du Velvet (splendide Jesus) mais pour le reste, il se contente des chansons en demi-teinte, polluées par un guitariste trop bavard et des choristes de fête foraine.
Il est temps d’aller voir le Brian Jonestown Massacre? « les autres, ceux qu’ont pas réussi, mais si, tu sais, dans le documentaire Dig ». Si la loose peut-être émouvante dans le film, à la question Dandy Warhol ou Brian Jonestown Massacre, on répondra Beatles, voire même Oasis. Allez, avouons qu’ils sont sympathiques ces fumeurs de pétards, surtout le Robert Hue qui fait du tambourin, ils auraient pu être très bon dans Wayne s World 2. A la fin du concert, une foule d’alcoolique rejoint le groupe sur scène pour une triste scène de coolitude sous influence. Passons notre chemin.
On n’attendait pas grand-chose des Violent Femmes et pourtant voilà un groupe qui ne s’est pas reposé sur sa plantation de cannabis. Si la fulgurance adolescente a laissé place à une énergie plus conviviale, le public espagnol fait un véritable triomphe à Gordon Gano et ses acolytes, autres glorieux revenants de ce festival, reprenant en chœur les improbables Blister in the sun ou autres Kiss off en pogotant comme un seul homme, bière à la main, pétard au bec.
Stereolab, c’est bien sur disque mais alors sur scène qu’est-ce que c’est chiant. Forcé de constater que cette musique restera cantonnée à la chaîne hi-fi de notre salon, c’est sur les gradins que l’on ira se chercher un peu de confort. On ira jeter un œil sur les écossais de Mogwaï qui ne parviendront pas non plus à nous sortir de notre torpeur avec leurs mélopées lentes et plombées.
C’est à Justice que nous devrons notre salut. Parmi les teufeurs pas encore redescendus, nous grimperons les sommets au cours d’un mix énergique et efficace qui débouchera sur un set des valeurs sûres de l’électro, Ellen Allien, Apparat et Erol Alkan, remonte pente idéal pour finir les bras en l’air et les guiboles en action, jusqu’au petit matin.
Un peu timide, cette édition du Primavera Sound a légèrement souffert d’une programmation alambiquée, qui s’est un peu perdu dans les grandes allées goudronnées entre les jeunes pousses et les baobabs. Avec le Sonar quelques jours après, le nouveau Summercase qui étend ses tentacules de Madrid à Barcelone en plein juillet et l’inévitable mastodonte Benicassim, espérons que ce festival novateur et réellement à part ne se fasse pas manger tout crû. Longue vie tout de même au Primavera Sound et rendez-vous l’année prochaine !
Crédit photo : Cazenave / Dupeux
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