C’est en dehors des chemins couramment balisés par le langage que les poètes sonores ont un jour décidé de faire du bruit à partir de la voix et de la parole, de son énonciation et de son flux. C’est ainsi qu’ils ont exploré les mots sans relâche, en enchevêtrant parfois leurs formes abstraites fragmentées. Dans […]
C’est en dehors des chemins couramment balisés par le langage que les poètes sonores ont un jour décidé de faire du bruit à partir de la voix et de la parole, de son énonciation et de son flux. C’est ainsi qu’ils ont exploré les mots sans relâche, en enchevêtrant parfois leurs formes abstraites fragmentées. Dans les cas les plus extrêmes, leurs timbres ont même été carrément trafiqués grâce aux magnétophones à bande, jusqu’à flirter avec les limites de la sémantique et une perte totale de sens.
Tous ces poètes (entre autres influencés par les futuristes, Dada ou Fluxus) ne travaillent cependant pas de la même façon (ce dont rendent compte des manifestations régulières), au point que, si cela était utile, l’on pourrait presque les classer par familles ? par exemple, certains ne font que détourner des traditions orales primitives, tandis que d’autres explorent les possibilités offertes par la technique. De cette diversité, l’un d’entre eux, Henri Chopin, a rendu compte avec une précision maniaque, au travers d’un ouvrage de référence (La Poésie sonore internationale, éditions Jean-Michel Place) et d’une revue sonore active entre 1964 et 1974 : OU.
Rééditée sous forme d’un luxueux coffret au format d’un 33t, celle-ci, comme l’on peut désormais en prendre conscience, aura été une des publications expérimentales les plus importantes du XXe siècle. De Raoul Haussmann à William S. Burroughs, en passant notamment par Brion Gysin, Bob Cobbing, François Dufrêne ou Gil J. Wolman, sa politique esthétique aura constamment été fidèle au manifeste en forme de lettre ouverte qu’Henri Chopin adressa, selon ses propres termes, aux musiciens aphones’, en 1967.
A écouter aujourd’hui ces audio-poèmes réalisés de part et d’autre de l’Atlantique, il apparaît évident qu’ils n’auraient pas été aussi beaux sans l’apport des technologies d’enregistrement, pourtant le plus souvent encore très primitives à cette époque. Comme si ce qui a été tenté là l’avait été aussi pour et par l’enregistreur. Car c’est avec ce dernier, et pas seulement par la bouche, que les poètes sonores s’adressèrent ici à nos oreilles, comme en témoignent de nombreux sons parasites analogiques merveilleusement intégrés.
Que certains psalmodient tels des chamanes en transe ou que d’autres explorent le grain et la tessiture de la voix à partir de subtils bruitages, cette revue sonore met en évidence, non pas un groupe d’artistes élitistes, mais un mouvement international extrêmement varié, constitué par ceux que Chopin appelle joliment de fabuleux indépendants’. C’est-à-dire des hommes pour qui la poésie est un brasier vivant à partir duquel l’on donne des coups de boutoir jusqu’à ce que le langage courant flanche, afin de le remplacer par un boucan autrement plus jouissif.