Rencontre avec le soulman Adrian Younge veut (ré)apprendre la composition aux producteurs de rap. Non sans une certaine morgue.
A 35 ans, Adrian Younge considère qu’on n’a produit de la vraie soul-music qu’entre 1966 et 1973. Il ne jure que par les magnétophones analogiques et affirme que le rap d’après 1997 ne vaut pas un clou. Un radicalisme qui mérite des tartes, mais son complet vintage à carreaux bleu et ses souliers bien mis rappellent qu’il n’est pas forcément stérile : “J’ai débuté par le rap mais j’étais limité, pose-t-il. Avec le sample, tu ne peux pas moduler, sortir de ta boucle. J’ai tout repris à zéro : je suis revenu aux instruments, puis aux sources de mon rap, la soul.”
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Le voyage débute en 2009 avec la BO du Black Dynamite de Scott Sanders et l’album Something about April, sur lequel Younge revisite les poussières soul en un faux rétro aux accents modernes, avant de tirer les Delfonics de leur coma sur Adrian Younge Presents The Delfonics. Mais, ironie du sort, ce n’est pas la soul qui s’intéresse à Younge : en 2012, c’est RZA qui lui commande un album pour le rappeur Ghostface Killah (du Wu-Tang).
“Je me suis remis au rap en procédant comme si je disais à Herbie Hancock : ‘Je vais sampler ta chanson, mais je ne veux pas m’arrêter à la boucle, j’ai aussi besoin de telle progression pour le refrain’. Je composais en pensant à ce dont un producteur de rap a besoin.”
Dont acte : depuis 2010, Timbaland, Alchemist ou Common piochent régulièrement chez lui. Sur There Is Only Now, qu’il vient de terminer pour le groupe culte Souls Of Mischief, ce sont encore ces breaks, ponts et codas évolutifs qui enrichissent les composantes traditionnelles du rap : “Ça sonne comme du rap à base de samples, mais tout est composé et joué. Les harmonies évoluent, ça ravive une musicalité qui n’existe plus.” Fâché avec le rap depuis que les beatmakers se sont mis à dupliquer des formules sans audace, l’esthète peine d’ailleurs à citer ceux qu’il apprécie :
“J’adore Black Milk ou Madlib, même si c’est parfois juste du Idriss Muhammad ou du Grant Green samplé, revisité. Les beatmakers ne savent même pas ce qu’est une progression harmonique. C’est bien de mettre quatre mesures en boucle, mais nous avons aussi besoin d’accords, de musique.”
A travers son label Linear Labs, les disques qu’il diffuse via son concept-store Artform Studio (disquaire et coiffeur) et ceux qu’il compose pour les autres, c’est une petite OPA soul que fomente Younge. Et ce n’est que le début : la veille de notre rencontre, on le croisait en grande conversation avec Nas dans les coulisses du Zénith, tandis que Kendrick Lamar évoquait une prochaine collaboration avec lui.
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