Dans les bacs depuis mi-juin, l’album-hommage « Souchon dans l’air » offre à l’inimitable « Woody Alain » une ribambelle d’héritiers appliqués.
Souchon dans l’air est un album de famille. Les fils Pierre et Charles « Ours » Souchon en sont les directeurs artistiques, et les artistes venus poser leurs voix sont autant d’enfants spirituels. De Katerine à Benjamin Biolay et d’Oxmo Puccino à Juliette Armanet, chacun de ces gosses lointains incarne une facette de l’artiste : spleen, sensualité, société.
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L’antithèse de « Génération Goldman »
La pochette est belle : bleue et blanche. Comme un clin d’oeil épuré aux deux albums des Beatles, culture sixties tant vénérée par l’auteur de Rockollection. Depuis plus de quatre décennies, sa silhouette fantoche hante la chanson française. Trois ans après la sortie du décrié Alain Souchon & Laurent Voulzy et alors que la dernière souchonnerie en date s’écoute dans le lunaire Ouvert la nuit d’Edouard Baer, Souchon dans l’air revisite les hits majeurs du chevelu – Allô maman bobo, J’ai dix ans, La ballade de Jim, J’suis bidon – sans l’ériger en légende intouchable ni le violenter à coups de remix improbables. Mais en laissant couler cette élégance rétro qui différencie la vieillotte variétoche de la variété-chic.
Ouf : l’album-hommage ne passe pas Souchon à la machine. Et ne le condamne pas à être trituré par les chantres du hit parade. Peaufiné, le casting nous fait ressentir les variations du personnage de dandy loser. Sa facette existentielle s’accorde au romantisme noir d’un Biolay qui nous susurre à l’oreille que La vie ne vaut rien. Sa tonalité fleur-bleue se retrouve dans la bouche d’une Juliette Armanet en pleine Ultramoderne solitude. Entre l’érotisme candide du Baiser de Vanessa Paradis et la gaieté désinvolte de Mathieu Boogaerts (Quand j’serai K.O.) s’insinue le tempo lancinant d’un Oxmo Puccino révolté contre ces désirs qui nous affligent.
Pour Renaud Letang, réalisateur fidèle au chanteur depuis C’est déjà ça (1993), l’hommage coule de source. Au cours de sa vaste carrière – mixant aussi bien Feist que Micky Green et Manu Chao – cet homme de l’ombre a produit la moitié des morceaux originels et travaillé avec cinquante pour cent des artistes de l’album, dont Jean-Louis Aubert et Chilly Gonzales. Plus qu’un complice, Souchon est un langage qu’il connaît par coeur.
« Il fallait retrouver l’esthétisme d’Alain : l’intention,la manière de jouer, le choix des harmonies, le placement de la voix, la texture minimaliste : plus il y a de fioritures, moins les mots claquent. Chez Souchon, l’émotion se calcule parfois à la note de piano près. Ce n’est pas une question de respect, mais de recul : je suis persuadé que si ton album tribute ne convient pas à l’artiste auquel tu rends hommage, tu l’as totalement foiré. Un hommage, ce n’est pas un paella indigeste. J’ai refusé de m’occuper de Génération Goldman pour cette raison. C’est le tribute le plus laid de la Terre et je suis persuadé que Goldman lui-même n’aime pas l’album ! “Ouvrir” l’hommage à n’importe qui pour que ça plaise au maximum de gens, ça ne marche pas, c’est catastrophique ».
L’élégance à la française
Entre besoin de satisfaire le maestro et nécessité de rafraîchir certaines atmosphères, Souchon dans l’air navigue sur des eaux calmes – trop, peut être. Cette volonté d’embellir sans trahir pose les limites d’un exercice de bons élèves – telle cette Juliette Armanet pudique, interprétant sans surprise un morceau qu’elle adule et dont la mélancolie inonde son premier album, ou les inséparables Brigitte se contentant de faire résonner leurs chorus monocordes, loin de rendre justice à l’une des chansons les plus désenchantées de Souchon (Allô maman bobo). Mais si l’hommage prêche des convertis c’est parfois pour mieux nous surprendre. Lorsque retentit cette Ballade de Jim fraîchement electro-pop où s’égare une Izia étonnante de sobriété et de justesse, ou cette indémodable rumba dans l’air transcendée par la fausse insouciance du désinvolte Katerine, trouvant en Souchon son improbable alter-ego.
« Katerine aurait pu chanter tout l’album tant il est souchonien : un adulte inachevé, charmeur, crooner, barjo » nous assure Renaud Letang avant d’ajouter que « Philippe chante toujours Y’a d’la rumba dans l’air » à ses gamins :ce n’est pas simplement une reprise mais un élément de sa vie, c’est ce qui rend cet hommage si spontané, si réel ». Cette soif de réel colore un tribute consciencieux où surnage la verve du Souchon sociétal, l’observateur désabusé qui fredonne la détresse urbaine, la vanité de ses contemporains, la nausée d’une jeunesse désorientée, et cette vie qui « ne vaut rien, rien, rien« . En 1979, l’akoiboniste dissertait sur la « bôf » génération, les cheveux en pétard, évoquant le « dégoût généralisé » qui traverse ses « souchonnades » et ses semblables. Une pensée toujours aussi actuelle. Souchon est dans l’air, puisqu’il est dans l’air du temps.
Un deuxième volume en prévision
Prévu pour octobre prochain et auréolé d’un casting limpide – Vincent Delerm, Alex Beaupain, Gaétan Roussel – un second album-hommage s’appuiera sur le répertoire plus méconnu de l’artiste. L’occasion de réévaluer le jubilatoire J’veux du cuir, ode tendre aux bas résilles, sexy dentelles et talons aiguilles. Une façon de raviver une certaine audace tout en s’adressant aux initiés. Et, pourquoi pas, d’offrir au séducteur angoissé une audience de nostalgiques précoces. Letang avait vingt-deux ans quand il a rencontré « Alain » pour la première fois. A l’époque, il le trouvait un peu frelaté. Mais désormais, il en est persuadé, un album « ultramoderne » comme Souchon dans l’air peut enchanter la génération Y.
« Beaucoup de jeunes artistes marchent sur les pas d’Alain et le revendiquent, on est loin de l’étiquette de chanteur à nanas qui lui a longtemps collé à la peau. Il est devenu le Gainsbourg d’il y a vingt ans, l’emblème de la variété classe : il y a Sanson, puis Souchon. Souchon rend un simple piano-voix moderne. Le minimalisme du Baiser tape dans l’oeil de la nouvelle garde. A le réécouter aujourd’hui, L’ultramoderne solitude aurait pu être un morceau du groupe Paradis. Je reste convaincu que Souchon dans l’air peut être écouté par n’importe quel gosse de vingt ans. La souchon-mania n’est pas prête de s’arrêter… »
TRACKLIST
Chilly Gonzales – Foule sentimentale (intro)
Mathieu Boogaerts – Quand j’serai K.O.
Vanessa Paradis – Le baiser
Arthur H – J’ai dix ans
Izia – La ballade de Jim
Katerine – Y’a d’la rumba dans l’air
Benjamin Biolay – La vie ne vaut rien
Juliette Armanet – Ultra moderne solitude
Jean-Louis Aubert – Et si en plus y’a personne
-M- – Sous les jupes des filles
Oxmo Puccino– Poulaillers song
Jeanne Cherhal – Rame
Tété – Bidon
Brigitte – Allô maman bobo
L’album Souchon dans l’air (Polydor) est disponible sur Apple Music :
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