En novembre 2014, Alain Souchon et Laurent Voulzy célébraient quarante ans de collaboration et d’amitié avec la sortie de leur premier album commun. Un symbole et surtout une belle excuse pour arpenter, comme deux copains, les routes de France et de Navarre. Une tournée toujours en cours et qui passait cette semaine par la Corse et les Nuits de la Guitare de Patrimonio. Quelques heures avant leur concert, le duo rêve de voyage en bateau, évoque Michel Rocard et Jacques Dutronc.
Légèrement transpirant sous le soleil corse, Souchon, polo et jean noir délavé, ne perd pas de temps. Dès son entrée dans les loges, il s’exclame, meurtri, « De Gaulle est mort ! Charles De Gaulle est mort ! » Derrière lui, Laurent Voulzy, chemise en lin blanche et short jaune poussin est hilare. Pendant l’interview, même ritournelle : Souchon ne tient pas en place, fait des va-et-vient entre le canapé et la table basse, s’assoit sur le sol, allume une cigarette, se lève pour admirer le paysage. Voulzy, penché vers l’interlocuteur, reste sagement assis. Souchon est bien le poète, celui qui analyse tout en rêvant et écrit les textes. Voulzy, celui qui recadre, compose des mélodies parfois tartes et parfois exaltantes. Rencontre avec deux amis, un vieux couple qui s’aime encore.
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C’était quand votre dernière fois en Corse ? Le clip de La Ballade de Jim a été tourné ici.
Alain Souchon – Oui sur une plage vers Calvi. On était allés hors saison, à une période où il n’y avait personne en Corse. C’est un mec qui s’appelle Bensoussan qui avait fait le clip, c’était exactement le décor qu’il cherchait. Une bagnole qui serpentait sur la route et qui tombait après. Puis la grande plage. La chanson dit que la voiture roule sur une corniche, les routes ici c’est comme ça. C’est un pays formidable. L’aridité des montagnes, le climat et la mer à côté, c’est dingue ce que c’est idéal pour moi.
https://www.youtube.com/watch?v=qCsCeugXh70
C’est à une heure d’ici, à Monticello, que seront déposées les cendres de Michel Rocard. C’était une référence politique pour vous, quelqu’un qui vous a marqué ?
AS – Moi, énormément.
Laurent Voulzy – On a une tendance moyenne à ne pas trop croire aux hommes politiques. En même temps y’en a certains qui ont une parole à laquelle on a envie de croire. Rocard en faisait partie. Ce qu’il disait, ça avait l’air d’être de la sagesse. On sent que les hommes politiques se battent plus pour eux-mêmes que pour le bonheur des autres. Lui on avait l’impression qu’il se battait pour ses idées, de belles idées.
AS – La dernière fois, j’ai correspondu avec lui pour une émission de radio. Je lui ai dit : « Je fais partie de ces Français qui auraient aimé que vous deveniez président de la République. Et nous sommes nombreux. » Il était content.
Il en reste, des Rocard ?
AS – Il y a sûrement des hommes très bien. Les gens passent leur temps à débiner les hommes politiques, moi j’ai horreur de ça. Ils font leur boulot, c’est très difficile. On est dans un contexte international monstrueux, un contexte européen difficile, les usines s’arrêtent les unes après les autres, les mecs foncent avec des camions sur la foule. On les accuse de tous les maux, c’est pas possible de faire ça. (Voulzy fait la moue) Tu trouves pas ?
LV – Non je ne suis pas vraiment d’accord. Ce sont des humains, si on dîne avec eux on va en trouver certains fort sympas, mais ensuite je trouve qu’ils se battent plus pour habiter le palais de l’Élysée que pour sauver l’humanité. Alain et moi on en connaît, de gauche, de droite. Mais, parfois, ils se foutent du monde.
AS – Oui mais ça c’est l’ambition ! Les hommes politiques on le sait qu’ils sont ambitieux et que, par ambition, ils sont capables de dire n’importe quoi pour être élus. Mais en même temps, ça marche plus bien là, nos pays. Et ils sont pas tellement responsables. Donc c’est difficile.
LV – Ouais. On sait que ça marche pas bien. Que c’est l’économie qui dirige le monde. Mais en même temps, on a besoin de quelqu’un qui dit la vérité. Je cherche avidement quelqu’un qui me parle et que je dise « OUAIS ! » Rocard faisait partie de ces gens là.
AS – Delors aussi… Raymond Barre ! Il était bien Raymond Barre.
Toujours des gens près du centre…
LV – Oui. Puis après il y a des Boris Johnson etc. Ils se foutent vraiment du monde. Et en France aussi. Alors oui, ce n’est pas un métier facile. Mais il faut avoir le cran de dire « c’est pas facile ». Or, ils disent tous « c’est bon, on va s’en sortir », notamment un… Non mais tout va bien… Son boulot n’est pas facile, mais qu’il le dise.
Vous étiez dans votre village dans le Surrey, pendant le référendum ?
LV – Les gens de mon entourage, dans le coin où je suis, les gens étaient plus pour rester dans l’Europe. Ensuite ça dépend des régions, des catégories socio-professionnelles. Après, je trouve que ça met un coup de pied dans la fourmilière.
Donc vous voyez quelque chose de possiblement positif ?
LV – Ouais ! Parce que… (Souchon se penche doucement vers le micro)
AS – Moi aussi parce que l’Europe est mal faite et ça va obliger les gens à réformer des choses.Demander à des masses de gens comme moi – c’est à dire qui n’y connaissent rien –, par référendum, s’il faut que l’on sorte de l’Europe ou non… (Voulzy rit) Il y a d’autres sujets sur lesquels je pourrais répondre mais, concernant celui là je dirais : « Chai pas, peut-être »… Là, on demande leur avis et on fait foi du résultat. Je trouve ça totalement idiot (en appuyant sur le « i ») et absurde.
Le propre de l’artiste est de magnifier le banal. Aimeriez-vous vivre pour quelques temps dans des endroits pas spécialement beaux ?
LV – Oui, c’est un fantasme pour moi. Que je ne réaliserai probablement jamais. Une fois on était à Arras. Je ne connaissais pas…
AS – Il y a une belle place.
LV – … Une place magnifique, puis un magasin de musique. Je me suis dit : « Je resterais bien quinze jours à Arras. Je vais rencontrer des gens,il y a des gens qui vivent là, des gens avec qui je pourrais devenir ami. »
AS – Des jolies filles…
LV – Et des jolies filles ! Puis après Strasbourg, la Corse.
AS – Il y a des jolies filles en Corse.
LV – Vivre dans plein d’endroits. Même dans plein d’endroits qui ne m’attirent pas comme ça sur des images. J’ai cet espèce de rêve que je n’ai jamais réalisé.
AS – Moi j’aimerais faire pareil avec un bateau. Aller quinze jours en Angleterre au port, puis aller au Portugal. Mais il faut être milliardaire ! (Il se tourne vers Voulzy) Si tu avais fait des tubes internationaux au lieu de faire que des tubes français, je serais milliardaire ! J’aurais un grand bateau. T’as foutu ma vie en l’air en fait…
LV – Les gens qui vont lire ça vont se dire qu’on a quand même les moyens de vivre à Arras quinze jours. D’aller s’installer dans un petit bateau…
AS – (levant la voix, détachant chaque mot) Je te parle d’un grand bateau luxueux !
LV – Non mais moi un petit bateau me suffirait. On pourrait le faire. Ce sont des rêves totalement réalisables, mais qu’on ne fait pas. Bizarrement.
Dans le même village que Michel Rocard, Jacques Dutronc a lui décidé de quitter Paris pour toujours et s’installer, ici en Corse. Etes-vous déjà allés le voir, à Monticello, avec tous ses chats ?
AS – Jamais. On le connaît bien mais jamais. Il leur envoyait des fax aux chats, quand il était à Paris. Dans le temps. Parce que les fax ça envoyait du papier comme ça, et ça tombait.
LV – Ah oui, ça leur plaisait.
AS – « MIAOU » il marquait, en gros.
Quand on écoute Ultra Moderne Solitude, on a l’impression que vous écriviez de la science-fiction. De nos jours, on sait ce que c’est, d’être seul chez soi sur les réseaux sociaux et de ne voir personne. Ça voulait dire quoi l’ultra moderne solitude en 1988 ?
AS – Écoutez, c’était cette fascination pour la solitude au milieu d’une telle foule. C’est à dire d’être dans une ville où y’a plein de gens qui ne voient personne, qui se sentent très seuls. (La voix attristée) Parfois c’est superficiel, ils voient des gens au boulot puis ils se retrouvent le soir seul devant la télé avec un plateau. Dans un ennui mortel alors qu’ils sont entourés de millions de gens. Ça c’est fascinant. L’agencement des mots, le côté ultra moderne, on se croirait sur un marché qui vent des appareils ultra technologiques et la solitude. L’association m’avait plu.
https://www.youtube.com/watch?v=u7b9y8-zaUg
Laurent, votre tube Rockcollection est construit sur le même modèle que 7h du matin de Jacqueline Taïeb, sortie en 1967. C’est ça qui vous a inspiré ?
LV – (étonné) Non, du tout.
AS – Je n’ai même jamais entendu ce nom moi.
LV – Quelqu’un m’a parlé de ça une fois. J’aimerais bien l’écouter. Il est possible que j’ai été influencé par une autre chanson. Je crois que j’étais en voiture sur l’autoroute du Nord et j’ai entendu la chanson de Claude François, Cette année là…
AS (debout, les bras levés, atterré) – Ah non ! Il l’a faite après nous parce que moi il est venu me voir et il a dit « l’idée de votre chanson est extraordinaire » !
LV : Je ne pense pas. Je suis sûr que non. (Voulzy a raison. Cette année là est sortie en 1976, Rockcollection en 1977, ndlr) Je pense m’être dit : « C’est génial, mais pourquoi il chante pas quand il parle des Beatles ? » Je pense que c’est ça, mais en fait, je ne le sais plus moi même…
https://www.youtube.com/watch?v=n9cOf8Qv8ts
Claude François est décédé il y a longtemps déjà, avant Lemmy, Bowie, Prince cette année. Comment vit-on la mort d’une célébrité quand on est également une ?
AS – C’est très impressionnant ces gens qui font tellement partie de nos vies. Et qui ont une influence sur le reste de l’humanité tellement considérable. On dirait que c’est trop. David Bowie, vous rendez-vous compte ? Michael Jackson, Prince. Vous rendez-vous compte de l’énormité du truc ? Elvis Presley. Ils étaient présents partout, tout le temps. Tellement présents… Ça fait peur.
LV – Ce qui compte le plus dans la vie, c’est l’émotion. Le début de la vie c’est de l’émotion. La mort, c’est pas la fin de la vie, c’est la main qui vous tient quand vous mourrez. Et la chanson c’est l’émotion. Donc c’est normal que quand on a été ému par des chansons, on soit touché quand son interprète disparaît. Comme quelqu’un qu’on aime, qui nous a fait aimer.
Vous pensez chacun à ce que vous direz, à vos proches, aux media, aux fans, quand l’un de vous deux partira ?
LV – Je n’y ai jamais pensé. Mais a priori je ne dirai pas beaucoup de mal…
Propos recueillis par Thomas Andrei
Les Nuits de la Guitare, jusqu’au 24 Juillet à Patrimonio, Haute-Corse
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