Un coffret impeccable retrace l’épopée de Sory Kandia Kouyaté, griot guinéen à la voix d’or.
Sa voix – un mezzosoprano long, ample et vertigineux – perçait les carapaces les plus impénétrables, infiltrait le coeur et l’âme des puissants, endurcis par des années de lutte anticolonialiste ou pour la conservation d’un pouvoir chèrement acquis. En écoutant cette voix, ces hommes durs aux yeux froids, aux mains peut-être tachées de sang, perdaient morgue et contenance et redevenaient eux-mêmes.
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Il y avait aussi les mots dont seul un locuteur de langue mandingue peut savourer la subtilité mais qui, pour beaucoup, faisaient de Sory Kandia Kouyaté un maître ès louanges. Sa science du verbe était telle qu’il pouvait dans une chanson comparer l’un de ses bienfaiteurs à Alexandre le Grand sans passer pour un vil flatteur, et recevoir une récompense proportionnelle tant à l’audace de l’éloge qu’à l’exceptionnelle qualité de sa formulation.
Ainsi le mécène malien Babani Sissoko ira jusqu’à offrir au griot guinéen un avion, oubliant dans son élan que le jet appartenait au président gabonais Omar Bongo avec lequel il trafiquait. En réclamant la restitution de son bien, Bongo fit perdre la face à Sissoko mais ne put atteindre le chanteur, bien au-dessus de ça. N’avait-il pas réussi quelque temps auparavant à réconcilier le président Moussa Traoré du Mali et son homologue de Haute-Volta (aujourd’hui Burkina Faso) Sangoulé Lamizana, dont les pays étaient en guerre ? Qu’un griot mette fin à une querelle de voisinage, c’est banal. Mais une guerre…
Voilà qui en dit long sur le talent et le charisme de ce musicien, protégé du président guinéen Sékou Touré, porte-voix de cette Afrique des indépendances, reçu avec des égards dignes d’un ambassadeur dans les grandes capitales d’un monde en pleine guerre froide. Quel destin hors norme pour cet enfant d’un petit village du Fouta Djalon dont la virtuosité au chant et au n’goni émerveillait son entourage, au point de lui ouvrir à 13 ans les portes du royaume de Mamou, puis celles du palais présidentiel à la fin des années 50.
Dans la crue extatique de son chant se ressentait encore la puissance de l’empire englouti de Soundiata, son faste et son orgueil, âge d’or d’une civilisation auquel tentaient de se raccrocher les élites d’une région émiettée. Kandia eut ainsi la particularité de servir une tradition multiséculaire tout en symbolisant un projet pour une Afrique en marche.
Regroupant 2 heures 40 de musique en deux CD, le coffret La Voix de la révolution illustre cette double facette. Il y a d’un côté des enregistrements où le chanteur est accompagné par l’orchestre Keletigui et ses Tambourinis, à l’élégant modernisme, aux guitares électriques frétillantes, à l’afrocubanisme finement distillé, et de l’autre les faces réalisées en trio, ou avec les Ballets Africains de Keita Fodéba, ou encore avec l’Ensemble national Djoliba, qui font revivre le répertoire mandingue “dans son jus”.
Cette trajectoire unique fut brisée sur une route de Guinée en décembre 1977. A 44 ans disparut celui qui fut un peu l’équivalent africain d’un Sam Cooke pour l’identité musicale double et le dandysme assumé, et d’un Otis Redding pour la dimension spectaculaire de la voix. L’Afrique de l’Ouest toute entière le pleura. Quant à Sékou Touré, il ne trouva consolation à la perte de son griot chéri qu’avec la montée en puissance d’une autre étoile mandingue : Salif Keita.
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