Brillante et insaisissable : la Suissesse Sophie Hunger s’affirme comme une songwriter de tempérament sur un album étincelant.
Effet de mode oblige, nul songwriter à guitare n’échappe ces temps-ci au qualificatif de “folk”. Quels que soient le type de cordes qu’il pince, le style de jeu qu’il adopte et la suite d’accords qu’il dessine, il sera rattaché de force à un genre dont plus personne, en vérité, ne sait ce qu’il recouvre.
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Récemment, des musiciens aussi émancipés que Juana Molina ou Andrew Bird, dont le langage entretient des rapports plus que distants avec la vulgate folk, ont ainsi été rangés d’office dans ce vaste fourre-tout. Aujourd’hui, c’est au tour de la Suissesse Sophie Hunger d’être victime de cet étiquetage à l’emporte-pièce. Présentée ici et là comme une demoiselle chantant le blues et le folk, elle affiche pourtant tous les signes d’une personnalité affranchie, pas vraiment taillée pour se fondre dans les rangs d’une quelconque école.
Dans son album Monday’s Ghost, qui marque son entrée officielle dans le monde musical après l’autoproduit Sketches on Sea, Hunger frappe d’emblée par la variété, la précision et la portée de ses armes. Elle possède une voix aussi brûlante dans la ténuité du murmure que dans l’envergure lyrique, des doigts qui se fraient des chemins buissonniers sur une guitare comme sur un piano, et une oreille ultrasensible, qui la relie de manière quasi télépathique au groupe qui l’accompagne.
Hérissées d’arcs électriques (The Tourist, The Boat Is Full) ou parées d’harmonies tamisées (Shape, House of Gods), ornées de mélodies au tracé limpide (Birth-Day, Walzer für Niemand) ou en ligne brisée (Monday’s Ghost, Rise and Fall), ses chansons revendiquent toutes une farouche indépendance d’écriture et d’expression. De toute évidence, les rares musiciens que Sophie Hunger reconnaît comme guides – Bob Dylan, Kurt Cobain et Jeff Buckley – ont été davantage des éclaireurs que des mentors.
Devant un disque si riche et si peu encombré d’influences, on se dit que Sophie Hunger a dû longuement tremper dans le bain de la musique, avant d’en ressortir comme vierge, lavée de toute impureté extérieure. La réalité est tout autre : la jeune femme ne s’est jetée à l’eau qu’en 2002, alors qu’elle était âgée de 19 ans, et elle s’est immédiatement sentie dans son élément. “J’ai toujours aimé la musique mais je m’interdisais d’en faire, je restais à distance, raconte-t-elle. J’avais tellement de choses dans la tête, j’analysais tout. Il a fallu que je fasse taire ma conscience, que j’oublie jusqu’à mon identité même. C’est quand je suis devenue rien que j’ai enfin pu m’ouvrir à la musique.”
Etre une page blanche sur laquelle la musique peut enfin s’imprimer et courir librement : cet idéal, Sophie Hunger l’a poursuivi comme guitariste au sein d’un groupe pop-rock, ou encore en chantant de tout son coeur avec un trio zurichois spécialisé dans la country et le bluegrass. Elle a tout appris sur le tas, y compris cette technique instrumentale très personnelle et cette imagination harmonique débordante qui la caractérisent, notamment au piano. “Chez moi, l’inspiration vient de ma passion du jeu, au sens premier du terme. Je ne sais pas décrire ma musique, mais la chose la plus précise que je peux dire, c’est que je joue et que j’invente des choses comme une enfant.”
Du jeu à la jouissance, il n’y a qu’un pas, que Sophie Hunger franchit allègrement sur scène en compagnie de ses partenaires – dont l’excellent tromboniste Michael Flury et le multi-instrumentiste Christian Prader. Aucun des sortilèges de la musique ne semble avoir de secret pour cet insaisissable feu follet, capable de s’approprier avec un même mélange d’insouciance et de maîtrise une chanson enflammée de la légende soul Irma Thomas ou les rimes casse-gueule de Ne me quitte pas.
Ses prestations époustouflantes expliquent en grande partie pourquoi Monday’s Ghost a fait de sacrées vagues en Suisse : sorti en octobre dernier sur un petit label indé, il s’est perché dès la première semaine au sommet des charts. Dans un pays où l’écho résonne avec plus d’intensité qu’ailleurs, le bouche à oreille s’est vite gonflé en irrésistible rumeur – qui devrait sans mal franchir les frontières. “C’est important de savoir que quelqu’un écoute, remarque la chanteuse. Le fait d’avoir un public de plus en plus fourni me pousse à me concentrer davantage et me rend aussi plus forte. Avant ça, je ne savais vraiment pas quoi faire de ma vie. J’ai échoué dans tous les boulots que j’ai faits, je n’ai fini aucun cursus universitaire. Aujourd’hui, la musique me donne un rôle, c’est une énorme différence.”
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