Le 17 janvier 1991, Mark Eitzel, en vacances d’American Music Club, pose sa vieille guitare et sa gueule de métèque (de juif errant) sur la scène microscopique du Borderline de Londres. Pour les 147 veinards entassés dans cette cave, l’événement est historique et se savoure la larme à l’œil. Pour nous, les autres, il ne […]
Le 17 janvier 1991, Mark Eitzel, en vacances d’American Music Club, pose sa vieille guitare et sa gueule de métèque (de juif errant) sur la scène microscopique du Borderline de Londres. Pour les 147 veinards entassés dans cette cave, l’événement est historique et se savoure la larme à l’œil. Pour nous, les autres, il ne reste que les yeux pour pleurer et ce disque magique pour regretter. Que faisions-nous le 17 janvier 1991 à 21 h 30 ? Rien qui ne puisse décemment servir d’excuse pour expliquer notre absence à ce concert de rêve. Ce soir-là, nos fantômes familiers sont sur scène : le Tim Buckley nu de Dream letter, Nick Drake, John Cale, Microdisney : Mark Eitzel n’est pas seul.
Ce disque acoustique, on en avait rêvé en retournant les quatre albums d’American Music Club dans tous les sens, frustrés d’avoir à chaque fois à leur trouver des excuses. On savait ce qu’on y adorait ? la voix, magnifique et un lyrisme poignant ?, mais il fallait acheter le lot, supporter les copains pas toujours finauds, leurs arrangements bedonnants. Eitzel méritait meilleure compagnie, c’est-à-dire la sienne seule. Et ce 17 janvier, il a beau pleuvoir sur Londres, il n’a jamais fait si chaud que dans ces chansons à même le cœur. Gary se noit dans le vin triste ( If you swim too much, if you drink too much, you drown. And the shame of my life is watching you drown’), Eitzel se réfugie en larmes dans un Last harbour troublant comme mille. Rarement story-teller n’a été si convaincant, si captivant, si intense. Chaque mot tremble dans un silence apprivoisé, Eitzel s’excuse sans arrêt de s’épancher ainsi en public, de n’avoir rien de mieux à offrir que son honnêteté et ses histoires au rasoir. Il est seul avec ses six cordes, ses dix doigts et pourtant, l’espace n’écoute que lui, s’arrête de respirer pour Firefly ou Nothing can bring me down. Eitzel et sa guitare mélancolique ont plus de présence que tous ces nigauds survitaminés qui pilonnent Bercy de leurs tristes décibels. Dans quinze ans, quand Les Inrockuptibles écriront la grande histoire des laissés-pour-compte du rock américain, Mark Eitzel aura droit à un chapitre complet. Je le sais, c’est moi qui l’écrirai.