Avec son nouvel album, l’Anglais.e propose une bande-son à la fois sereine et nerveuse pour coller à l’époque.
“Adam est en résistance. Si j’ai accepté de mixer son nouvel album après avoir produit son premier, c’est qu’il est vraiment fantastique.” Rencontré au studio Motorbass quelques jours avant son décès accidentel dont aucun.e fan de musique ne pourra se remettre, Philippe Zdar ne tarissait pas d’éloges à propos d’Adam Bainbridge, alias Kindness. Il célébrait son exigence et l’opposait aux artistes pop cherchant à flatter les bas instincts du public avec des mélodies et des idées réduites au minimum.
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“Faire partie de la résistance ? Peut-être, commente Adam. En même temps, je me souviens que, quand j’étais aux Etats-Unis, j’entendais beaucoup à la radio un morceau des Chainsmokers (insupportable duo dance-pop américain – ndlr). Son groove ressemblait à celui de House, une de mes chansons que les gens préfèrent. Je pense que ce que Blood Orange ou moi avons tenté sur des tempos lents a été intégré par les groupes mainstream. Ceux-ci ont compris que tous les morceaux pop n’avaient pas besoin d’être rapides et de tabasser. De façon dingue, les mouvements se chevauchent. Ce qui naît dans l’underground peut vite devenir grand public.”
Un constat qu’Adam accepte avec philosophie, retrouvant l’indépendance après avoir bénéficié des gros moyens d’une major. “A plusieurs niveaux, avoir été viré.e a été une bonne chose. Déjà, j’ignore toujours pourquoi les gens de Polydor ont signé un.e artiste probablement trop étrange pour eux. Ils nourrissaient d’énormes attentes commerciales à mon sujet. Ce qui paraît étonnant : ils avaient aussi James Blake, qui paraissait avoir un potentiel supérieur et qui, lui non plus, n’a pas vendu un million d’exemplaires.” Du passage sur cette major, à l’origine de World, You Need a Change of Mind (2012), Kindness ne regrette rien, au contraire. “J’ai pu tourner des vidéos, j’ai eu l’opportunité de travailler avec Zdar, j’ai pu acheter du matos que je revends maintenant. A la fin de mon contrat, je n’ai pas eu besoin de rembourser les centaines de milliers d’euros investis sur moi. Je lis sur Instagram beaucoup d’aphorismes, des formules de motivation qui expliquent combien le travail acharné va te sauver. Il ne faut pas oublier la chance…”
Une pop inclusive affranchie des genres musicaux
Adam Bainbridge, qui se définit comme non-binaire, est revenu.e à Londres après avoir vécu à New York : “Ma communauté était noire, latino, queer”, se souvient-il.elle, avant d’évoquer avec effroi la scène nu rave anglaise du milieu des années zéro : “Les hétéros reprenaient à leur compte la mode gay, les couleurs fluo et le reste pour le vendre aux masses. Mais si tu empruntes des choses à la culture queer londonienne, il vaut mieux l’expliquer au reste de l’Angleterre. De la même façon, c’est toujours dérangeant de voir la house présentée en 2019 au grand public comme une musique pour hétéros blancs alors que ses racines sont queer et noires.” Something Like a War s’ouvre d’ailleurs sur un appel à faire voler les barrières stylistiques – emprunté au morceau Transition du gang techno de Detroit, Underground Resistance.
“There will be people who will say: ‘you don’t mix this with that’. And you will say: ‘watch me !’ » (“Il y aura toujours des gens qui diront : ‘tu ne peux pas mélanger ceci avec cela’. Et tu leur répondras : ‘regarde-moi »). Adam explique : “C’est encourageant pour moi que quelqu’un ait écrit ce manifeste il y a presque vingt ans. Le sampler, c’est établir une connexion entre renégats.” Du gospel disco Raise Up au hip-hop du morceau éponyme, rappé par l’Américaine Bahamadia, en passant par la soul de Softness As a Weapon, chaque chanson de ce troisième album semble mettre en application ce manifeste.
Pratiquant la pop inclusive, Kindness refuse aussi la dictature des genres musicaux, un héritage de sa passion boulimique pour la musique : “J’ai eu la chance de vivre ces années d’internet où tu avais accès à toute l’histoire de la musique enregistrée sans être écrasé.e par le volume de nouveautés. Un jour, mon ami m’avait demandé : ‘pourquoi as-tu mis 27 albums de R.E.M. sur mon iPod ?’ C’est simple, je voulais absorber toute l’histoire musicale. Aujourd’hui, concernant les nouveautés, je demande à mes potes de me faire écouter les morceaux qu’ils.elles continuent d’apprécier six mois après les avoir découverts.”
Concernant l’art de la composition, Adam raconte avoir beaucoup appris de la chanteuse Robyn, l’une des nombreuses voix féminines (citons Jazmine Sullivan, Seinabo Sey ou Cosima) que l’on entend sur Something Like a War, publié sur son propre label Female Energy.
“Quand les femmes sont aux avant-poste de la musique, ça profite à tout le monde. Il y a toujours de l’ego et de l’ambition, mais d’une manière différente. Après, il règne toujours un déséquilibre dans l’industrie musicale, trop de fonctions importantes sont encore occupées par des hommes.” Sa chanson Softness As a Weapon pourrait constituer le parfait résumé de ce qu’entreprend Kindness.
“Mon intention avec ce titre était de dire que la douceur est une force, se permettre d’être vulnérable est un moyen de préserver sa santé mentale. Je ne pense pas que tu puisses changer le monde si tu es écrasé par sa folie. Mais si je suis une personne douce dans la vie, ma musique a besoin d’agressivité, de dynamique. Je veux que mes batteries sonnent comme du Run-DMC ou du Rick Rubin. Ma pop n’est pas de l’eau tiède, il me faut du piquant. Je veux transmettre cette douceur, cette générosité, et en même temps refléter l’anxiété de notre époque. Je suis confiant quant aux prochaines années, la musique est plus ouverte d’esprit. Comme on ne peut pas se permettre les ambitions extraordinaires du passé, il faut trouver des solutions, être plus malin.” Something Like a War, magnifique production indie, servira d’exemple.
Vincent Brunner
Something Like a War (Female Energy/Differ-Ant)
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