Après avoir mis du rêve dans les disques de Yann Tiersen, Dominique A ou Syd Matters, l’ondiste Christine Ott sort son premier album.
Quand, en 1928, Maurice Martenot émet pour la première fois les ondes qui doivent le rendre célèbre, il ne soupçonne pas que 80 ans plus tard, une petite contrebandière à cheveux roux va s’ingénier à faire passer à son invention, ancêtre du synthétiseur, des frontières encore sous haute surveillance. Serait-ce la conséquence d’habiter Strasbourg, capitale des confins ? D’avoir eu pour père un violoniste versé dans le répertoire tzigane, tout en se rêvant chef d’orchestre ? Ou bien l’effet d’une curiosité agile qui, doublée d’un enthousiasme de petite fille, fait de Christine Ott cette elfe aux ailes invisibles jouant à passe muraille ?
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Yann Tiersen, dont elle est depuis l’album L’Absente une pièce essentielle du dispositif sonore, à la scène comme au disque, voit en elle la conjugaison de deux natures radicalement contraires, « à la fois terrienne et lunaire. » Un profil qui, tout bien considéré, épouse la personnalité même des Ondes Musicales Martenot, instrument énigmatique, captivant, insaisissable, qui vaut aujourd’hui à la jeune Alsacienne des sollicitations venues d’un peu partout, et une méritée mise en avant avec un premier album, Solitude Nomade. S’il est vrai que leurs sonorités restent connotées « sci fi » depuis leur utilisation en fond sonore dans de nombreux films et feuilletons, de L’Homme Invisible à Mars Attack, les Ondes Martenot appartiennent d’abord à la catégorie des instruments « climatiques », de ceux qui suggèrent une immersion dans un ailleurs, possiblement cosmique ou relevant de cet « espace du dedans » dont fait état Henri Michaux.
En somme, il s’agit probablement, et bien que son concepteur ait toujours affirmé que sa création ne pouvait être considérée qu’au plan expérimental, de l’un des meilleurs véhicules pour entreprendre l’indispensable voyage du rêve. Entre autres pièces, le Jardin du Sommeil D’Amour de la Symphonie Turangalila d’Olivier Messiaen, compositeur ayant le plus contribué à le faire connaître, offrira à ceux qui le désireraient une excellente entrée pour visiter ce mystérieux domaine sonore. Christine Ott est devenue ondiste à la faveur d’un bienheureux hasard.
En entrant un jour dans une salle du conservatoire de Strasbourg, où elle fut élève, où elle enseigne désormais, son regard est attiré par une partition d’un certain Jean Marc Morin intitulée Son-relief. « Là s’est produit un déclic, comme un peintre devant un tableau lui révélant sa vraie vocation. Par moment, je me sens d’ailleurs plus plasticienne que musicienne ». Délaissant le piano, elle se glisse dans cet univers à part des Ondes pour le découvrir à l’abandon, couvert de poussière. « Beaucoup de compositeurs comme Henri Dutilleux ou Luciano Bério étaient passés à côté, si bien que l’on se retrouvait avec un répertoire limité et dans l’ensemble assez médiocre. J’ai eu envie de faire avancer l’instrument dans son temps. »
Si on lui propose des projets passionnants, comme l’opéra surréaliste de Luciano Chailly Il Mantelo, d’après Dino Buzzati, pour lequel elle intègre l’Orchestre de Palerme, Christine va vite se rendre disponible pour d’autres expériences qui l’entraînent hors sentiers battus. Décisive, sa rencontre avec Yann Tiersen en 2002 va lui permettre alors de multiplier les collaborations.
Des Têtes Raides à Syd Matters, de Dominique A à Radiohead, de la bande originale d’Amélie Poulain à celle du dernier Claire Denis, 35 Rhums, elle déploie ses ondes, sème ce subtil parfum d’onirisme kaléidoscopique dans leurs sillages. En 2005, toujours avide de nouvelles explorations, elle rend un bel hommage aux Residents avec les musiciens lyonnais de Narcophony. Et aujourd’hui, la voilà avec Solitude Nomade en compagnie de quelques proches, dont le guitariste Marc Sens, revivifiant son instrument avec des compositions originales, écrites au gré de ses souvenirs, de ses lectures, de sa vie sur la route, comme autant d’instants saisis dans les effluves d’une lumière astrale.
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