Sous ses airs de punkette bat un petit coeur meurtri. Peur de l’abandon, de la violence, de la mort : la Française Soko a puisé dans ses démons pour un deuxième album intime et surprenant. Rencontre et écoute.
Soko n’a pas 30 ans mais déjà plusieurs vies derrière elle. On l’a vue actrice, excellente dans Bye Bye Blondie de Virginie Despentes, époustouflante en Augustine dans le film éponyme d’Alice Winocour. Elle a prêté sa voix dans Her de Spike Jonze, a chanté sur l’album Vibes de Theophilus London. Elle a été mégastar en Scandinavie avec le tube de rage teenager I’ll Kill Her, puis samplée par des rappeurs US. L’an dernier, on la croisait même sur le plateau de Laurent Ruquier, évoquant sa participation à la performance First Kiss (une vidéo qui mettait en scène de parfaits inconnus s’embrassant pour la première fois). Forte tête, Soko s’est souvent entourée de beaux marginaux, jouant avec Anton Newcombe du Brian Jonestown Massacre ou Ariel Pink, qui partage d’ailleurs deux excellents titres de son nouvel album, My Dreams Dictate My Reality.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Londres, Paris, New York, Los Angeles : la Bordelaise a maintes fois posé sa valise – elle dit qu’elle vit dedans. Pour façonner son deuxième album, Soko a prolongé le voyage mais mis le cap, cette fois, sur elle-même. Se confrontant à ses démons de toujours, la musicienne a composé un disque en forme de psychanalyse où elle raconte tout : angoisse de la mort, syndrome de Peter Pan, bisexualité, peur de l’abandon… L’album qui en résulte est une vraie réussite. Assez loin de la sobriété lo-fi de son prédécesseur, My Dreams Dictate My Reality déroule une dizaine d’hymnes rock qu’auraient éclairés aussi bien la new-wave de The Cure que le soleil californien. Sauvageonne mais toujours généreuse, Soko raconte tout, sans chichis.
Sur ce nouvel album, tu as opté pour une couleur musicale nouvelle avec une influence new-wave inattendue…
Soko – Les gens semblent étonnés, mais pour moi ce disque s’inscrit dans la continuité du premier. J’avais déjà écrit des chansons davantage produites et j’écoutais ce genre de musique. Cette fois, cependant, j’ai écrit tous les morceaux à la basse ou au clavier, à l’exception de Keaton’s Song qui a été composé à la guitare. J’ai travaillé sans cahier des charges : je suis simplement tombée amoureuse de ma basse.
Tu as confié la production du disque à Ross Robinson (Deftones, Korn), qui avait collaboré avec The Cure. Pourquoi ce choix ?
J’avais envoyé une lettre à Robert Smith pour lui demander de produire mon album. Il n’a jamais répondu mais Ross m’a contactée pour me dire qu’il aimerait qu’on travaille ensemble. Il m’a invitée deux jours chez lui à Los Angeles. Je lui ai joué mes nouveaux titres, à un stade déjà avancé. Super enthousiaste, il hurlait après chaque morceau : “This is fire ! This is fire !” J’étais heureuse de rencontrer quelqu’un d’aussi emballé, d’aussi agité que moi. A l’époque, je ne savais pas si j’allais trouver un label pour ce disque, mais il s’en moquait. Il m’a proposé d’emménager dans une chambre de sa maison à Venice Beach. J’y suis restée six mois.
Comment s’est déroulé l’enregistrement ?
Je voulais faire appel à des musiciens mais Ross m’a encouragée à m’occuper de la basse. Il disait que je jouais comme une teenager débutante et que c’est ce qui était beau. J’avais tous les arrangements en tête : j’entendais beaucoup de reverb, des orgues, des synthés atmosphériques. On a enregistré quasiment tous les morceaux en live. On faisait du yoga le matin, on mangeait des choses saines et ensuite on travaillait. Je me suis entourée quand même de trois musiciens, dont Stella, de Warpaint, qui est devenue ma batteuse.
Qu’est-ce qui te plaît dans The Cure ?
A 16 ans, je suis partie de chez mes parents. J’ai vécu seule et j’ai commencé à télécharger illégalement tout ce dont j’entendais parler dans Les Inrocks et Rolling Stone. J’ai découvert les tubes de The Cure dont Boys Don’t Cry, ma chanson préférée… J’ai appris à connaître toutes les facettes du groupe : le early Cure, le goth Cure, le punk Cure… Three Imaginary Boys est devenu mon album préféré au monde ! J’aime la vulnérabilité de Robert Smith. Il n’a jamais répondu à ma lettre mais je ne désespère pas. Robert, si jamais tu lis ça, sache que tu es le bienvenu sur mon prochain album.
Tu te livres énormément dans tes nouveaux textes.
Au départ, j’écris des chansons pour moi, pour me décharger de ce que j’ai dans la tête. Si je commence à me mentir ou à me censurer, ça ne sert à rien. Ecrire une chanson, c’est comme photographier l’intérieur de son cerveau. Et je n’ai pas envie de faire du Photoshop. Dans dix ans, je veux pouvoir écouter un ancien morceau et retrouver les sentiments, les peines que j’avais à l’époque. Quand j’écris un album, c’est comme si je faisais une sauvegarde sur un disque dur : une fois que je sais que tout est gravé, je peux passer à autre chose.
Quel disque avais-tu en tête ?
Mon précédent album était celui d’une victime, un disque qui s’écoutait trop. J’ai eu envie d’arrêter de subir mes émotions. Je voulais les affronter et en faire quelque chose, mettre la lumière sur mes problèmes plutôt que les cacher sous un tapis. Faire en sorte que mes angoisses deviennent des alliées.
Le syndrome de Peter Pan t’a inspiré une chanson. Tu te sens concernée ?
Hook est mon film préféré. J’ai perdu mon père à 5 ans et j’ai eu l’impression que Robin Williams le remplaçait, qu’il me donnait des leçons, qu’il m’accompagnait. Je ne supporte pas la violence, je ne peux pas regarder un film d’horreur. Si une image m’agresse, je suis obligée de regarder les Bisounours ensuite pour me vider le cerveau. Dès que je suis en contact avec des choses toxiques, je fais des cauchemars. Je suis une vraie éponge. Du coup, je m’entoure de gens positifs, j’essaie de me créer un monde magique comme Neverland, où tout va bien. Quand j’ai perdu mon père, c’est comme si j’avais été projetée dans le monde adulte. On m’a fait prendre conscience de choses que l’on n’est pas censé découvrir avant l’adolescence : la mortalité, le fait qu’il y a une fin à tout, le sentiment d’abandon. J’ai aussi grandi avec un sentiment de culpabilité. Je faisais des cauchemars terribles quand j’étais petite. Je rêvais qu’un membre de ma famille mourait ou que quelqu’un avait un accident. J’avais l’impression que mes rêves tuaient les gens, que j’étais responsable des drames autour de moi. C’était noir. Je n’étais pas du tout une enfant insouciante qui joue avec les autres. A 10 ans, je voulais vivre seule, gagner ma vie, être indépendante. Aujourd’hui, la seule chose dont j’ai envie, c’est d’avoir 10 ans à nouveau, que ma mère me caresse les cheveux pour que je m’endorme, avec mon chat dans les bras et aucune responsabilité sur les épaules.
Souffres-tu encore des mêmes angoisses ?
Disons que j’ai besoin d’avoir des victoires sur la vie. Un exemple : mon père est mort dans son sommeil, alors quand je m’endors, je crains toujours que ce soit la dernière fois pour moi. Du coup, à chaque réveil, j’ai une énorme soif d’aventures, de nouveaux challenges. “Suuuuuuuuper ! Je ne suis pas morte cette nuit !” La plupart des gens évacuent l’idée de leur mort. Moi, j’y pense tous les jours depuis que je suis petite.
As-tu essayé de gérer ces angoisses avant de devenir musicienne ?
Enfant, j’ai vu des psychologues. Aujourd’hui, je suis lucide. Je sais d’où viennent mes problèmes. J’ai du mal à tomber amoureuse car j’ai peur d’être abandonnée. Le fait de le savoir ne me donne pas les clés pour changer. Alors, je préviens les gens. Je leur dis que je suis autodestructrice, que dès que je suis heureuse, j’ai tendance à saboter les choses. J’ai eu une conversation incroyable il y a quelques jours à New York avec Sean Lennon qui a aussi perdu son père à 5 ans. On s’est rendu compte qu’on souffrait des mêmes choses et qu’on faisait de la musique pour les mêmes raisons.
Tu es sans cesse en mouvement depuis dix ans. Est-ce un choix ou un besoin de fuite ?
Je suis incapable de rester au même endroit. A 16 ans, j’ai commencé à travailler pour m’assumer et quelques années plus tard, j’ai réalisé que je menais une vie de mamie ! Alors j’ai pris ma valise et je suis partie à Londres. Ça fait neuf ans que je vis dans ma valise, que je n’arrive pas à me poser. Je mets toute ma vie au garde-meubles, j’ai quelques affaires dans ma voiture que je laisse ensuite chez des amis. J’ai besoin de mouvement et d’action. Rien ne me file plus d’angoisse que les jours off. Je ne prends pas de drogue, je ne prends pas d’alcool, mais je suis accro à l’adrénaline. Je suis allée voir mon acupunctrice après ma tournée. J’étais déprimée, je ne pouvais plus me lever le matin. Elle m’a dit que j’étais comme une junkie à qui il manquait ses fix d’adrénaline.
Sur le morceau Who Wears the Pants ??, tu affiches ta bisexualité. Cela a toujours été facile pour toi ?
Ma sexualité n’a jamais été un tabou. J’ai commencé à me poser des questions assez tôt. Je me rappelle d’un cours de biologie en sixième où on nous avait parlé d’homosexualité. Je m’étais dit qu’en effet j’avais déjà eu envie d’embrasser ma meilleure amie. Ma famille est plutôt ouverte. Un été, ma mère m’avait dit que je pouvais inviter mon petit copain au Pyla, sur le bassin d’Arcachon, où on avait une maison. Je lui ai répondu que j’avais une petite copine… Elle a crié de joie, elle trouvait ça génial. Elle était contente de montrer sa tolérance, son ouverture d’esprit. Je trouve assez saine l’idée d’aimer les gens et non un sexe.
Te soucies-tu de l’image que les gens ont de toi ?
Non. Quand je lis des moqueries sur internet, ça ne me touche pas. Je n’aime pas rire des autres. Récemment, j’ai vu des réactions folles suite à mes propositions pour financer la sortie de mon disque aux Etats-Unis. Les gens ont pris ça au sérieux alors qu’il s’agissait d’une vaste blague. En fait, après un concert, il arrive que des personnes viennent me voir pour me demander de les épouser. Ou quand je poste une photo d’une soirée avec des amies, je reçois des messages de fans qui aimeraient aussi passer une soirée pyjama avec moi… Du coup, j’ai fait la liste de toutes ces propositions bizarres en pensant : “Très bien, joignez le geste à la parole et sortez votre argent.” Et j’ai proposé toutes ces activités contre une rémunération (rires)… C’était vraiment ironique et je n’ai rien inventé !
Comment envisages-tu l’avenir ?
Cette année, je vais tourner quatre films, notamment le projet des soeurs Coulin (réalisatrices de 17 filles – ndlr), sur le syndrome posttraumatique de femmes soldats qui rentrent d’Afghanistan. Quand je fais un disque, tout tourne autour de moi : mon artwork, mes vidéos, ma promo, mes chansons, mes paroles, mes arrangements. Au bout d’un moment, je n’en peux plus de parler de moi, de m’écouter. Faire des films, c’est comme prendre des vacances de mes propres problèmes. Pour la suite, je ne sais pas… Ma peur de la mort m’empêche d’envisager les choses à long terme.
On va t’aider… Comment t’imagines-tu en mamie ?
(rires)… Avec plein d’enfants, des petits-enfants et des chats. Je me vois vivre à la campagne, entourée des gens que j’aime. Tout le monde viendrait me rendre visite et je cuisinerais pour quinze personnes tous les jours.
{"type":"Banniere-Basse"}