Lindsey Jordan peaufine son écriture pour soigner ses peines de cœur avec une maturité certaine. Rencontre (virtuelle) avec un talent précoce de l’indie rock américain.
Une villa familiale de Lombardie, un foyer de cheminée en flammes, et Timothée Chalamet, tout chagrin, qui ne retient pas ses larmes. C’est sans doute à la vue de ce plan fixe de plusieurs minutes, fameuse scène finale de Call Me by Your Name (2017), que la tête pensante de Snail Mail s’était décidée à s’octroyer une retraite dans le nord de l’Italie. Elle se voyait déjà y exprimer ses émotions, extérioriser sa peine et entamer l’écriture d’un nouveau disque en autarcie pastorale, jusqu’à ce que la crise sanitaire ne vienne contrecarrer ses plans.
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“J’avais adoré le livre, et le film est l’un de mes préférés… Je voulais tellement vivre ça, me retrouver isolée près de la nature, être cool, posée, regrette la jeune Américaine par téléphone. J’ai surtout tendance à être timide lorsque j’écris des paroles en présence d’autres gens. Je suis une espèce de machine à écrire solitaire, il me faut un espace intime.” Lindsey Jordan peut être rassurée : l’épidémie de Covid-19 a beau avoir anéanti son rêve d’Italie bucolique, elle n’affecte en rien la teneur émotionnelle de Valentine, le second album de Snail Mail où la vulnérabilité post-adolescente s’expose sans retenue.
Les doutes de la nouvelle prodige
Au printemps 2020, confinement oblige, la musicienne retrouve le domicile parental en périphérie de Baltimore, dans le Maryland. Après un EP remarqué en 2016, un premier long format, Lush, salué de toutes parts deux ans plus tard, et trois longues années de tournée enchaînées dans la foulée, Lindsey Jordan, considérée d’office comme la nouvelle prodige indé à seulement 18 ans, réintègre sa chambre d’ado avec la certitude menaçante de n’avoir nul autre choix que de se remettre au travail. Commandées plus par obligation professionnelle que par réelle inspiration créative, les nouvelles compositions de Snail Mail peinent à prendre forme.
Entre diverses séances de puzzle, lecture et méditation pour tuer le temps, l’Américaine s’efforce de pondre des morceaux jusqu’à l’épuisement. “Quand tu es constamment chouchoutée pendant des mois et des mois de tournée, se remettre à l’écriture revient à être jetée dans la fosse aux lions, confie-t-elle. À cette période, je me disais que je ne serais plus capable d’écrire quoi que ce soit, ni de refaire des concerts. J’étais fatiguée, en burn out. J’ai donc fait un séjour d’un mois dans un centre de convalescence, en novembre dernier. À la sortie, je me suis sentie renaître.”
Plus affirmée que jamais, Lindsey Jordan revient à ce qu’elle sait faire de mieux. Sur Valentine, elle convoque à nouveau ses romances douloureuses et s’épanche désormais sur ses blessures pour y trouver la guérison.Si Snail Mail exhibe son cœur brisé en toute sincérité, chacun des dix morceaux affiche une maturité manifeste, celle d’une jeune adulte pour qui la fin de l’adolescence aura été précipitée puis disséminée par une ascension fulgurante, une vie sur la route et la pression du succès.
Retranscrire au plus juste le maelström émotionnel
“Encore aujourd’hui, je ne peux qu’écrire sur des choses authentiques et personnelles, qui sont directement liées à mon cerveau rempli d’émotions, observe Jordan. Si mon premier album était plus du style journal intime, Valentine est une thérapie. Sa création m’a presque paru uniquement cathartique.”
Minutieusement travaillés en amont, les textes de Valentine se parent d’électronique et d’un ensemble de cordes, de plusieurs touches de piano comme de synthétiseurs, échafaudées à quatre mains avec le producteur Brad Cook, fidèle collaborateur barbu de Bon Iver ou de Waxahatchee. Alors que le jeu de guitare se veut toujours aussi subtil (Light Blue, Mia et sa conclusion aux allures d’acceptation) que rageur (le morceau-titre Valentine, Glory), Snail Mail s’extrait des carcans de l’indie rock et dévie vers la pop sous influence r’n’b afin d’apporter de la nuance et de retranscrire au plus juste le maelström émotionnel des lendemains de rupture – Madonna, le surprenant Forever (Sailing).
“J’essaie de présenter un large éventail d’émotions, qui, je pense, est assez fidèle à ce qu’est véritablement l’amour. Plus tu grandis, plus ta vie s’enrichit et toutes ces choses deviennent moins triviales. Contrairement à l’ado un peu naïve que j’étais sur Lush, je suis plus expérimentée sur ce disque, ce qui le rend beaucoup plus douloureux.” Le feu crépite déjà dans la cheminée.
Valentine (Matador/Wagram). Sortie le 5 novembre.
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