Satire de la dèche made in UK et bande-son rudimentaire : Sleaford Mods, duo de Notthingham, n’a aucune raison de changer une recette qui gagne, à quelques nuances près.
“On n’est même pas un groupe d’avant-garde décent !” s’étonne Jason Williamson, en nage dans sa loge après le premier concert triomphal de Sleaford Mods au légendaire festival anglais de Glastonbury en 2015, capté dans Bunch of Kunst – second documentaire qui leur est consacré. C’est que personne, pas même eux, n’aurait parié que ce duo, un père de famille au verbe haut et un nerd gay doué à la prod, tous deux aux allures de lads prolétaires dans leur quarantaine, deviendrait l’un des emblèmes de la pop culture UK de l’époque.
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« On est tolérés jusqu’à un certain point »
Le chemin qu’a pu parcourir un projet si peu avenant et d’une telle teneur politique, dans un pays où les charts demeurent malgré tout dominés par une pop bien cadrée, est un signe réjouissant, mais à relativiser, selon Williamson : “On est tolérés jusqu’à un certain point, on n’est pas totalement dedans. La nature de notre musique nous empêche d’intégrer le vrai mainstream, bien heureusement.”
Il se cache en fait un pessimisme viscéral et une grande modestie chez Jason Williamson, pourtant grande gueule la mieux ouverte de la scène musicale, de mémoire récente. Ses saillies croustillantes sur la lose, le milieu indé ou le quotidien working/middle class lui ont fait un nom, mais on l’entend désormais s’exprimer sur l’âge et la vulnérabilité, en interview comme dans les textes de son dixième album (le sixième en duo avec Andrew Fearn).
“Je suis hanté par mes propres insécurités, surtout depuis que j’ai une ‘carrière professionnelle’. En arrêtant picole et défonce, il y a trois ans, j’y ai vu plus clair dans ce que je ressentais : c’est une culpabilité de classe, celle de ne pas mériter ce que j’ai gagné, d’être un imposteur, et de ne pas tout à fait savoir comment me positionner par rapport à ça. Je n’ai pas connu une extrême pauvreté dans ma jeunesse – mon père s’en sortait bien comme maçon –, mais je viens quand même d’assez loin pour m’interroger sur le confort dont je dispose désormais. Pourquoi grossir en tant que groupe, d’ailleurs ? Et y a-t-il un risque qu’on devienne cupides, ou que notre musique perde de sa pertinence ?”
Par chance, on n’en est pas encore là, et Eton Alive (joli jeu de mots entre le nom d’une université d’élite anglaise et l’expression “eat them alive” – “bouffez-les vivants”) déverse son lot de sarcasmes acides et de commentaires hallucinés sur la vie actuelle au Royaume-Uni.
Boucles politiques
Dans ce dernier album, la formule n’a presque pas bougé : les mêmes boucles post-punk et hip-hop, dont on se demande si elles ont été bricolées sur GarageBand, et ce fameux spoken word en tranches épaisses, entre injures ramassées et fulgurances de poésie urbaine. Soucieux de ne pas trop se caricaturer (et sur les conseils de sa femme), Williamson a levé le pied sur le bashing de personnalités – seul Graham Coxon de Blur est comparé à un “Boris Johnson de gauche”.
La posture politique aussi a été diluée dans un travail littéraire plus crypté et en phase avec son désenchantement terminal sur la question. “J’ai été et reste un fervent soutien du ‘remain’ concernant le Brexit – même si je pense qu’on se fera bouffer dans tous les cas. Mais maintenant ce sont la violence et la crise d’identité que ça a engendrées dans la société (y compris dans notre public) qui m’atteignent.” Heureusement, pour oublier tout ça et en rire un bon coup, il y a les Sleaford Mods.
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