De Bon Iver à PNL ou encore Drake, un seul mot d’ordre : peu ou pas d’interview. Une stratégie à l’américaine qui aiguise la curiosité… et fait grimper les ventes.
Se taire pour mieux se faire entendre. Tel est le modèle le plus en vogue du moment dans l’industrie du disque. La méthode ? Publier des clips sur YouTube, développer ses réseaux sociaux, rassembler le plus large public possible sans dire un mot aux journalistes, pour enfin sortir un album “après avoir suffisamment chauffé la colle, note Alexandre Kirchhoff, directeur du label Capitol (Universal). En France, ça devient monnaie courante”.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans le rap mais pas seulement
Une stratégie à l’américaine de plus en plus employée, dans le rap mais pas seulement, chez les petits mais aussi chez les gros, comme l’ont récemment démontré les mastodontes Radiohead ou Bon Iver. Avec sa dernière sortie, 22, A Million, Justin Vernon a dénigré le micro qu’on lui aurait tendu volontiers.
Un jeu de cache-cache qui agace autant qu’il excite. “Beaucoup d’artistes créent l’attente et sortent des albums surprises, constate Alexandre Kirchhoff. C’est une nouvelle manière de véhiculer la musique.”
En France, on avait justement goûté ce plaisir avec Booba, mais aussi lors des débuts de 1995 et ceux de Fauve≠, qui préparait méticuleusement chacune de ses sorties, très calibrées. “Ce mystère rendait le truc un peu magique et la couverture médiatique n’en a été que plus forte”, constate Antoine Guéna, directeur artistique chez Panenka, nouvelle écurie que Georgio a récemment rejointe.
Les exemples sont nombreux, et l’effet procuré souvent au rendez-vous. Surtout quand vous avez plusieurs dizaines de millions de followers. “Drake poste un tweet. Le lendemain, il est numéro un des charts, poursuit Antoine Guéna. C’est le phénomène que décrivait Booba : « il y a tellement de gens qui me suivent sur les réseaux sociaux, je n’ai pas besoin des autres.”
Une identité créée sur les réseaux sociaux
Jouissant d’une notoriété démentielle, quelques-uns en profitent après avoir bénéficié de tous les appuis structurels des majors. D’autres, naissants, font ce choix plus délibérément, et constituent leur identité uniquement via Facebook ou Instagram. Mais certains tiennent toujours à compiler les deux.
“Je vois l’importance des médias pour un groupe comme Naive New Beaters, tempère Christophe Caurret, leur manager, qui s’occupe également des affaires du Rémois Yuksek. Au fond, je suis partagé. Par exemple, je trouve la stratégie d’un groupe comme PNL intéressante. Cette communication est adaptée aux nouveaux modes de consommation et aux nouveaux outils disponibles. Cela dépend de la typologie du groupe.”
D’un point de vue comptable, les frangins du 91 ont tapé dans le mille, ou plutôt dans le 100 000 (le nombre de ventes pour Dans la légende, leur premier album, en seulement un mois), sans interview. Un braquage grandiose et bien orchestré. “Ils ont su créer la curiosité, le désir, en développant ce côté inaccessible. Il faut savoir rendre la chose attractive, que les journalistes aient envie de parler de toi ou de ton groupe sans être sollicités, c’est un art”, ajoute Antoine Guéna.
“Ces disques ont aussi un point commun, voit-on chez Capitol. Ce sont avant tout des artistes de talent qui proposent de la bonne musique.” Un résultat de qualité, et de la générosité à n’en plus pouvoir envers un public à capter au jour le jour. “C’est l’essentiel”, conclut Antoine Guéna, avant de rappeler : “Au fond, il y aura toujours de nouvelles têtes repérées par des prescripteurs, ça ne changera jamais. Mais où les auront-ils découverts ? Sans doute sur le net.” La boucle est bouclée.
{"type":"Banniere-Basse"}