De retour à pas feutrés, les électrons libres islandais de Sigur Rós continuent de snober la gravité et la normalité. Critique et écoute.
Avec leur album en pluie de confettis Með suð í eyrum við spilum endalaust (2008), on avait laissé les quatre têtes chercheuses de Sigur Rós dans une explosion d’extravagance et de joie. Depuis, l’Islande a été cabossée par une tornade économique puis par un volcan dévastateur, et Sigur Rós a annoncé qu’il faisait une pause. Ce qui, pour la plupart des groupes, sous-entend une séparation lente mais inéluctable. Heureusement, Sigur Rós n’a jamais été la plupart des groupes, comme sa musique, venue d’un autre monde par voie céleste, en atteste depuis près de dix-huit ans.
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Pendant que les trois autres pouponnaient, Jónsi, chanteur enchanteur, a dorloté son escapade solo, Go, tout en psalmodies frétillantes, en poussant un peu plus loin ce souffle libérateur. “Cette période nous a fait du bien, explique Orri, batteur et claviériste. C’était rafraîchissant de se retrouver, de jouer ensemble à nouveau.” Sans compter Inni, leur double album live sorti en novembre dernier, Valtari marque les grandes retrouvailles avec un groupe dont la grâce frémissante manquait cruellement. Un album nommé Valtari, “rouleau compresseur” dans la langue de Björk, peut légitimement engendrer une certaine inquiétude mêlée à des sourires en coin : imaginer ces gringalets en version bodybuildée, coiffés en mullet, dégoulinants de riffs métallurgiques. Ils n’ont conservé que le rythme de l’engin en question, ces fragments broyés sans précipitation, écrasés par une force surpuissante – “une avalanche au ralenti”, proposent-ils avec exactitude.
Composé de huit morceaux qui s’étirent sur presque une heure, Valtari renoue avec l’introspection du classique Agætis Byrjun. “Il ne faudrait pas voir en nous que des musiciens torturés, dit Orri. J’ai l’impression qu’au fil de ces années nous avons couvert un spectre entier d’émotions et d’ambiances parfois contradictoires, de l’optimisme à la noirceur. Faire un disque dans la même veine que le précédent, ce serait d’un ennui terrible pour nous.”
Pari tenu sur ces chansons en apesanteur, foudroyées de chœurs aériens et du falsetto stupéfiant de Jónsi, róssignol en chef. Pour rappel, il écrit ses paroles en islandais, en volenska (une langue de sa propre invention) et en anglais (sur son album solo). Dans tous les cas, on ne comprend pas un seul mot de ce qu’il gazouille – et c’est magnifique.
Parmi les différentes orchestrations, discrètes mais miraculeuses, un piano s’élève au-dessus d’un champ de lave : pas un luxueux piano à queue sorti d’une soirée de gala, plutôt un piano déglingué après être tombé du ciel, pour tenir compagnie aux plaintes de guitares électriques jouées à l’archet. Si l’euphorie radieuse laisse place au revers de la médaille, au lendemain de fête, on a rarement vu une gueule de bois aussi grandiose, enveloppée dans un duvet moelleux et ornée de joyaux aussi purs que des glaciers.
Concerts : le 24 août à Saint-Cloud (Rock en Seine), le 11 septembre à Arles, le 12 à Toulouse
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