Tiré de son inoubliable tournée de 1987, ce film montre le chanteur au sommet de son art. Et de ses turpitudes sexuelles et religieuses. Jeudi 23 novembre dès 20h, Pathé Live le projettera dans plus de 150 salles de France.
Dix huit mois après son décès d’une overdose de Fentanyl à l’âge de 57 ans, Prince continue d’attirer une lumière qui lui fut si essentielle de son vivant. Sauf que là, le coup de projecteur n’est plus très flatteur. Mayte Garcia, son éphémère épouse durant deux ans, vient de publier un livre (The Most Beautiful, My Life With Prince) dont les sites à sensations se sont empressés de ne retenir que la part sordide. Dans ce ‘revenge book’, elle dresse le portrait d’un Prince qui n’a vraiment plus rien de charmant. Elle y affirme entre autre qu’il l’aurait affamée pour qu’elle perde des rondeurs, potentiellement dommageables à sa silhouette de danseuse sur la tournée Diamonds & Pearls. Qu’il l’aurait humiliée en s’exhibant en public avec une autre. La palme de l’indigne revenant à ce passage où elle évoque la perte de leur enfant, Amiir, peu après sa naissance, ainsi que la fausse couche qu’elle fit quelques mois plus tard. Deux tragédies auxquelles le musicien aurait réagi avec indifférence. Lorsque Mayte, effondrée, lui apprend sa fausse couche, Prince se contente de dire : « Bon, je dois retourner en studio » avant de disparaître. Des révélations qui restent toutefois sujettes à caution, aucun témoin n’ayant assisté à la scène.
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Mâle Alpha
Que Prince ait été un monstre, qui en doute ? Un monstre de travail pour commencer. Qu’il ait eu un comportement de mac avec l’une de ses favorites, why not ? Si son féminisme ne souffre guère la contestation- aucun artiste de sa génération ne s’est autant entouré de femmes, ni n’a autant œuvré à leur promotion- cela ne le disculpe en rien d’un comportement parfois machiste. Dans une récente interview donnée au quotidien britannique The Guardian, l’une de ses plus proches et fidèles collaboratrices dans les années 80, l’ingénieur du son Susan Rogers, le décrit comme « quelqu’un qui avait besoin de se sentir le mâle Alpha du studio pour mener à bien son travail. » Un travail, toute une œuvre en fait , qui se sont beaucoup nourris de l’opposition classique entre amour romantique et luxure où la Femme est soit idéalisée, soit réduite à un rôle de succube précipitant le mâle dans un abîme de turpitudes lubriques. Aussi, dans le contexte actuel d’une guerre larvée entre les sexes, réactivée par l’affaire Weinstein, la ressortie en salle du film Sign O The Times de 1987 tombe à pic.
Chercher l’Echelle
Prince avait des relations tordues avec les femmes. Or aucune de ses créations ne les a mieux mises en scène que Sign O The Times, double album foisonnant qui une fois adapté s’est transformé en revue soul à l’ancienne corrigée par la technologie d’alors, puis travestie en flamboyante comédie musicale. Pour ceux qui eurent la chance d’assister aux concerts de la tournée européenne, nul doute que Sign 0 The Times constitue l’un des sommets de sa carrière. Dans le souvenir de beaucoup, notamment le mien, cela reste l’un des plus beaux spectacles jamais vus. Un sommet musical et chorégraphique qui résulte pourtant d’une séquence chaotique. A l’époque, le petit démiurge de Minneapolis sort de l’échec de son second film, le navrant Under The Cherry Moon, que le succès de la bande originale non officielle que constitue l’album Parade ne parvient à effacer. Comme à son habitude, Prince ne trouve de soulagement à sa frustration que par un surcroît de travail.
A l’époque il a toute une batterie de casseroles sur le feu. Il compose, produit, arrange pour une chiadée d’artistes : The Family, Madhouse, Mazerati, Jill Jones, The Bangles (Manic Monday), Sheila E, Sheena Easton etc. Certaines contributions ont pour cadre son studio flambant neuf de Paisley Park et voient le jour sur le label, du même nom, qu’il vient de fonder. Parvenu à ce degré d’autonomie, tout en sachant préserver son aura de mystère, il surfe sur une vague de rumeurs. Rarement bienveillantes. On le présente comme un nouveau Howard Hughes. On décrit sa maison comme une forteresse habitée par un ermite terrorisé, paranoïaque, qui a engagé un goûteur chargé de tester les plats cuisinés pour lui. Une image inquiétante qu’étayent certaines fuites en direction de la presse. Comme cet échange énigmatique rapporté par son manager Steve Fargnoli… « J’ai demandé à Prince son prochain objectif. Il m’a répondu : ‘Chercher l’échelle.’ Je lui ai demandé ce qu’il entendait par là, il m’a juste dit : ‘Parfois il neige en Avril. * » Assez pour spéculer sur sa santé mentale.
Queutard !
En plein remue méninge, Prince l’est assez pour tout remettre en question, sa vie privée, sa carrière, son entourage. Lors d’une répétition avec son groupe The Revolution, il s’en prend à Wendy Melvoin et Lisa Coleman en ces termes: « Espèce de sales gouines, allez donc rôtir en enfer ! » Ce à quoi les deux musiciennes répondent par : « Et toi aussi espèce de queutard impénitent. Tu n’es qu’un queutard, un porc ! » Ambiance. A l’origine de la querelle, la thèse largement défendue par la presse selon laquelle Wendy la guitariste et Lisa la claviériste sont les vraies garantes de l’identité sonore de The Revolution. De quoi piquer l’ego à vif d’un Prince qui traverse une période de doute. Quant aux coups sous la ceinture, ils révèlent une situation amoureuse compliquée. Officiellement en couple avec Susannah Melvoin, sœur de Wendy, Prince espère qu’elle lui restera fidèle pendant qu’il s’autorise des aventures. Peu adepte du statu quo, il finit pourtant par rompre avec Susannah et se sépare de Wendy et Lisa. Un double break qui engendre une chanson comme The Ballad of Dorothy Parker, composition inspirée de Joni Mitchell, et un nouveau son plus électro et funky.
Retranché dans son studio, plus isolé que jamais, il reprend à son compte toutes les parties instrumentales et se convertit aux derniers gadgets. Synthétiseur Fairlight et boite à rythme Lynn Drum font ainsi leur entrée sur une chanson intitulée Sign O The Times, petit bijou d’electro funk.
La croix
Seule composition de son répertoire à caractère social, Sign O The Times livre une vision lugubre d’une Amérique des années 80 dominée par un matérialisme désinhibé mais où le sida, le crack et les gangs armés font des ravages, tandis que le gouvernement rêve de conquête spatiale. Le titre est emprunté à un rap de Grand Master Flash. Mais a pour source les évangiles où il est dit que c’est par certains signes que la fin des Temps et le retour du Christ seront annoncés. Bientôt membre de la confrérie des Témoins de Jéhovah, Prince a toujours remercié Dieu sur la pochette de ses albums (et même enregistré God, chanson en face B du single de Purple Rain) tout en déchargeant ses fantasmes dans des chansons aux titres souvent très explicites, comme Head (suce). Mais la dualité, ou la rivalité, entre sexe et religion va connaître son paroxysme avec l’album en chantier.
Comme perdu dans un labyrinthe d’options contradictoires, Prince compose à la fois des chansons de pure exaltation sexuelle, comme Hot Thing ou I Could Never Take The Place of Your Man, et d’autres où il semble n’aspirer qu’au G.A.E. (Grand Amour Eternel) comme Forever in My Life. Prisonnier de ce dilemme, c’est au pied de la Croix qu’il se jette en quête de salut. The Cross, sera donc à la fois son come out chrétien et l’un des sommets du futur album.
La boule de cristal
A l’origine, l’idée était deux albums, Camille et Dream Factory. Puis un triple album intitulé The Crystal Ball. Sauf que Warner refuse et que le bras de fer tourne à l’avantage du label alors que Prince, emporté par son élan, continue de remplir sa besace de nouvelles chansons. Dernières en date, Housequake, électrocution parfaite entre house, funk, rap et electro, et U Got The Look en duo avec l’écossaise Sheena Easton.
Pendant ce temps une autre femme se glisse dans l’intimité princière. Batteuse à la technique et à la plastique phénoménales, Sheila E se voit invitée à occuper le tabouret laissé vacant par Bobby Z, le batteur de The Revolution qui a suivi Wendy, Lisa et bassiste Max Brown vers la sortie. Frustré de devoir accepter le compromis du double album qui ne reflète pas sa vraie vision, Prince cogite à un spectacle total et demande à Roy Bennett, qui a conçu tous ses décors depuis Dirty Mind en 1981, de créer une scène à la Broadway, façon quartier chaud avec lampadaires et néons de boites de strip. Coût du projet : 2 millions de dollars. Warner s’arrache les cheveux. Non seulement le zèbre a des exigences dignes de Pink Floyd mais en plus il souhaite réserver à son public européen l’exclusivité du spectacle qui, une fois filmé, sera projeté dans les cinémas outre atlantique afin de palier à l’absence de concerts américains !
L’Orgie maîtrisée
Sur les quatre concerts donnés au Palais Omni Sport de Paris Bercy en Juin 1987, j’en ai vu trois. J’ai raté le quatrième à cause d’un bête accident de voiture dont je suis sorti le nez cassé. A part celles de David Bowie et, pour d’autres raisons, de Frank Zappa, aucune prestation n’a jamais atteint à mes yeux ,ni à mes oreilles, pareil degré de perfection. Il y avait quelque chose de totalement orgiaque et de parfaitement maîtrisé dans ce show. Ne serait ce que par la profusion de musique qui jaillissait d’une multitude de sources. L’une venait de James Brown, l’autre de Jimi Hendrix (les monumentaux solos de guitare). La troisième, synthèse des deux premières, de Sly Stone. D’autres encore du gospel (Forever in My Life), ou du jazz de Charlie Parker, le Lovesexy Band, comme se faisait appeler le nouveau groupe, reprenant le Now’s The Time du roi du be bop histoire de mettre en valeur les qualités techniques de chacun. Mais la dernière source, elle, venait clairement du futur, de l’âge du beat digital. Ceci couplé à une chorégraphie renversante mettant en lumière la danseuse hot Cat Glover, mais aussi un Prince qui tel un Peter Pan en transe dionysiaque cherche à surpasser en défis gravitationnels son rival Michael Jackson, le résultat est juste ‘jaw droping’. A peine croyable. Le tout ponctué d’effets visuels qui n’ont rien de virtuels ou de spéciaux.
https://www.youtube.com/watch?v=phLwJRszYqE
Comme le coït à la fin de If I Was Your Girlfriend où Cat et Prince se connaissent bibliquement couchés sur un grand cœur rouge qui pivote. Ou cet autre : Prince qui arrache avec les dents la jupette de Cat en glissant à la manière d’un patineur artistique entre les cuisses de sa partenaire. Un geste qui aujourd’hui recevrait les foudres de toutes les ligues féministes. Car autant la musique proposée verse dans un confondant modernisme, autant le fil conducteur du spectacle – une vague histoire de ménage à trois- rejoint in fine une conception très classique, voire conservatrice, du rapport homme/femme. A l’écoute de Hot Thing, on a même l’impression de revenir au 8ème siècle avant Jésus Christ quand le poète grecque Hésiode, évoquant la création de la première femme sur terre, l’appelle « kalon kakon », ce qui veut dire « diabolique jolie chose » ! Or cette réification de la femme fut totalement admise à l’époque.
Filmé à Rotterdam les 27 et 28 Juin 1987, Prince devra tout reprendre en studio à cause d’une prise de son défectueuse. Si bien que l’intégralité du show sera réenregistrée et filmée à Paisley Park. Des séquences fictionnelles sensées donner à l’ensemble la cohérence d’une comédie musicale, ainsi que le clip de U Got The Look avec Sheena Easton seront ensuite ajoutées en post production. Le film coûtera 2 millions et demi de dollars. Warner refusera de le sortir sur le champ comme le souhaitait Prince. Si bien qu’il se tournera vers la compagnie de distribution canadienne Cineplex Odeon Film pour son lancement. Environ 20 000 salles de cinémas le projetteront à partir d’Octobre 1987. En revanche, en Europe la projection en salle de ce sommet princier est une première.
Le film sera retransmis jeudi 23 novembre dans presque 200 salles de France. Toutes les informations sur le site de Pathé Live.
* The Ladder et Sometimes It Snows in April sont les titres de deux chansons qui apparaissent respectivement sur les albums Around The World in A Day et Parade.
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