Sidney, mythique animateur de l’émission H.I.P H.O.P, a été désigné parrain de la dixième édition du festival Paris Hip Hop (19 juin – 6 juillet). L’occasion d’aborder avec lui la très riche programmation, mais aussi de revenir sur 30 ans de culture hip hop en France.
Sidney, animateur mythique de l’émission H.I.P H.O.P nous reçoit quelques jours avant l’ouverture du festival Paris Hip Hop, à deux pas de la caserne de Reuilly (12e arrondissement), où aura lieu, le 19 juin, la soirée d’ouverture de cette dixième édition. Pour l’occasion, le bâtiment de 1 000 mètres carrés a été investi par une vingtaine de graffeurs pour une oeuvre aussi magistrale qu’éphémère. Dans un mois les créations de ces streets-artistes venus du monde entier disparaîtront avec la destruction du bâtiment.
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Vous êtes le parrain de cette dixième édition du Paris Hip Hop Festival, qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Sidney – Une reconnaissance avant tout. Je le répète souvent, je n’aurais jamais imaginé que 30 ans après H.I.P H.O.P, on continuerait de m’interroger sur la culture hip hop. C’est un honneur pour moi que cette association qui depuis plus de dix ans célèbre la culture hip hop, en plein Paris m’ait choisi ! Cela signifie que d’une certaine manière, je représente l’un des piliers de cette culture en France. C’est comme si je touchais un énorme salaire, mais sans les billets (rires).
Votre émission H.I.P H.O.P a plus de trente ans maintenant. Avec le recul, que représentait ce programme, qu’on cite encore en référence aujourd’hui, alors qu’il a duré moins d’un an (43 épisodes en tout, ndlr) ?
Tout d’abord, nous n’avions jamais imaginé toucher autant de jeunes de toutes les classes sociales, de toutes les tranches d’âges. Il faut se remettre dans le contexte, il n’y avait rien pour les jeunes à l’époque et encore moins pour les jeunes des banlieues. On a été les premiers à la télévision à leur parler directement. La France n’était encore qu’un pays de rock’n’roll en 1984. Avec H.I.P H.O.P, on a enfin pu voir Mamadou ou Mohamed à la télévision. La jeunesse des banlieues s’est mise à rêver en se disant : « Moi aussi, je peux être connu et passer à la télévision. On va enfin pouvoir faire quelque chose de nos vies. » La culture hip hop a touché toutes les nationalités, elle était universelle. Les différentes disciplines qui le composent (danse, tag, chant et DJing) communiquaient entre elles.
Marie-France Brière (à l’époque responsable de l’unité de programme de variétés de TF1, ndlr) a-t-elle eu un rôle important dans l’apparition de H.I.P H.O.P à la télévision française ?
Absolument. Il n’y aurait pas eu d’émission sans des personnes comme Marie-France Brière ou Jacques Martin, qui avaient la volonté de faire bouger les choses. Ca a été dur, je crois même qu’elle avait mis son poste dans la balance. Elle avait l’habitude de prendre des risques, de marcher sur un fil. Elle savait de quoi elle parlait, c’était une visionnaire.
Quels souvenirs les plus marquants de l’émission retenez-vous ?
Il y en a tellement, j’aurais de quoi écrire un livre ! Je me rappelle tout de même du jour où l’on s’est dit qu’on allait sortir du sentier battu du hip hop, en invitant Madonna pour le tournage de Holiday. On pensait se faire tirer dessus, mais on l’a quand même fait car elle faisait partie de notre base de culture new-yorkaise… Et trente ans après, on m’en parle encore.
S’il fallait parler d’un autre souvenir, je retiendrais les dernières émissions avec tous les danseurs et Paco Rabanne qui nous avait prêté ses locaux. Ainsi que Gilbert Montagné venu en live sur le plateau, contre l’avis de sa maison de disque alors qu’il était en pleine promotion de son nouvel album. Il a juste dit : « Je m’en fous, je vais voir Sidney. » C’était l’un des meilleurs chanteurs qu’on avait en France, totalement soul, il représentait tout ce que j’aime. Ces 43 éditions de H.I.P H.O.P réalisées, avec le peu de moyens qu’on avait, ont toujours été des moments très forts.
Comment voyez-vous l’évolution du hip hop depuis ces 30 dernières années ? Et notamment les relations délicates qu’ont pu entretenir rappeurs et politiques ?
Il s’agit de deux questions bien distinctes. L’évolution du hip hop est une chose. Les rapports avec la vie politique et sociale en est une autre. Le hip hop a la même fonction que le rock’n’roll au niveau sociétal et des revendications. Rappelle-toi d’Antisocial et de son morceau Trust par exemple. Le hip hop est depuis toujours revendicateur, rassembleur à la fois triste et gai, il fait la fête ! C’est une culture à part entière. Comme peut l’être une peinture ou un livre. Le hip hop est une vie en soi, faite de hauts et de bas. Quand un rappeur dénonce des choses, c’est par son art. Son arme, c’est son rap et son vocabulaire.
Sur le strict plan de l’évolution, le hip hop a bougé comme toute culture qui s’élève, avec du bon et du moins bon. Je ne peux pas te dire que le hip hop évolue mal par exemple, le ressenti est quelque chose de très personnel. Mais je comprends que certaines personnes puissent décrocher du rap français, car ils ne comprennent plus ce qu’il s’y passe. Un type de 25 ans ne va pas comprendre comme un ado de 15 ans des artistes comme Kaaris ou Gradur. Je me considère pour ma part old school, je vais préférer les rappeurs « d’avant ». Mais j’aime aussi Orelsan ou le premier album de la Sexion d’Assault, même si j’ai décroché depuis. Je trouve que ce qu’ils font maintenant n’est plus du tout hip hop.
Comment ça ? Se sont-ils tournés vers la variété ?
Mais il peut y avoir de la variété dans le hip hop. MC Solaar par exemple, a su faire de la bonne variété hip hop dans ses premiers albums. Quand on écoute Qui sème le vent récolte le tempo, on se trouve face à un album complet avec sa part de variété. Il suffit d’écouter Caroline pour s’en rendre compte. Il jouait avec les mots, sur une musique audible par tous. Ca ne pose aucun problème à partir du moment où tu respectes la culture hip hop.
Certains ne respectent plus cette culture pour vous ?
Ce n’est pas qu’ils ne le respectent plus mais ils s’en sont servis d’une certaine manière pour arriver à leurs fins. Ce n’est pas gênant non plus, mais qu’ils ne se revendiquent plus artistes hip hop.
Qui visez-vous ?
Personne en particulier (rires). Je suis un rassembleur, pas un découpeur de rondelles. Que ceux qui se sentent visés viennent me voir, je leur expliquerais quelle est ma perception. Je pense que c’est bien et normal que des artistes issus de la culture hip hop fassent du « commercial » pour vendre des disques et gagner leur vie. Ils sont partis de rien et y sont arrivés. Mais qu’ils ne disent pas qu’ils continuent à faire du hip hop. Il y en a pour tout le monde, aucun problème. Ce qu’il ne faut pas, je le répète, c’est utiliser une culture alors que ce n’est pas ça. Il ne faut pas qu’il arrive au hip hop ce qu’il a pu arriver à la musique funk par exemple. A partir du moment où l’on dénature les termes que l’on utilise, les gens se perdent et font n’importe quoi.
Revenons sur le festival, que pouvez-vous nous conseiller parmi la programmation plutôt riche de cette année ? Quels sont vos coups de coeur ?
Je suis le parrain, je vais dire à tout le monde d’aller partout ! (rires) Il y a des valeurs sûres comme le Wu-Tang qui sont incontournables mais j’invite aussi le public à s’intéresser à Demi Portion ou Guizmo par exemple. Il faut aller voir ce qui est « old school », mais aussi creuser du côté des jeunes talents. L’essence du hip hop, c’est la recherche des nouveautés. Je prends du plaisir à découvrir ce que font les jeunes rappeurs de 18 ans, la vision qu’ils ont de la vie, et quelle vaisselle ils vont bien pouvoir m’envoyer dans la tronche (rires).
Propos recueillis par Julien Rebucci
Festival Paris Hip Hop, du 19 juin au 6 juillet 2015 à Paris, la programmation complète est à retrouver par ici.
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