Manchester, le r’n’b, la forêt amazonienne, Cyndi Lauper, la culture DIY, Jessie Ware, les fringues des années 90 : Shura empile les influences discordantes sans réelle inquiétude des unités de temps et d’espace. Mais la hype qui précède la sortie de son premier album s’installera-t-elle sur la durée ?
De Manchester à ton iPod (en passant par l’Amazonie)
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L’histoire raconte qu’Aleksandra Denton est née à Manchester il y a une double douzaine d’années d’une mère russe et d’un père anglais. Elle commence la guitare à treize ans, attend l’université pour former son premier groupe et décide d’adopter le surnom de Shura, diminutif de son prénom en russe. La chanteuse profite alors d’une année de césure pour découvrir l’Amazonie : moment idéal pour ouvrir son imaginaire au contact de la forêt et de la solitude…
Okay, le parcours semble tout droit sorti du générateur de biographies automatiques utilisé par les artistes les plus chiants de la planète. Ceux dont la subite prise de conscience altermondialiste conduit à considérer la cumbia comme un genre musical soluble dans l’électro et dont les considérations métaphysiques limitent fatalement le potentiel de fascination. Mais contrairement à ce que sa présentation officielle peut laisser craindre, Shura ne pince pas les cordes d’une guitare rafistolée pour gémir des chansons biocompatibles sur des beats claqués. Entre pop et électro, fantômes de Cyndi Lauper et influences de Jessie Ware ou Blood Orange, la Britannique se contente de susurrer la platitude de ses histoires d’amours impossibles. Dans la plus pure tradition pop, la musique de Shura signe donc une nette et très esthétique victoire de la forme sur le fond. Une posture exaltée par quelques vidéos devenues virales comme le clip de Touch apparu en début d’année dernière et qui empile déjà une dizaine de millions de clics.
Pop-star… de YouTube
Si les paroles de Shura manquent clairement de relief, l’ascension de la chanteuse transporte un large spectre d’affects et de réalités en rapport avec certaines préoccupations de sa génération. Pur produit d’Internet, Shura a construit son personnage toute seule en apprenant à programmer ses boîtes à rythmes et ses séquenceurs depuis le confort sa chambre de post-ado. Ses influences hybrides croisent la pop des années 80 et le r’n’b évanescent des années 2010, ses fringues draguent les années 90 et ses clips se chargent d’assumer la liberté de ses orientations, qu’elles soient musicales, stylistiques ou sexuelles.
Dans un entretien livré à Stereogum en fin d’année dernière, la jeune chanteuse revenait sur l’importance de garder le contrôle sur sa production artistique et de se débrouiller seule :
« J’ai un total contrôle sur l’enregistrement de mes morceaux. Je ne suis pas très douée pour faire ce qu’on me dit de faire et j’adore me retrouver seule dans ma chambre à me questionner sur la pertinence d’un pattern de batterie. Travailler avec d’autres personnes implique forcément des concessions. »
Si vous êtes forts en anglais (et en accent), vous pouvez l’écouter parler de son travail de musicienne dans cette vidéo de la BBC.
Remarquée dès 2011 pour son travail sur l’album de Hiatus, Shura aura donc attendu 2014 pour faire ses preuves en solo. Et sans doute 2015 pour exploser avec la sortie d’un premier album en cours d’écriture forcément attendu par les petits cœurs fragiles qui battent derrière les clics en pagaille. Pour l’instant, le rayonnement de l’artiste originaire de Manchester reste limité à YouTube, aux playlists en vogue des blogs de fashionistas et à l’habillage sonore des boutiques cools de Londres, New-York ou Berlin (comprenez Dalston, Williamsburg et Kreuzberg).
Les quatre morceaux publiés par Shura en l’espace d’un an, ont ceci de sympathique qu’ils rentrent en tête dès la première écoute mais ne poursuivent pas la mémoire à l’infini comme les sortilèges chantés par Cyndi L. dès le début des années 80.
Réunir les publics
Pour élargir son ambition et la renommée d’un alias qui aurait pu la condamner à écumer les pires compétitions de cosplayers britanniques (on a maté des photos, c’est très angoissant), Shura peut compter sur sa récente signature sur Polydor. La force de frappe du label d’Universal pourrait lui permettre de confirmer la percée de FKA Twigs dans la catégorie des artistes r’n’b validées par la culture indé.
Shura reprend d’ailleurs une bonne partie du geste artistique assumé par la chanteuse précitée en miaulant de façon plutôt cohérente le long de productions vaporeuses dont l’intérêt se trouve renforcé par des clips ultra-travaillés. Sauf que la Mancunienne n’hésite pas à incarner une filiation douteuse avec les Bangles sur des refrains qui frisent parfois la révérence balourde à la bande fm des années 80.
https://www.youtube.com/watch?v=cueWoIHosx4
Faire le lien entre et les publics et les époques, c’est là tout l’enjeu du premier album de Shura. La chanteuse qui compte des millions d’écoute sur YouTube et Soundcloud n’affiche « que » 48 000 fans sur Facebook et à peine 9000 sur Twitter. Une visibilité relative qui contraste nettement avec le vertige statistique de ses morceaux mis en ligne sur Internet. Sans réelle existence médiatique et avec seulement une petite quinzaine de concerts derrière elle (dont la première partie de Kindess au Trabendo en octobre dernier), Shura ne reste qu’une nouvelle voix dans l’histoire de famille déjà compliquée du r’n’b que l’époque tend à diluer dans la pop et l’électro (Banks, FKA Twigs, Solange, Jessie Ware, Rosie Lowe…).
Et même si ces quatre morceaux publiés en un an, rappellent certains passages des carrières de Janet Jackson ou Madonna (pas les meilleurs), la perspective de voir ressurgir certaines textures instrumentales disparues avec l’année 1986 n’est pas du genre à rassurer sur la propension de Shura à éviter les faux pas. Le malaise que procure l’écoute du morceau Indecison parle d’ailleurs de lui-même.
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