L’idée d’une compilation réunissant les plus grandes Castafiore chinoises des années 30 était alléchante : pendant l’entre-deux-guerres, Shanghai la cosmopolite, fleuron de l’industrie du disque et du cinéma, fut une volière de luxe remplie de ravissants rossignols, roucoulant au son des plus fines brises orchestrales. On flaire hélas un mauvais coup en découvrant le titre […]
L’idée d’une compilation réunissant les plus grandes Castafiore chinoises des années 30 était alléchante : pendant l’entre-deux-guerres, Shanghai la cosmopolite, fleuron de l’industrie du disque et du cinéma, fut une volière de luxe remplie de ravissants rossignols, roucoulant au son des plus fines brises orchestrales. On flaire hélas un mauvais coup en découvrant le titre de cette rétrospective : que vient foutre ici la poisseuse étiquette « lounge », qu’on croyait réservée aux poubelles musicales des bars chicos ? On prend carrément la nausée en apprenant que ces enregistrements ont été « remixés pour aujourd’hui » ? c’est-à-dire, comme l’explique le livret écrit en sabir marketing, « pour un public plus jeune et international ». Un jour, il faudra qu’on nous explique pourquoi la jeunesse occidentale serait fatalement condamnée à bouffer des beats à la noix et à lire les plus belles pages du passé à travers la lorgnette crasseuse de quelques DJ révisionnistes.
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Avec ses tatapoums grotesques et ses nappes de synthé croupies, le volet « jeune et international » de Shanghai Lounge Divas est une vraie merde, un truc tellement salissant que même d’authentiques oiseaux rares comme Chow Hsuan ou Bai Kwong n’y ont plus l’air que de pauvres mouettes mazoutées. Dieu merci, les concepteurs de cette purge ont eu une pensée pour les vieux Chinois comme nous, qui préfèrent les beautés naturelles à leurs ersatz frelatés. Sur un deuxième CD qualifié à juste raison de « bonus », on peut donc retrouver dans leurs parures d’origine une bonne quinzaine de chanteuses (et parfois actrices) fatales, dont les vocalises altières et haut perchées se juchèrent au sommet des hit-parades de l’époque.
A la clinquante ferblanterie du disque de remixes répond la merveilleuse impureté de ces joyaux éternels, fruits d’un mariage aussi improbable qu’heureux entre les traditions chinoises (les voix flûtées, les paroles en mandarin), le savoir-faire occidental (les mélodies, dignes des comédies musicales hollywoodiennes) et les sonorités caribéennes (les orchestrations et les rythmes qu’on croirait empruntés aux meilleures formations cubaines). Conçues le plus souvent par des compositeurs du cru (hélas non crédités), ces bluettes aux charmes capiteux témoignent d’un temps où la chanson sentimentale, tombée entre les mains d’une industrie qui croyait encore à l’alliance du cœur et du métier, était à son apogée. C’est l’implacable constat que délivrent malgré eux les concepteurs de ce projet boiteux : d’un disque à l’autre, Shangai Lounge Divas permet de mesurer la distance entre les marchands de rêves d’hier et les sinistres épiciers d’aujourd’hui.
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