Parce que les Américains ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes sur « Comedown Machine », on a listé, en bon fan ultime, triste et déçu, sept raisons de les pleurer à l’occasion de la sortie de leur cinquième album.
Parce qu’on ne se fait pas à la voix de chat castré de Julian Casablancas
Avouons-le : l’une des raisons pour lesquelles on a aimé les Strokes jusqu’à l’écœurement, c’était la voix de leur leader, pleine de faille, pas toujours juste, voilée, toujours entre profonde mélancolie et colère rentrée. Que dire des nouvelles performances vocales de Juju, entre voix de mec qui a le doigt coincé dans une porte et timbre de chat castré ? Angles avait déjà annoncé la couleur, mais Comedown Machine le confirme : la voix des Strokes n’est plus – No ! Why ? Porque ?
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Parce qu’on les préférait énervés qu’apathiques
A l’exception de 50/50, titre crasseux et dans la droite lignée du troisième Strokes, on se demande bien où est passé la nervosité des Américains, ce don pour des mélodies à la géniale efficacité. Comedown Machine, c’est la victoire de l’apathie sur un groupe qui n’a plus rien à dire ou à défendre. Casablancas s’était montré doué dans ce registre – on pense à Ask Me Anything et son refrain « I’ve got nothing to say » (« je n’ai rien à dire« ) justement –, mais à part peut-être dans Call It Fate, Call It Karma, on ne retrouve même pas le début de ça sur ce cinquième album franchement mou du genou.
Parce qu’on aimait profondément leurs clips
La chose n’est un secret pour personne : les Strokes ont quelques menus problèmes relationnels. On connaissait leurs guerres d’égo depuis First Impressions of Earth, ils en parlaient même ouvertement à la sortie de Angles. Là, les soucis passent à un autre stade puisque le groupe ne semble même plus capable de se réunir dans la même pièce pour tourner un clip ensemble. Que dire de All The Time, morceau pourtant acceptable, et de son triste clip fait d’images d’archives à la nostalgie écrasante ?
Plutôt que de se repasser des vieux instantanés mis bout à bout d’un groupe qui fut un temps heureux, on préfèrera revoir les têtes de jeunots de Casablancas et consorts à l’époque Room on Fire (Reptilia), se marrer devant le clip de Someday feat. Guided By Voices et une fausse Famille en Or, déplorer la petite mort du collectif dans le très beau et symbolique clip de Under Cover of Darkness (avec Juju en chef d’orchestre). Et célébrer les deux meilleurs vidéos des Strokes de tous les temps : Heart in Cage (avec Juju qui se roule sur le pavé new-yorkais et Valensi en haut d’un gratte-ciel) et You Only Live Once où le groupe se noie dans des litres de pétrole, mais joue jusqu’à la dernière note – une belle métaphore là encore.
Parce qu’on ne peut se résigner à dire adieu aux solos de Nick Valensi
Comme on ne digère que très moyennement le changement de timbre de Casablancas, on avale aussi difficilement l’absence presque totale des légendaires solo de Nick Valensi – guitariste des Strokes de son état et fantasme ambulant pour 93% de la population féminine mondiale à l’époque où il n’était pas encore fâché avec son coiffeur. On cherche les riffs fiévreux de l’Américain sur Comedown Machine, on les attend et ils n’arrivent pratiquement jamais (exception faite d’un début de solo mollasson sur Tap Out et de celui d’All The Time). On sent la guitare de Valensi étouffée sous une couche de cendres tout au long de l’album – celle du groupe peut-être ?
Parce que la BO du Flic de Beverly Hills ne nous a jamais convaincu
Question de goût certainement, mais quand on pense que les Strokes ont été le symbole du si mal nommé « retour du rock » (où était-il parti exactement ?), on se demande bien comment l’opération se solde aujourd’hui par le retour des années 80 et de ses affreux synthés. La chose aurait peut-être pu passer si la production de Comedown Machine était à la hauteur – l’album solo de Julian, Phrazes for the Young, l’avait habilement montré –, mais rien à faire sur ce cinquième album : One Way Trigger et plus encore Tap Out et son intro digne de la BO du Flic de Beverly Hills nous donnent des hauts-le-cœur et déclenchent, à notre plus grand désarroi, crise de rire (et de larmes de sang).
Parce qu’ils n’ont plus envie
On entend le sifflement dans l’air de la volée de cailloux arriver en direction de notre tête, mais soyons honnête : on s’ennuie profondément à l’écoute de Comedown Machine et on n’est pas les seuls. Le groupe lui-même semble passer un moment particulièrement pénible, entre resucée de leurs premiers morceaux circa 2001 et tentative de résurrection des eigthies. On entend l’ennui de Valensi, Fabrizio Moretti, Albert Hammond Jr. et Nikolai Fraiture sur ce disque. Comedown Machine sonne comme une ultime tentative pour sauver les meubles d’un groupe qui s’effrite depuis plusieurs années maintenant. Mais là où les Libertines avaient par exemple su mettre leurs tensions et leur éternelle relation d’amour-haine au service de titres explosifs comme Can’t Stand Me Now (on constate le parallèle entre son clip et celui de All The Time d’ailleurs), celles des Strokes, elle, ne nourrit rien du tout. Dommage.
Parce que le groupe n’est plus
Plus que l’ennui du groupe, ce qui frappe le plus sur Comedown Machine, c’est son absence. On voudrait bien sûr savoir quelle mouche a piqué Casablancas pour avoir l’idée saugrenue de remplacer, sur certains titres, son métronome de batteur par une boîte à rythme, mais on essaie surtout de toutes nos forces de trouver sur ce disque le moindre esprit de groupe, le début d’une potentielle collaboration, d’un échange, d’une complicité. Angles sonnait la mort physique du groupe, brouillé, éloigné ; son successeur sonne sa fin mélodique : les titres de ce cinquième album ressemblent dans l’ensemble à de vieilles démos des Strokes (voire parfois de l’album solo de Casablancas) abandonnées et rapiécées par un leader qui se débat seul et semble refuser de laisser son groupe mourir en paix.
On aimait les Strokes pour une raison primordiale : cinq personnes et leur étrange alchimie. Les Strokes en tant que collectif ne sont plus et au-delà du clip de All The Time, on en vient même à se demander si le groupe a réellement mis les pieds ensemble en studio pour enregistrer Comedown Machine. La mort des Strokes aurait pu être grandiose, elle sera seulement lisse, sans vague et triste.
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