Appuyée par Cee-Lo Green, Meshell Ndegeocello ou Prince,
la carrière de la chanteuse belge Selah Sue ressemble à un rêve.
Qui a pourtant commencé dans la boue.
En plongeant dans ses yeux bleus enroulés dans une épaisse chevelure blonde, on croirait avoir affaire à une poupée. Mais la peau lisse et les traits délicats sont trompeurs. Il y a chez Selah Sue, 22 ans, une nervosité qui brise le masque enfantin au premier mot : “Enfance tranquille, famille tranquille, ouais… Mais, à 14 ans, tout s’est effondré, je suis tombée dans le gouffre. J’ai traversé une période abominable où plus rien ne m’allait.”
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C’est de là que tout part. En pleine crise, Selah se lance dans des études de psychologie, cherche du sens mais ne trouve rien : “Je passais mes journées à ne rien foutre, je n’allais pas en cours, je ruminais, j’étais d’une paresse extrême.” Dans sa fuite, elle griffonne ces étranges strophes qui parlent de puberté mal gérée, de sortir de soi, de se regarder de l’extérieur : “Ça parlait de crise identitaire, de s’accepter soi-même, d’apprendre à s’aimer. J’ai appelé ça Explanations, on peut dire que c’est ma première chanson.”
Puisant dans un répertoire black, elle s’invente un chant suspendu entre le flegme des poètes reggae et la hargne d’Erykah Badu ou de Lauryn Hill, influences tutélaires qu’elle trimballe dans de petits clubs. Jusqu’à ce que le Belge Milow, auréolé de sa reprise d’Ayo Technology, la remarque, l’approche et la secoue : “Il m’a trouvé des dates, ça a stimulé mon écriture. Tu ne peux pas tenir longtemps avec seulement deux chansons et quelques reprises de Lauryn Hill.” Tombe alors dans les bacs le maxi Black Part Love, un disque dont la production, étriquée, et la voix, trop inféodée aux influences de Selah, dispersent l’impact.
C’est finalement aux côtés du producteur allemand Farhot (Nneka) que Selah consolide ses visions en enregistrant un long format. Frottant les potions soul tirées de Black Part Love aux doctrines électroniques du producteur, elle amplifie les contrastes entre la profondeur des basses et ses intonations de tête : “Le hip-hop, le dubstep font partie de ma culture depuis longtemps. Ce tapis de basses, de rythmes lourds, est un contrepoint essentiel à mon chant.” Sombre et mélodieux dans un même souffle, le mix décolle, révélant une balance maîtrisée entre la puissance des rythmiques et les vocalises haut perchées que Selah libère d’une voix forte avec un débit de toaster jamaïcain.
Bénéficiant des collaborations de Patrice, du rappeur Cee-Lo Green ou de Meshell Ndegeocello, qui produit le chant déchiré Mommy, la formule convainc jusqu’à Prince, qui, en novembre, invitait la chanteuse à assurer sa première partie à Anvers. Sur scène, la machine redouble d’intensité, percutée par les figures libres et les commotions vocales qui transpercent les genres entre chaleurs soul, ferveur ragga et hoquets funk. Même si la part du texte puise, encore, dans le royaume des ombres, des colères et des questions : “Il n’y a presque qu’un seul thème, le même depuis le début. Ma psy me disait toujours de tenir un journal intime, je ne l’ai jamais fait, mais finalement, ce disque fait peut-être office de journal.”
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