Dans le sillage de la musique du beau barbu, une jeune génération de musiciens français ravive la flamme d’une certaine idée du made in France, née de la musique d’illustration des années 1960 et 1970.
“Moi, j’adore quand Sébastien fait de la musique de film !” Robin Coudert, plus connu sous le sobriquet onomatopéique Rob, évoque son bon copain Tellier, dont il fut le claviériste sur la tournée Politics (2004). S’il occupe aujourd’hui le même poste aux côtés d’autres vieux copains, Phoenix, lors des tournées monstres du groupe français, Rob est surtout fameux pour les bandes originales des longs-métrages qu’il compose, notamment chez Rebecca Zlotowski.
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Comme lui, Sébastien Tellier compte d’ailleurs dans sa discographie quelques disques spécialement enregistrés pour le cinéma, parmi lesquels Saint-Amour (2016), de Benoît Delépine et Gustave Kervern, Marie et les naufragés (2016), de Sébastien Betbeder et même une collaboration avortée avec Sylvie Verheyde pour son film Confession d’un enfant du siècle, qu’il sortira finalement sous le titre de Confection (2013) : “Les réalisateurs et les producteurs sont des mélomanes, ils ont su déceler en nous le côté hors format ; cette idée qu’à l’image et à travers des compositions plus libres et instrumentales, on va pouvoir restituer quelque chose de puissant”, poursuit Rob.
François de Roubaix, Jean-Claude Vannier et Janko Nilovic
La musique de Sébastien Tellier est ainsi souvent estampillée “cinématique”, parce qu’elle s’inscrit dans la tradition française d’un psychédélisme pop et exalte une grande idée de la puissance d’évocation des thèmes musicaux que l’on associe généralement au cinéma, et particulièrement à celui des années 1960 et 1970. Une dimension qui fera de L’Incroyable vérité (2001), son premier album,“un disque intemporel”. A l’instar des compositions de François de Roubaix.
Si le compositeur de la musique du film La scoumoune (1972) est une référence pour le natif du Plessis-Bouchard, il en est de même pour une jeune génération de musiciens français – adolescents au moment de l’explosion de la French Touch et de ses satellites inclassables, dont fait partie Tellier –, qui n’hésitent pas à se réclamer des autres grands noms de la library music ou musique d’illustration – en gros, la musique de catalogue à destination des pubs et du cinéma –, que sont Jean-Claude Vannier, Janko Nilovic ou encore Vladimir Cosma : “Les morceaux que Vannier n’arrivait pas à refourguer à Gainsbourg, il les mettait en library. Pour beaucoup de compositeurs, ça a été un lieu un peu secret de créativité. Dans les coulisses de la pop musique”, précise Rob.
Emile Sornin, aux manettes de Forever Pavot et du duo La Récré, fait partie de ces jeunes musiciens. Croisé notamment au générique du dernier album de Charlotte Gainsbourg, il convoque clavecins et arrangements bricoleurs, dans des albums qui sont autant de bandes originales de films sans image : “Je faisais du hip-hop au début. Quand j’ai commencé, je suis tombé sur des disques d’illustration sonore dans les brocantes, mais aussi de la musique qui servait à illustrer des jingles et des génériques. J’en avais aussi récupéré pas mal via ma famille. Comme avec le hip-hop tu samples une musique instrumentale, bah c’était une mine d’or”, se souvient-il. Et d’ajouter : “Mais il n’y avait pas que le hip-hop, il y avait ce truc français, les grands noms. Air, Sébastien Tellier, Mr. Oizo, ils parlent tous de library. Inconsciemment, ça m’y a conduit. Et même Daft Punk ! C’est évident qu’ils ont samplé.”
Un arrangeur français qui a bossé avec Manset et Hardy
Alexis Fugain, auteur, compositeur et chanteur du groupe parisien Biche, était au lycée quand est sortie La Ritournelle, en 2004. Une époque durant laquelle il travaille sa maîtrise du piano et de la batterie, matrice du morceau du beau barbu iconoclaste : “J’étais éloigné de tout ce qui était harmonique. Quand le morceau sort, cela correspond au moment où je me remets au piano. C’est aussi le moment où je me rapprochais des musiques de film”. Comme Emile Sornin, il met très tôt le nez dans les labels de library : De Wolfe Music, en Angleterre, Musique pour l’image et Tele Music, en France. Pour parfaire sa connaissance de la bidouille made in France, il a récemment lu le bouquin de Julie Estardy sur son père, Le Géant : Bernard Estardy, itinéraire d’un génie du son (Gonzaï Média, 2019). Le producteur et arrangeur français, ayant travaillé aux côtés Gérard Manset ou encore Françoise Hardy, est aussi le cofondateur du studio d’enregistrement CBE, où il mettait en boîte quelques-uns des grands hits de la musique populaire française : “Il y a une forme de légèreté dans cette musique. Entre deux sessions avec Carlos et Claude François, il laissait les micros ouverts pendant que les musiciens faisaient de jam. A partir de ça, il créait des choses qui finissaient en musique de stock.”
Outre le gros travail de réédition des labels (au hasard, la compilation Unusual Sounds, chez Anthology Recordings parue en 2018, ou encore les anthologies Space Oddities, chez Born Bad Records), quelle peut être la raison qui pousse la jeune scène pop française à mettre le nez dans ce que Rob appelle affectueusement “les poubelles de pop française”, avant de préciser qu’on y trouve “des merveilles” ? Pour Alexis, cela se résume à la force des thèmes “et aux images que ces thèmes peuvent susciter dans l’esprit des gens, précise-t-il. C’est ce qui précède le fait qu’on cite dans notre musique des références de library. C’est quelque chose qui est intrinsèque à beaucoup de musiciens et de compositeurs.”
De nombreux héritiers
Dans sa façon de mêler thèmes (musicaux) et thèmes (narratifs), Tellier ne fait pas autre chose. Sa musique pourrait autant évoquer la scène d’un Chabrol (L’Incroyable Vérité), que celle d’un porno seventies – rejoignant Air sur ce terrain de jeu un peu coquin avec son album Sexuality (2008). Plus que la virtuosité d’un musicien, c’est l’imagination qui mène la danse : “Tu poses une base et t’entends un thème. Je ne crois pas que ça demande d’avoir une connaissance de la théorie musicale poussée”, précise Alexis.
Aujourd’hui, de Bon Voyage Organisation, à Biche, en passant par Julien Gasc, Aquaserge, Catastrophe ou le Klub des Loosers, la jeune scène française continue de tirer le fil de ce label de qualité français que sont l’exaltation des images et l’ingéniosité des arrangements : “Il y a une tendance à reléguer les thèmes et les mélodies au second plan dans ce qu’on entend partout. Il faut que ça chante, que le rythme soit très en avant et le son ultra-compressé. T’as beaucoup moins d’harmonies, qui sont des choses que l’on adore jouer et écouter dans cette musique”, conclut Emile. Le prodige de Sébastien Tellier aura été de concilier image et mélodie. En d’autres termes, d’infuser la pop d’aujourd’hui et pour toujours.
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