La pop néo-zélandaise est une anomalie pacifiste ressuscitée par les brillants Ruby Suns, qui offrent sur une plage polynésienne un grand moment de beauté et de bien-être.
Loin des oreilles, loin du cœur : on l’a un peu oublié, mais il s’est écrit, dans les années 80-90, en Nouvelle-Zélande, une belle et discrète histoire du rock, dont quelques chapitres ont bercé l’enfance de ce journal. Ah, le label Flying Nun… Ah, les Chills, les Verlaines, les Bats, Chris Knox, les Tall Dwarfs, The Clean, les Able Tasmans… Merveilles de la pop australe, auxquels répondaient les plus soniques et expérimentaux Dead C, Alastair Galbraith, Peter Jefferies… En raison de leur éloignement géographique, la plupart de ces groupes solaires et insulaires sont malgré tout restés dans l’ombre, underground, grands perdants d’une histoire officielle écrite par le monde occidental. Alors, en attendant la réédition en coffret 150 CD de l’intégrale du catalogue Flying Nun, on le demande aujourd’hui avec la plus grande solennité : que justice soit rendue, que les erreurs du passé nous servent de leçon, que plus jamais personne ne s’interdise la découverte d’un bon groupe néo-zélandais sous prétexte qu’il n’a pas grandi à Brooklyn, Bristol ou Clermont-Ferrand.
Ça tombe bien, les Ruby Suns viennent d’Auckland (on n’a pas dit les Rugby Suns, non), et ils viennent aussi de sortir leur deuxième album. Le premier, Ruby Suns, était sorti il y a deux ans dans une indifférence assez prévisible. C’était pourtant le meilleur album des Beach Boys depuis une éternité. Sea Lion, leur deuxième album, ressemble beaucoup moins aux Beach Boys, mais il est encore meilleur. On n’écoute pas ce disque : on l’accoste. Ça commence par un morceau étale, liquide, un léger roulis qui nous pousse jusqu’au rivage, où nous attend la vision paradisiaque d’un chœur de vahinés vanillées. Les Ruby Suns ont dépassé les Beach Boys, pour remonter à la source de la musique de plage : le folk polynésien, les harmonies vocales fondantes, la polyrythmie solaire. L’enchaînement des morceaux Oh, Mojave et Tane Mahuta fait indiscutablement partie de ce qu’on entendra de plus beau cette année : le double effet Kiss Cool, un immense moment de bonheur et d’évasion, l’occasion rêvée d’échapper au conformisme et à la grisaille du rock indé.
Après, ça se pose un peu, c’est comme si le chanteur des Ruby Suns s’était endormi sous le cocotier, en rêvant de chansons et de ses prochaines vacances. On est parti avec lui, on a plané au ralenti sur ce disque libre où s’entrelacent harmonies de voix éthérées, electronica cotonneuse et bruits de la nature. Sea Lion est un voyage où les escales semblent plus importantes que la destination. Etrange et charmant disque, qui semble faire le lien – ou lancer des lianes – entre la musique maori, la pop californienne sixties, l’electro-pop anglaise des années 80 (New Order, Depeche Mode) et l’esprit néo-folk libertaire des contemporains Animal Collective ou Tuung. Tropicalistes des antipodes, les Ruby Suns donnent l’impression d’être dix groupes à la fois, qui jouent à cache-cache dans la jungle, dont les musiques se superposent comme de feuilles de papier calque de couleurs différentes.
Pourtant, ce groupe kaléidoscopique est quasiment un projet solo, composé, joué et surtout fantasmé par le jeune Ryan McPhun derrière son ordinateur. On rencontre Ryan à Austin, à la fin du festival South By South West, où ses Ruby Suns ont donné six concerts en quatre jours. Des concerts délicieux. Sur scène, les Ruby Suns sont seulement trois : Ryan McPhun donc, accompagné d’Amee Robinson et Imogen Taylor, deux beach girls qui passent d’un instrument à l’autre. Il y a beaucoup de machines, de programmations, de samples dans la musique du trio, mais les ingrédients principaux de leurs chansons restent le soleil, le vent chaud des voix et la rencontre insolite d’ambiances à la fois festives et indolentes.
Ryan McPhun, 25 ans, porte un bermuda même pas slim. Pas tendance, ni tendu. Il nous annonce qu’après l’interview il a prévu d’aller se baigner dans une source à l’extérieur de la ville. Alors, on ne va pas le retenir trop longtemps. Juste le temps d’apprendre qu’il est né et qu’il a grandi en Californie, avec la double nationalité (son père est néo-zélandais, sa mère américaine), qu’il s’est installé à Auckland il y a cinq ans pour suivre une fiancée et que, comme un certain nombre d’entre nous, il ne s’épanouit vraiment qu’en vacances. “Ce deuxième album est né de mes escapades, de mes voyages. En 2006, je suis parti pour un long voyage en Australie, au Kenya, en Thaïlande, je fais aussi beaucoup de camping en Nouvelle-Zélande. En général, je pars seul, je tiens un journal, j’enregistre des idées de chansons sur un dictaphone. J’ai découvert que je suis plus créatif quand je suis en vacances, loin d’Auckland et des obligations du quotidien. Mais en fait, je n’ai pas d’argent, pas vraiment de travail. Les vacances, pour moi, c’est 40 dollars pour mettre de l’essence dans la voiture et partir camper.”
Ryan Mcphun avoue qu’il n’a pas de passion particulière pour l’histoire du rock néo-zélandais – il préfère vanter les mérites des Tokey Tones et des Brunettes, les deux groupes d’Auckland dans lesquels il a commencé, plutôt que de s’épancher avec nous sur les splendeurs passées du label Flying Nun. Pourtant, qu’il le veuille ou non, il y a dans ses chansons la délicatesse, la langueur, le soleil voilé, les structures à la fois harmonieuses et alambiquées, la tendre mélancolie, les vapeurs de chlorophylle qui nous avaient envoûtés dans la pop néo-zélandaise d’il y a vingt ans. Et notamment chez les Chills, dont les deux indispensables compilations s’appelaient Kaleidoscope World et Heavenly Pop Hits : on n’aurait pas trouvé mieux pour définir la musique des Ruby Suns.
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