Scott Walker, qui vient de mourir à l’âge de 76 ans, fut une influence considérable pour David Bowie, Jarvis Cocker, Damon Albarn ou Brian Eno. Expérimentateur infatigable, il a transformé l’écoute de sa musique en une expérience quasi métaphysique.
Si l’importance d’un musicien se mesure à l’influence qu’il a exercée sur ses contemporains, alors on peut affirmer sans ciller que Scott Walker est une figure capitale de l’histoire de la pop. Sa voix et sa diction d’abord, mélange complètement à part de froideur et d’incandescence, furent un modèle pour le jeune David Bowie. Une attirance irrésistible que des chanteurs comme Marc Almond, Jarvis Cocker, Neil Hannon, Damon Albarn ou Thom Yorke ne sauraient démentir. Quant à Nigel Godrich – producteur entre autres des meilleurs albums de Radiohead –, David Sylvian ou Brian Eno, c’est le projet musical de Scott Walker qui les fascinait littéralement. Un projet musical qui a vu Scott Walker passer, au fil des décennies, d’une recréation très personnelle de l’univers de Frank Sinatra à des paysages sonores apocalyptiques oscillant entre musique industrielle et noise. Trajectoire unique qui n’a pas particulièrement contribué à le rendre populaire mais qui en a fait un musicien définitivement culte.
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La trajectoire d’une ex-pop star pour adolescents
Né Noel Scott Engel, américain originaire de l’Ohio, en 1943, Scott Walker est d’abord un bassiste en herbe qui gravite dans les studios d’Hollywood, fasciné par le son de Phil Spector et Jack Nitzsche, mais aussi par le cinéma moderne européen (en particulier Ingmar Bergman qu’il citera directement dans le morceau The Seventh Seal) et la littérature d’inspiration existentialiste (de Kafka au Sartre de La Nausée). Mais c’est en formant les Walker Brothers (qui n’avaient de frères que le nom !) au milieu des années 1960, avec John Maus et Gary Leeds, que Scott sort de sa chrysalide et se métamorphose en un extraordinaire crooner, plus en phase avec la variété pop et ultra sophistiquée de Burt Bacharach qu’avec le rock garage ou le folk psychédélique, alors en pleine expansion.
Plus précisément, c’est à Londres, autour de l’année 1965, que la carrière de Scott Walker bascule soudainement et qu’il devient, pour quelque temps, une pop star pour adolescents en quête de lyrisme. Il s’installe en Angleterre, patrie d’adoption qu’il ne quittera plus, au point que tout le monde oubliera ses origines yankees. Lassé par les sirènes éphémères d’une célébrité factice à ses yeux, le singulier Scott Walker se lance, en 1967, dans une carrière solo qui dévoile une ambition dévorante et un esprit complètement indépendant. Les quatre albums qui s’ensuivront – Scott 1,2,3,4 – sont comme des astéroïdes venus d’un autre monde où Walker navigue entre compositions originales et reprises de Brel (un de ses modèles !), des disques, en total décalage avec leur époque, qui tutoient le sublime, et dans lesquels Scott dévoile, avec la complicité du grand arrangeur Wally Stott, un caractère complètement introverti qui se déploie sur un tapis luxuriant de cordes – ce qui leur confère une dimension complètement mythique. Le chant, à la fois majestueux et très intérieur, de Scott Walker est une raison sérieuse de croire en l’existence de Dieu.
Réinventions
Si par hasard, vous n’avez jamais eu la chance de croiser un de ces albums, alors jetez-vous illico sur le magique Scott 3, plus particulièrement sur la première face de ce pur chef-d’œuvre, et, à moins de détester sans distinction toutes les sortes de crooners, fussent-ils pop, vous n’en reviendrez plus jamais !
Toute sa vie, Scott Walker aura été un musicien et un être à part qui n’aura jamais rien fait comme tout le monde. Qui aurait pu croire en écoutant ses grands albums des années 1960, auquel il faut notamment ajouter ‘Til the Band Comes in (1970) ou le sous-estimé The Moviegoer (1972) où il reprend Mancini ou Legrand, qu’il basculerait un jour dans un univers qui évoque la rencontre impromptue entre Nine Inch Nails et Krzysztof Penderecki ? Et pourtant, Scott Walker, de plus en plus solitaire et de plus en plus influent au fil du temps, réapparaît au milieu des années 1990 avec l’incroyable Tilt où il se réinvente encore une fois totalement et où il produit une musique complètement inouïe, parfaitement énigmatique et, surtout, en parfaite rupture avec sa veine sixties. Sa voix est intacte mais elle s’élève maintenant au-dessus d’environnements sonores dissonants, assez cinématographiques, et souvent inquiétants.
Les trois albums suivants, qu’il publie, de loin en loin, jusqu’en 2014 – Soused, son dernier disque, offre une belle collaboration avec le groupe expérimental Sunn O))) –, ne déroge pas à son nouveau style. Sans oublier l’étrange BO du Pola X de Leos Carax qui montre un talent inexploité pour la musique de film. Je vous mentirais si je vous disais que l’écoute de ces albums est une simple partie de plaisir. Il s’agirait plutôt d’une expérience de type métaphysique qui suppose d’être mentalement disponible. Une façon d’être en permanence propulsé au cœur d’un dehors aux contours incertains et mouvants. Jusqu’au bout, Scott Walker est resté une splendide énigme. Sa mort, inattendue, à l’âge de 76 ans, nous laisse seuls avec un secret qu’il n’est plus question de percer. C’est infiniment triste mais c’est très bien ainsi…
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