Ses copains des Strokes ont fini par se lasser de lui : trop pénible, trop alcoolique. Pour éviter la rupture, Julian Casablancas prend l’air en solo avec un disque de pop baroque. Rencontre à Los Angeles avec l’une des rares rock-stars de sa génération, et écoute intégrale. (photos David Balicki)
Perclus de problèmes égotiques classiques dans les groupes de rock, les Strokes ont donc laissé leur vieux copain régler ses démons de control freak tout seul, comme un gamin paumé au milieu d’une cour d’école, obligé de jouer seul aux billes après avoir trop gonflé ses camarades. Phrazes for the Young, dont le titre est inspiré d’Oscar Wilde (Phrases and Philosophies for the Use of the Young), et les textes du poète persan du XIIIe siècle Rûmi, est donc présenté par son auteur comme un album par défaut. Ce n’est pourtant pas un disque au rabais, loin de là. Phrazes for the Young est l’oeuvre d’un garçon qui en a eu marre des compromis, qui, en huit morceaux seulement, a voulu coller toutes ses idées et envies – on ignorait sincèrement qu’elles pouvaient être aussi nombreuses et ambitieuses. “Faire cet album a justement été une chance pour moi de ne travailler et de n’avoir à discuter avec personne. J’avais une idée, bonne ou mauvaise, je la mettais en oeuvre, sans aucun frein conscient ou inconscient. J’ai choisi le producteur, Jason Lader, dans cette optique. Je voulais quelqu’un techniquement capable de faire précisément et rapidement ce que j’avais en tête. A savoir, un album cohérent mais des morceaux différents les uns des autres, comme une bande-son, car j’écoute désormais la musique sous forme de playlist. Je voulais aussi que chaque élément dans chaque chanson réponde parfaitement aux autres et mette en évidence les mélodies, ainsi que les textes sur lesquels je me suis vraiment concentré.”
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Phrazes for the Young est, clairement, un grand disque pop. Un excellent album des Strokes, mais sans les limitations et le cahier des charges de ces derniers. Le génie mélodique et vocal de Casablancas s’y développe avec autant d’efficacité que sur n’importe lequel des meilleurs tubes de son groupe. Mais l’univers sonore est différent, plus universel, plus varié et moderniste que chez les Strokes : un fascinant entre-deux organique et synthétique que l’on croirait même parfois influencé par Phoenix. On croise ainsi presque partout des synthés exubérants à la New Order (Out of the Blue ou le single 11th Dimension, taillés pour les dance-floors mélancoliques, le très bubblegum Glass), des trompettes venues d’ailleurs (l’ultime Tourist), des solos de guitare aux limites du bon goût, un étrange petit morceau de country futuriste (le très beau Ludlow St.), des constructions alambiquées qui n’hésitent pas à prendre d’insoupçonnés chemins de traverse (l’effrayant River of Brakelights, le grandiloquent Left & Right in the Dark).
Cet album est aussi l’album d’un garçon qui avait quelques comptes à régler. “Quelque part en chemin, mes espoirs se sont transformés en tristesse, quelque part en chemin, ma tristesse s’est transformée en amertume, quelque part en chemin, ma générosité s’est transformée en désir de vengeance” sont les premiers mots d’Out of the Blue, ouverture de l’album : on ignore s’ils sont destinés à ses copains, mais on subodore qu’ils pourraient le prendre pour eux. Les egos soignés, les problèmes réglés, la vie collective des Strokes va pouvoir reprendre ses droits : on le regretterait presque.
Album : Phrazes for the Young (SonyBMG)
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