Ultra rare sur scène, Frank Ocean a livré un concert surprenant dimanche soir à Helsinki en clôture de l’édition 2017 du Flow Festival. On est allé jusqu’en Finlande pour profiter de l’une des précieuses occasions de le voir chanter sur le sol européen.
En 2013, après plusieurs annulations, Frank Ocean avait fini par franchir l’Atlantique pour jouer les radiances de son premier album au Zénith de Paris. Les Inrocks y étaient . Et même si le concert n’avait pas levé tous les doutes sur la capacité du bonhomme à reproduire la zone de confort qui s’impose dès les premières secondes de Channel Orange, il avait rassuré ceux qui s’inquiétaient de la résistance de sa voix, finalement beaucoup moins fragile que son petit cœur brisé.
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Quatre années se sont écoulées. Entre-temps, Ocean a composé, effacé, rompu avec son label, composé, effacé, trouvé le contact de Sebastian sur Soundcloud, coupé du bois pour monter des meubles dans un hangar, voyagé, composé, effacé, publié un magazine… et finalement sorti l’un des albums les plus attendus des années 2010.Après tous ces “contrôle X, contrôle C, contrôle V », Frank s’est offert un peu de répit avant d’entamer une courte mais intense promenade d’été avec huit dates empilées sur les mois de juillet et août 2017.
Le Vieux Continent aura eu la chance de l’accueillir à trois reprises. Un mois après Londres et quelques jours après Göteborg, la star du r’n’b dématérialisé était donc à Helsinki dimanche pour prouver son amour de l’Europe septentrionale… et vendre des T-shirts, des milliers de T-Shirts ! Malgré les outrances conceptuelles que Frank Ocean peut se permettre depuis qu’il ne répond plus au nom de Christopher, on a retenu sept grands enseignements d’un concert précieux.
1 – Frank Ocean peut enfin présenter un format à la démesure de son ambition
De Frank Ocean à Lana Del Rey, en passant par The XX, Aphex Twin, Young Thug, Flume ou Moderat, les têtes d’affiches n’ont pas manqué l’appel du Flow cette année. Mais un seul artiste s’est permis de transformer l’infrastructure de la scène principale du festival, et vous avez déjà compris qu’il s’agit de celui dont le nom évoque un chanteur de zouk 8.0.
Depuis la sortie de Blonde l’année dernière, Frank Ocean s’est fait très discret pour mettre au point une formule de concert inédite qui le place au centre d’un projet vidéo-symphonique construit en temps réel. Dès son entrée en scène, sur le bien nommé Solo, des images d’Ocean sous toutes les coutures sont filmées, filtrées et projetées sur un double écran géant planté sur le devant de la scène. Un gros casque vissé sur les oreilles, le chanteur s’avance le long d’un couloir étroit qui fend la foule pour le mener sur une estrade circulaire remplie de câbles, de moniteurs, de gaffer et sur laquelle traîne un vieux synthé vintage.
Frank Ocean est dans son studio et le public s’apprête à assister à une répétition géante, aussi décousue que l’était l’album publié l’an dernier. Peu satisfait de la première version, il interprètera par exemple deux fois Chanel tout en communiquant à voix haute et intelligible avec son équipe restée backstage. Aucun détail n’est évidemment laissé au hasard et on comprend rapidement que tous les bugs et autres maladresses du concert seront exaltés pour nourrir le flux arty d’un spectacle pensé comme un trompe-l’œil.
2 – Le concert est en réalité l’épisode 3 du projet dévoilé l’an dernier
En 2016, avant la sortie de Blonde, Frank Ocean avait lâché Endless : un long clip expérimental aux airs de préquelle menuisier, dont la mise en ligne avait fait vaciller l’essentiel des fans de musiques actuelles du monde entier. Une année a passé et si personne n’a vraiment compris où il venait en venir quand il coupait du bois dans un hangar, on sait maintenant que le projet se déballe en trois étapes. La dernière a donc vu Frank Ocean enchaîner huit concerts pendant lesquels il s’est concentré à affiner chaque plan et chaque détail d’une grande messe de pixels, formalisée comme le clip géant de son dernier album.
Côté son, pour renforcer l’écho de ses morceaux, Ocean avait prévu un mur d’enceintes installé autour des spectateurs agglutinés dans les premiers rangs. Idéal pour offrir une expérience enrichie à la vingtaine de milliers de spectateurs qui avait fait le déplacement à Helsinki, et ce malgré quelques problèmes de réglages et de nuances dans les retours. Au milieu du concert, un gigantesque orchestre symphonique est venu rejoindre le chanteur solitaire pour jouer Good Guy, Self Contol, Ivy, Pink+White et une reprise inattendue de Never Can Say Goodbye.
Quand on imagine tous les musiciens et techniciens mobilisés pour filmer, éditer et encadrer cette production galactique, on se dit que Frank Ocean a regardé La Revanche des Sith une bonne vingtaine de fois avant de venir fermer des bouches avec son propre épisode 3. Les mauvaises langues diront que quand on n’est pas prêt, c’est évidemment beaucoup plus agréable de pouvoir compter sur une armée qui l’est pour soi. Parlez-en à Palpatine.
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3 – Frank Ocean fait son cinéma : survivre à l’ennui obligatoire
Avec un format aussi réfléchi et autant d’emphase sur le sujet principal du spectacle, on avait parfois l’impression d’assister à une longue séance d’auto-glorification à moitié assumée. Ou à un making-of du concert servi en direct. Il a fatalement fallu endurer quelques tunnels d’ennui pendant le concert et le manque de rythme dans l’enchaînement des morceaux a déstabilisé certains des plus fervents fans du chanteur qui se sont laissés aller à quelques bâillements.
En proposant de longues séquences où il tourne en rond en communiquant avec ses techniciens, Ocean a certainement conscience de proposer le contre-exemple parfait des concerts inclusifs à l’excès, ceux dans lesquels la foule se sent obligée de s’enjailler en reprenant toutes les paroles en équipe le plus fort possible. Rien de tout ça dimanche soir à Helsinki. Dès que l’idole est apparue; l’excitation ambiante a rapidement laissé place à un silence total, teinté de respect et d’admiration. Un moment intime et paradoxal avec un artiste tout en retenue qui semblait presque s’excuser d’avoir déployé autant de moyens.
https://www.instagram.com/p/BXv2LlVAlFD/
4 – « A tornado flew around »
Si le concert consistait en une longue exploration de Blonde et Endless, Frank Ocean s’est autorisé quelques détours par Channel Orange en chantant notamment Thinkin Bout You. Dans l’attaque du morceau, il parle d’une tornade qui a soufflé sur sa chambre pour expliquer le bordel ambiant à un inconnu que l’on imagine être son amant. Les sites spécialisés dans l’analyse métaphysique des plus grands tubes du XXIe siècle vous expliqueront que la chambre d’Ocean représente ici sa vie.
Pour la faire courte, Christopher Breaux est devenu Frank Ocean comme dans un Marvel. Le chanteur s’est réinventé après le passage de l’ouragan Katrina qui a dévasté son home-studio en même temps que La Nouvelle-Orléans et le dernier atome de respectabilité qui restait dans la famille Bush. C’était en 2005, et c’est à ce moment précis que sa carrière s’est transformée du côté de Los Angeles.
Une grosse dizaine d’années plus tard, le concert de Frank Ocean a bien failli être annulé par le passage d’une autre tempête. La veille, le Flow avait été interrompu plusieurs heures après les pluies torrentielles qui se sont abattues sur Helsinki, causant une petite panique générale et des dégâts matériels sur le site du festival. Frank Ocean n’aurait pas rêvé meilleur teaser pour annoncer son concert blockbuster du lendemain.
5 – Des pyramides à Helsinki
Pour la première fois de sa tournée, Frank Ocean a joué Pyramids dans une version augmentée, à grand renfort d’infrabasses et de lasers roses, verts et bleus. L’un des grands moments du concert et la seule occasion de voir quelques fous furieux oser une petite danse de circonstance. Le vidéo-concert s’est refermé sur Nikes, le premier titre de Blonde, renforcé par une animation karaoké dans laquelle tous les Finlandais étaient invités à suivre un petit marqueur Hello Kitty pour chanter comme Frank Ocean. On vous a mis une version 16-bits juste en dessous pour vous entraîner à renoncer à la moindre notion d’amour-propre.
https://www.youtube.com/watch?v=5YkElmAlVkQ
6 – Aphex Twin ne respecte rien… sauf Frank Ocean
S’il n’était programmé qu’en clôture du Flow Festival, Frank Ocean a pu profiter du calme olympien qui règne dans la très douce Helsinki pendant plusieurs jours. La rumeur finnoise dit même qu’il était présent dans l’immense foule venue célébrer Aphex Twin deux jours plus tôt pour se prendre dans la gueule l’un des concerts les plus frappants de l’été.
Ce soir-là, Ocean fut d’ailleurs l’une rares idoles épargnées par l’humour acide de la divinité irlandaise. A la fin de son set, Aphex Twin s’est amusé à remixer les visages des headliners de la programmation du Flow pour les afficher en version démon sur les écrans du festival. L’histoire ne dit pas si Frank Ocean a bougé la tête sur les grosses séquences gabber du gros set qu’il ne fallait pas rater à Helsinki cette année.
7 – Certains génies étaient tellement excités à l’idée de choper un T-Shirt qu’ils en ont oublié la présence de Larry Heard
https://www.instagram.com/p/BX2kBZ4gUyG/?hl=fr&taken-by=azzedinefall
On vous le disait en début d’article, Frank Ocean a aussi fait le déplacement jusqu’à Helsinki pour vendre un paquet de T-shirts. Dès l’ouverture du site du festival, en début d’après-midi, une file d’attente impressionnante serpentait dans les allées du Flow pour déboucher sur un stand XXL. A l’intérieur, une dizaine d’employés occupés à presser des T-shirts à la chaîne. Il était même possible d’enlever son propre haut pour repartir avec une impression « BLONDED » au style bien douteux mais il fallait débourser une quarantaine d’euros et accepter de rater les concerts des autres génies de la prog. Après le concert, sur les coups de minuit, il y avait presque plus de monde devant le stand qu’au set de Larry Heard. On aimerait croire que Frank Ocean aurait plié boutique s’il avait su que le héros de Chicago jouait en clôture, juste après lui.
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