En concert à Paris sous l’affiche Sahara Soul pendant l’intervention française dans le Nord du Mali, trois musiciens épris de liberté témoignent.
Le 29 janvier, Sidi Touré, Bassekou Kouyate et Tamikrest faisaient concert commun. Les deux premiers vivent à Bamako et revendiquent l’intégrité territoriale du Mali. Le troisième, Ousmane Ag Mossa, de Tamikrest, vit dans le Nord et soutient les revendications touarègues. Entre ces trois chantres de la musique malienne, tout va bien sur scène. Ils remercient la France et expriment leur joie d’être libérés des islamistes. Mais la liberté n’a pas le même goût pour chacun.
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Ousmane Ag Mossa
“Nous avons subi la présence des islamistes bien avant l’instauration de la charia”
Je ne suis pas retourné à Kidal durant l’instauration de la charia. J’aurais pu, mais je tiens trop à ma liberté individuelle. Là-bas il n’y avait plus de musique, on ne pouvait même pas fumer une cigarette… L’intervention française, avec l’objectif de chasser les terroristes, je suis pour à 100 %. Le problème, c’est que l’armée malienne va en profiter pour commettre des exactions sur les populations touarègues et arabes, dans un esprit de vengeance après leur défaite du début 2012. Les terroristes ont étudié et adopté notre mode de vie, nos vêtements, ils se sont mélangés à la population. Aujourd’hui, comment les armées, française ou malienne, peuvent-elles savoir qui est coupable et qui ne l’est pas ? Nous sommes entre le marteau et l’enclume, dans une situation très difficile. Mais j’ai toujours de l’espoir…
Les islamistes sont arrivés dans le Nord il y a dix ans, nous avons subi leur présence bien avant l’instauration de la charia. Avec les prises d’otages et les trafics, ils ont fait partir les ONG et les touristes, ils ont fermé le désert et opprimé la population. Ils avaient de l’argent, ils ont pu profiter de l’absence de l’État malien, mettre la pression et l’oppression sur la population pour recruter des jeunes touaregs marginalisés dans la société malienne. Je l’ai dit mille fois : un jeune qui n’a rien, pas de travail, pas accès aux postes dans l’armée ou la fonction publique, si des groupes islamistes le recrutent, il y va. C’était le calcul des terroristes. Au début, les terroristes étaient dans un endroit précis, proche de bases militaires maliennes, ils n’étaient pas mélangés à la population. Pourquoi le Mali ou la communauté internationale ne sont-ils pas intervenus à ce moment-là ? Les gens du Sud ont eu peur de l’avancée des terroristes. Mais ce qu’ils ont senti, ce n’est que la fumée du feu de l’enfer que ceux du Nord ont vécu. Les Touaregs n’ont absolument rien contre les citoyens maliens, et encore moins contre les musiciens. La musique, c’est la joie, un symbole de paix pour tout le monde, nous pouvons faire de la musique ensemble, même avec des revendications différentes. Les Maliens veulent la paix et le bien pour le Mali. À leur place, je dirais la même chose. Et moi, je veux la liberté pour mon peuple. Il n’y a pas de conflit entre ethnies, mais entre un peuple et un gouvernement. Le problème des Touaregs, c’est avec la politique du gouvernement malien.
Bassekou Kouyate
“Des nouveau-nés ont été prénommés François Hollande”
J’ai commencé à enregistrer mon album le 12 mars 2012 à Bamako. J’arrive au studio Bogolan à 13 heures, on se met au travail à 14 heures et, à 15 heures, on entend des coups de feu. C’était le coup d’État, les militaires étaient en ville et tiraient en l’air. C’était une catastrophe. Des étrangers étaient venus pour travailler sur mon album, ils étaient sous ma responsabilité. Certains jours, je ne voulais plus sortir de chez moi, on a transféré une partie du matériel chez moi pour finir l’album. À la fin, l’aéroport était fermé, les militaires étaient partout. Je n’ai jamais connu un moment aussi difficile dans ma vie. Et le Président destitué était mon ami, il appréciait ma musique…
Quand les terroristes se sont approchés de la région d’où je suis originaire, j’étais dans ma voiture, j’écoutais RFI. Je suis allé faire le plein d’essence, et je suis rentré dire à me femme qu’on quittait le pays. Elle m’a dit d’attendre un peu. La nuit suivante la France est intervenue. Je me suis senti au paradis. La France nous a sauvés. J’ai acheté un drapeau français et je l’ai mis sur ma maison avec le drapeau malien. Aujourd’hui, personne ne peut dire du mal de la France au Mali. Des nouveau-nés ont été prénommés François Hollande. Je souhaite que les Français restent dans le Nord pour assurer la sécurité et nous aider à organiser des élections transparentes. On veut la liberté. Tous les bons citoyens maliens veulent la paix, que le pays sorte de l’emprise des terroristes. Certains Touaregs se sont alliés avec ces gens-là. Aujourd’hui, ils doivent se calmer, on doit tous discuter pour arrêter de détruire ce pays. Tous les grands pays qui ont eu des problèmes s’en sont sortis en discutant.
Sidi Touré
“Ce pays est composé d’une multitude d’ethnies qui vivent ensemble depuis des temps immémoriaux”
J’ai quitté le Mali pour la tournée Sahara Soul au moment de l’arrivée des Français. J’ai suivi les infos sur France 24 et TV5. J’ai ressenti une immense joie. Les gens n’étaient pas libres, et la vie n’est rien sans liberté, c’est la chose la plus précieuse. Ce pays est composé d’une multitude d’ethnies qui vivent ensemble depuis des temps immémoriaux. On est tous Maliens, condamnés à vivre ensemble, répartis dans le même bateau, il n’y en a pas d’autre. Que ce soit clair: ce ne sont pas tous les Touaregs, ou tous les Arabes, qui sont rebelles ou terroristes. Mais ceux qui ont commis des actes criminels doivent être identifiés, jugés et condamnés. Pour que tout ça, la guerre, l’exode, la misère, ne se reproduise jamais dans notre pays. Notre islam est basé sur la tolérance, le pardon, l’acceptation des autres religions. Personne ne nous fera revenir à une société archaïque. Aujourd’hui, le monde est un, l’histoire de l’Afrique est mondiale. La destruction des mausolées, des manuscrits, de la culture n’est pas que le drame du Mali, c’est une blessure contre le monde.
Stéphane Deschamps
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