Après le carton de Revolver, Ambroise Willaume, repéré chez Soko et Woodkid, se réinvente en Sage. Réalisé avec Benjamin Lebeau de The Shoes, son premier album solo est un tour de force entre pop et electro.
C’est l’histoire d’un type à la fois discret et omniprésent. Ambroise Willaume, 29 ans, originaire de la région parisienne, connu aujourd’hui sous le nom de Sage, est le trésor caché de la jeune scène française depuis près de dix ans.
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Certains, en voyant les photos, auront wreconnu un ancien membre du trio Revolver (deux chouettes albums au compteur, pop française chantée en anglais, très cool). Mais ce que la plupart ignorent, c’est que le nom de ce beau gosse aux yeux clairs est aussi associé aux projets les plus passionnants du territoire depuis au moins 2007.
Cinq ans d’existence avec Revolver
Avant même de signer en maison de disques avec Revolver, c’est aux côtés de Soko qu’Ambroise commence son périple pop. Dans l’ombre, il aide la très jeune femme à soigner ses premières compositions, tout en chargeant déjà Revolver de hits avec ses deux acolytes, Christophe Musset et Jérémie Arcache. Après cinq ans d’existence donc, le barillet vide, le groupe jette l’éponge, début 2013.
“J’aurais bien vu un troisième album, qui aurait été le meilleur”
“Je ne me suis jamais dit que Revolver serait mon groupe toute ma vie, j’évite de me dire des trucs comme ça. Après, j’imaginais que ça durerait plus longtemps, mais je trouve ça assez glauque les groupes qui durent longtemps. Cela dit, j’aurais bien vu un troisième album, qui aurait été le meilleur”, explique Ambroise.
Avant même la fin de Revolver, Ambroise a déjà commencé à bosser avec Yoann Lemoine, aka Woodkid, sur son premier ep Iron puis sur l’un des classiques des années 2000, The Golden Age. Sur cet album, il veille aux arrangements de certains titres composés par Woodkid, et regarde travailler celui pour qui il ne cache pas son admiration.
Benjamin Lebeau, grand artificier du projet Sage
“Yoann, c’est quelqu’un de très impressionnant dans sa capacité à tout gérer”, note-t-il, avant de poursuivre : “C’était stimulant de bosser avec lui, j’ai beaucoup appris”. Yoann “Woodkid” Lemoine : “Ambroise a une culture classique et pop en même temps. Pop au sens populaire : il arrive à donner une grande accessibilité à ce qu’il fait sur des arrangements. Il a un grand sens de la mélodie aussi. On le voit d’ailleurs très bien dans la musique qu’il compose, même s’il essaie toujours de sortir des sentiers un peu évidents en utilisant des choses qui peuvent emprunter à la musique contemporaine.”
Durant les sessions de The Golden Age, Ambroise croise le chemin des deux Shoes, Guillaume Brière et Benjamin Lebeau – ce dernier va devenir le confident et le grand artificier sur le projet Sage. “Après Revolver, j’ai passé un an à me poser des questions. J’écrivais, je bossais déjà. Je ne savais pas si j’étais capable et si j’avais envie d’être un frontman. Je suis quelqu’un d’assez discret et je me demandais si je n’étais pas plutôt fait pour travailler dans l’ombre d’un Woodkid ou d’une Soko.”
Le déclic se produit après la fin de Revolver, lors d’un concert à la Cigale, à Paris, début 2013. Les routes de Lebeau et Willaume se croisent à nouveau, certainement près du bar. Ambroise ne sait toujours pas où il en est, il n’y a pas de label et pas d’argent sur le projet, mais cette crème de Benjamin Lebeau lui propose son aide, comme ça, c’est le genre de la maison.
“Benjamin est quelqu’un de très bienveillant”
Sans même savoir si l’issue est une carrière solo, les deux s’envoient des fichiers, se font écouter des trucs, s’apprivoisent avec une douce lenteur. “Benjamin est quelqu’un de très bienveillant, c’est certainement l’une des personnes les plus gentilles que je connaisse.”
Jérémie, le fidèle copain de Revolver, avec qui Ambroise a un temps songé à continuer le groupe, donne, lui, le signal final du départ. “J’ai commencé à lui raconter ce que je faisais avec Benjamin, et il m’a dit qu’il pensait vraiment que je devais faire mon truc de mon côté. Je me suis senti presque libéré, et j’ai enchaîné.”
“Il a pris le temps de comprendre qui j’étais”
“Tout de suite après avoir écouté, il m’a dit qu’il voyait exactement ce qu’il fallait faire, il avait l’air déterminé, ça pouvait même faire un peu peur (rires). Benjamin, ça a vraiment été une rencontre très forte, il a pris le temps de comprendre qui j’étais, il m’a donné confiance.”
Alors que le second album des Shoes est en marche (disque sur lequel Ambroise prête sa voix à l’excellent Drifted, hommage caché aux géniaux Underworld), le beau Lebeau donne de son côté toujours plus de son temps et de sa passion.
Le songwriting élégant et précis d’Ambroise
“On a passé des nuits entières à bosser tous les deux, dans mon studio ou chez moi. C’est une ambiance que ne connaissait pas Ambroise, celle avec trois paquets de clopes finis sur la table à la fin de la soirée. Je crois qu’il était un peu fatigué parfois.”
Lebeau est séduit par le songwriting élégant et précis d’Ambroise. Ambroise, lui, découvre sur ses compositions une production qui ne lui est pas vraiment familière. “C’était bizarre pour moi, je n’avais pas l’habitude d’entendre mes chansons comme ça, mais j’ai décidé de faire confiance à Benjamin.”
En octobre 2014, Sage sort un premier ep qui marque les esprits, In Between, sur lequel on découvre enfin le fruit de leur travail. Sage, le nom, c’est rapport à une chronique dont Ambroise a oublié la provenance, mais le journal avait jugé les chansons de Revolver un peu trop “sages”, justement.
Une pop futuriste et aérienne, racée
Le résultat est cet ep étourdissant : une pop futuriste et aérienne, racée, érudite et généreuse, qui s’inspire autant des archictectes d’un futur sans arrêt promis (Brian Eno, James Blake) que de héros de facture nettement plus classique – on pense à Lennon ou à Neil Young, dont Ambroise s’est repassé les disques en boucle après l’arrêt de Revolver. Peut-être une façon de savoir comment retrouver un chemin après s’être échappé d’un groupe ?
Le 29 janvier 2015, c’est devant cinq cents privilégiés entassés dans le Café de la Danse que Sage présente ses titres live pour la première fois dans la capitale. Au deuxième étage, un type est peut-être encore plus stressé que lui. C’est le Shoes Benjamin Lebeau, qui ne manque pas une miette du concert.
Une idée de production qui en ferait défaillir certains : Phil Collins
Les titres déroulent avec une grâce folle. Sage, ce soir-là, inscrit définitivement son nom sur la carte, avant – et ils le savent avec Lebeau – de partir pour un premier album qui sera une véritable épopée. Les deux veulent aller encore plus loin et signer un disque qui compte. Les sessions en studio patinent parfois, mais un beau jour, ils tombent d’accord sur une idée de production qui en ferait défaillir certains mais qui semble alors pourtant une évidence : Phil Collins.
Ce que Willaume et Lebeau vont chercher chez Collins, c’est sa faculté à écrire des titres sublimement plombés, des ritournelles synthétiques aux drums aussi puissants que retenus, aux mélodies simples. Une fois cette référence en tête, Ambroise et Benjamin partent au combat, se poussent dans leurs derniers retranchements.
Pas celui des productions lacrymales et trop sucrées, ou des mauvais moments de Genesis. Celui des deux premiers albums, Face Value et Hello, I Must Be Going (qui, curieusement, viennent d’être réédités en ce début d’année). “Je ne me souviens plus qui a prononcé pour la première fois le nom de Phil Collins, dont je suis un grand fan, mais ça nous a tous les deux semblé naturel, ça nous a guidés, définitivement.”
De véritables trésors à découvrir
“Je pense qu’on a tous les deux essayé de se pousser au maximum, de voir jusqu’où on pouvait aller l’un avec l’autre. Aujourd’hui, ce sont des souvenirs assez géniaux, on a compris ce qu’on pouvait s’apporter l’un et l’autre.”
Les derniers réglages seront effectués dans le studio du grand Julien Delfaud, dit “Tonton”, dans le Xe arrondissement de Paris. Déjà à l’œuvre avec Revolver, c’est lui qui se charge du mix final. Julien Delfaud : “Il y a un énorme respect entre Ambroise et Benjamin, mais ce sont deux personnalités opposées, l’un est dans le contrôle alors que l’autre est totalement punk. Dans mon studio, on a fait le point sur tout ce qu’ils avaient fait ensemble, mis les choses dans l’ordre. En écoutant, j’ai découvert de véritables trésors.”
Dans la chaleur de l’été, le trio met donc la dernière main à ce qui sera l’un des grands disques de 2016. Courageux et concis (dix titres qui sont autant de tableaux), l’album est un véritable tour de force. Il est ouvert par le puissant One Last Star qui fixe d’emblée la feuille de route de cette œuvre ouverte, dont la production est d’une ambition fulgurante.
Une voix d’une pureté incroyable, d’une justesse folle
Le songriwting d’Ambroise s’enfouit dans des textures sonores d’une grande modernité, quasi magnétiques, mais qui ne délaissent pas l’instrument. Sage, c’est une pop à la fois accessible et chic, lumineuse souvent et sombre par endroits, un tissu de bonnes nouvelles et de contradictions totalement assumées.
A son contact, on chaloupe avec un vieux fond mélancolique (Fall in Love with a Friend, Time Never Lies) et on se laisse happer par les envolées d’Only Children ou les coups de semonce plus martiaux d’August in Paris et de Focus. Avant de quitter, ivre de joie, le bateau Sage sur Eyes Closed, qui évoque un Randy Newman joyeusement cryogénisé.
Mais surtout, au beau milieu de cet écrin, il y a la voix reconnaissable entre mille d’Ambroise, d’une pureté incroyable, d’une justesse folle, qui porte le tout avec une foutue sincérité, laissant entrevoir des béances et des douleurs que le nom pudiquement choisi par Ambroise aurait pu vouloir masquer. Une pop pour demain qui chercherait sans cesse l’éclaircie tout en sachant que le plus dur est aussi à venir. C’est peut-être ça, la définition du mot “sage”.
album Sage (GUM/Pias)
concert le 22 mars à Paris (Cigale)
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