C’est en Chine que Jean-Luc Courcoult, metteur en scène de la troupe Royal de Luxe, poursuit l’aventure démarrée voici cinq ans dans un village du Cameroun (Petits contes nègres), en réunissant des acteurs africains, chinois et français pour préparer dans le village de Guan Cun Petits contes chinois revus et corrigés par les nègres, spectacle qui sera créé le 21 septembre à La Villette.
Jeudi 24 mai 2001 |
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Jaune, couleur Chine. Le jaune de la terre, sable sédimenté, érodé, transporté par les vents et sculpté en plateaux et montagnes depuis le désert de Gobi jusqu’en cette province du Shaanxi, traversée par le fleuve Jaune, qui borde la Mongolie intérieure. C’est là que Jean-Luc Courcoult, metteur en scène de la troupe Royal de Luxe depuis 1979, a décidé de poursuivre l’aventure démarrée voici cinq ans en Afrique, dans un village du Cameroun ( Le retour du Géant et Petits contes nègres), en réunissant des acteurs africains, chinois et français pour préparer son prochain spectacle, Petits contes chinois revus et corrigés par les nègres, qui sera créé le 21 septembre prochain à La Villette.
Là, c’est-à-dire à Guan Cun, petit village troglodyte vieux de mille ans, perché à 1000 mètres d’altitude, où vivent 758 habitants, dont un tiers d’enfants, au rythme du soleil, des saisons, des cultures, du chant des coqs et du braiment des ânes. Si l’électricité a atteint ce bout du monde, de façon capricieuse certes’., l’eau courante n’existe pas et il faut économiser l’eau distribuée chaque matin dans de grandes jarres de terre noire. Il faut aussi apprendre à cohabiter avec les cafards, araignées et scorpions qui se sentent chez eux sur la terre battue qui fait office de sol dans les Tang (au départ, le Tang désigne l’estrade carrelée et recouverte d’une natte sur laquelle dort toute la famille, à l’arrivée c’est l’habitat lui-même qu’on appelle Tang). Ne jamais oublier de ne rien mettre au sol, jonché de crachats. Et se faire à l’idée que le soulagement des besoins naturels n’a rien de privé : deux pierres posées au sol, légèrement creusé, et vogue la galère ! sans parler des effluves. Il peut sembler curieux, voire déplacé, de s’attarder ainsi à décrire les conditions de vie des habitants de Guan Cun. Mais il faut dire qu’elles contribuent, ô combien, au dépaysement ressenti à l’arrivée, vingt-quatre heures après avoir quitté Paris et son confort moderne.
Certes, la venue de Royal de Luxe à Guan Cun pour une durée de deux mois s’est accompagnée de quelques aménagements : construction de la piste pour le passage des camions transportant le matériel, construction de douches, de WC « personnalisés » en quelques endroits stratégiques, aménagement des Tang (une bassine, de la lumière et des bombonnes d’eau potable). Le tout restera par contrat la propriété du village après le départ de Royal de Luxe et le chef du village, M. Wang Kejie, aura la charge d’en faire une distribution équitable. D’ores et déjà, les apports financiers dont a bénéficié Guan Cun se sont concrétisés par la construction d’une école primaire qui surplombe la cantine, les douches et la cuisine de la troupe.
A vrai dire, ce dépaysement des conditions de vie n’est qu’accessoire au regard du véritable choc produit par ce voyage : l’accueil et l’hospitalité des Chinois autochtones. Quel qu’ait été leur étonnement de voir pour la première fois des Blancs et des Noirs, nulle réserve, nulle antipathie, nulle méfiance ne viennent entacher le pur plaisir de la rencontre. La surprise, oui, le refus, non. En ce qui me concerne, cela s’est manifesté dès l’arrivée à l’aéroport de Yan’an. Trois hommes s’approchent de moi et entament une discussion qui me concerne visiblement. Me tournant vers le traducteur, Vincent Wang, qui rentrait de Cannes où il accompagnait le réalisateur de Tsaï Ming-liang, en qualité de premier assistant sur le film Et là-bas quelle heure est-il ?, je m’enquiers du motif de leur discussion. Un peu gêné, il me dit : « En fait, ils se demandent si tu es un homme ou une femme ! » C’est dire si les repères sautent allègrement
Pour exprimer cela, cette distance et le moyen de la parcourir sans souffrir, Jean-Luc Courcoult évoque leur « curiosité paisible » et prévient : « Ils entrent chez vous, sans frapper, comme ça, juste pour vous voir. » C’est vrai. Et cela ne semble jamais être un viol d’intimité mais la plus simple façon d’entrer en contact. Comme de vous ramasser sur une carriole tirée par un âne sur un chemin de terre lorsque, visiblement, vous avez présumé de vos forces. De vous donner à manger alors que la sécheresse qui perdure depuis plusieurs années appauvrit un peu plus la population. De répondre à vos questions avec sincérité sans poser d’interdits quant à l’utilisation que vous en ferez.
Vendredi 25 mai |
Dès lors, après s’être imprégné trois jours et quatre nuits durant de cette existence hors du temps et néanmoins gérée par le Parti Communiste chinois, on comprend mieux les mots simples avec lesquels, le premier soir, Jean-Luc Courcoult nous a présenté son projet : « Etre ici correspond à ma volonté de faire un théâtre populaire. Je cherche un péril, une situation difficile : c’est compliqué de ne pas se comprendre. Mais ça, c’est la création. Quand je suis allé en Afrique, c’était pour moi un continent inconnu. La Chine, c’est pareil et je trouve que c’est un bon terrain de travail que de se confronter à l’inconnu Si on met tout bout à bout, l’aventure africaine a duré cinq ans : on est plus dans une logique humaine que dans une logique artistique. C’est pour ça qu’on continue ici avec 6 comédiens africains. Le titre retenu, Petits contes chinois revus et corrigés par les nègres parle de ça : assembler trois continents, raconter des histoires à travers l’imaginaire des autres. L’important dans un spectacle, c’est sa teneur, ce qu’on en reçoit émotionnellement. Il est ici hors de propos de raconter des histoires vraies. Je suis un déformateur d’histoires, pas un historien’ Je ne fais pas de théâtre-vérité. Mon problème, c’est de savoir comment les gens reçoivent ça ici, c’est dur à exprimer avec des mots mais cela se sent. C’est avec ce rapport au public que je construis un théâtre populaire : c’est du concret, lié à eux comme à ce que vit l’équipe, à ce qu’elle va transporter à Nantes de son vécu en Chine.
» Le travail se fait par essais de thèmes, d’histoires. Ce que vous verrez demain au village de Jiao Kou (3000 habitants, à deux heures de piste de Guan Cun) ne fera peut-être plus partie du spectacle qui sera créé en France et sur lequel on va travailler à Nantes, dès notre retour de Chine, pendant les deux mois d’été. Comment parler de la Chine ? De 5000 ans d’Histoire, de la plus ancienne civilisation ? Par exemple, je n’ai pas encore travaillé la dimension mythologique comme nous l’avons fait en Afrique, au bout de plusieurs mois de travail, avec le tableau Apollo dans la savane. Pour l’instant, je m amuse juste avec la Chine. Sans compter que la connexion entre Africains, Français et Chinois prend du temps, demande un mûrissement. On est dans la phase de recherche. On sonde à la fois la Chine et le c’ur des comédiens qui font le spectacle. Mais on fait des propositions rapides qu’on présente dans les villages avoisinants ou ici même, à Guan Cun. Nous sommes d’ailleurs très fiers d’avoir créé le premier festival international de spectacles vivants au village il y a quinze jours ! Des vieux voulaient danser sur du disco, un autre groupe a proposé des danses traditionnelles et nous avons joué notre spectacle ! ! Avant de repartir mi-juin, nous jouerons à Guan Cun, à Xi an, à Pékin, à Yan’an. Je suis là pour sortir une charpente en brut, pas pour corriger les détails, ça vient après. D’ailleurs, le spectacle ne pourrait pas être joué comme ça en Europe, mais ici c’est déjà un tel choc culturel’«
Copyright photos : Jordi Bover
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