Le géant français s’affirme comme un véritable crooner glam, qui cite autant Bach que Bowie. Critique et rencontre.
On a beaucoup glosé, dès 2012, sur son patronyme et son physique d’ogre. A l’heure du premier album, Rover était déjà précédé par une aura légendaire où se mêlaient fantasmes et figures tutélaires pléthoriques. Let It Glow, trois ans plus tard, aura du mal à changer la donne. Dès la pochette, où il s’impose en icône interlope mi-warholienne, mi-antonionienne, le Français creuse le sillon de sa mythologie, quelque part entre Bach, Bowie et Gainsbourg, les fantômes de Marc Bolan et de John Lennon en sus. Voici pour le périmètre.
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Dans le fond, Let It Glow affiche un parti pris encore plus affirmé que son prédécesseur, en même temps que le silence y est d’or quand il le faut :
“J’avais la volonté, peut-être inconsciente, d’être moins démonstratif, explique Rover. De suggérer plutôt que d’imposer, de faire travailler l’oreille et l’imagination de l’auditeur avec ce disque. J’ai enregistré, dans les conditions de l’analogique uniquement, dans un ancien internat transformé en studio. Du coup, on entend les bruits du dehors, les oiseaux. L’air, le vide y sont aussi très différents du vide numérique : quand on ne fait rien sur une bande et qu’on appuie sur play, il y a déjà la vie. Dans cet album, il y a des défauts, des aspérités, mais c’était l’intention : le fait que ce soit déstabilisant, ça m’excite.”
Diamant brut qui brille dans le noir, Let It Glow s’impose dans la catégorie du concept album, revêche et long en bouche là où son prédécesseur, foisonnant, jouait les élèves prodiges. Ce qui n’empêche pas son auteur de prendre certaines libertés vocales, au point de crooner à la manière d’un Thin White Duke ou de transformer une interrogation fatale en onomatopée sexy (“How could she?” devenant “Akouchi kouchi” sur l’impeccable single Call My Name – manière de brouiller les pistes et de se réapproprier une langue anglaise qu’il malaxe).
“Crooner, c’est peut-être une liberté que je ne m’étais pas permise jusqu’ici, acquiesce-t-il. Le deuxième album, c’est un peu comme un deuxième rendez-vous amoureux où l’on ose montrer des choses qu’on n’afficherait pas plus tôt : ‘Ben ouais, je fume…” (rires)
N’en déplaise à ses détracteurs, les seventies restent un terrain de jeux inégalé pour Rover. Au fil de ses dix titres, ce nouvel opus se fait tour à tour éthéré, psychédélique ou bucolique, jusqu’au recueillement ecclésiastique ou au spectral. En fin de parcours, Along, aussi réussi que froid comme une lame, joue avec la notion de danger, au point de frôler périlleusement la glissière de sécurité : Rover fait alors de Let It Glow un film noir en même temps qu’un space opera, pas moins.
“Si je devais avoir une nostalgie, c’est celle-là : celle de l’œuvre artistique que permet le disque en tant qu’objet. La dématérialisation du support me déprime. On vit à une époque où l’approche de la musique est devenue raisonnable, où la peur de se tromper est omniprésente et où l’ordinateur pousse à la perfection. Ça ne fait pas de moi un vieux réac qui fantasme sur les seventies, c’est juste que ça abîme le disque. Après, je suis un enfant né à la fin de cette vague, j’ai grandi avec l’écume de cette décennie. Et si mon triangle des Bermudes c’est Bach, Gainsbourg et Bowie, j’ai envie de dire : ‘rejoignez-moi !” (rires). Une vie ne suffira pas pour épuiser Bach. Ces disques restent mes chambres d’écho.”
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