Il voyage en compagnie. Hommage cuménique ou itinéraire initiatique ? Plus on tente de percer l’énigme Manset, plus le mystère s’épaissit. A la vision du casting de cet album-hommage, on ne s’évanouit pas de plaisir. A la première écoute, notre moue se confirmerait même : on ne décèle pas de “grands moments d’émotion” - comme […]
Il voyage en compagnie. Hommage cuménique ou itinéraire initiatique ? Plus on tente de percer l’énigme Manset, plus le mystère s’épaissit.
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A la vision du casting de cet album-hommage, on ne s’évanouit pas de plaisir. A la première écoute, notre moue se confirmerait même : on ne décèle pas de « grands moments d’émotion » - comme le dirait Jean-Pierre Pernault - dans ce Route Manset. Et puis, morceau après morceau, divers motifs d’enchantement apparaissent. Beaucoup d’embûches ont été évitées. Déjà, aucun protagoniste ne s’est attelé à saloper les plus beaux morceaux de Manset (Ils, Jeanne, Le Moment d’être heureux, Le Jour où tu voudras partir, Est-ce ainsi que les hommes meurent…) hormis peut-être Salif Keita qui enrobe curieusement le sublime C’est un parc. Mais l’album le plus frissonnant (Long long chemin) du personnage à la fois le plus énigmatique, intransigeant et captivant de la musique française, pourfendeur impénitent de « l’exhibitionnisme du spectacle », a été totalement occulté. Personne ne s’est non plus risqué à reprendre ses suites les plus casse-gueule (La Mort d’Orion, 2870), ni ses récents morceaux de bravoure (Lumières, La Vallée de la paix). L’album plébiscité dans cette Route, c’est celui de 75, qui a droit aux visites de Dick Annegarn, Salif Keita et Cheb Mami le « prince du raï » s’essayant au français sur le tube de Manset (Il voyage en solitaire) : aussi incongru que si l’auteur de La Mer Rouge chantait Bent Bareh en arabe. De déplacés, les roucoulements de Mami deviennent finalement ensorcelants. Autre album abordé plusieurs fois : le premier de Manset (1968), par Brigitte Fontaine et Alain Bashung. Le choix de ce dernier n’étonnera personne, lui qui déclarait « Animal nous a tous un peu décomplexés, en prouvant qu’on pouvait faire des trafics de ce côté-ci de la Manche, et plus seulement adapter. » S’extirpent donc idéalement de sa bouche amère ces paroles illuminées : « Et si l’on ne se conduit pas bien/On revivra peut-être dans la peau d’un être humain. » Les autres chansons de « l’homme étrange » ici reprises datent des années 80, exception faite de Rouge-gorge, 20 ans d’âge, impeccablement couverte par João Bosco. Le reste provient du Train du soir (Pierre Schott, le seul de la bande à singer avec réussite l’original), de Lumières (Entrez dans le rêve, traité par Murat façon Screamadelica : du tonnerre, meilleure reprise de l’hommage), de Prisonnier de l’inutile (interprétation très sobre de Cabrel), jusqu’à Matrice (Françoise Hardy retraduit astucieusement le parallèle floydien qui a souvent plané au-dessus de Manset)… Cette Route ce voyage joue donc la carte de l’éclectisme, les artistes alpagués par Bayon (maître d’œuvre du projet) provenant de cultures et d’époques souvent hétérogènes. Autant de pistes composites pour tenter de saisir l’essence mansetienne, s’insinuer dans ses fascinants arcanes, entre inspiration et plantage. Finalement, le principal regret qu’on émettra trivialement, c’est le côté rapiat de cette désacralisation : onze covers, ça laisse sur sa faim même si une charrette supplémentaire d’artistes n’aurait probablement pas suffi à combler les vides inhérents à un tel hommage.
Route Manset (EMI) .
Benoît Sabatier
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