Prodige de l’électronique sensible et voyageuse, le Français Rone ouvre son troisième album aux quatre vents, aux brillantes collaborations et aux “créatures” : les voyages auxquels il invite sont infinis. Critique et écoute.
Du débit mitraillette qui anime ses réponses en pagaille, des mille idées qui se bousculent dans son propos dense, on comprend une chose d’Erwan Castex : les événements vont très vite dans la tête du Français, cerveau bouillonnant à la vitesse de la lumière. La même vitesse et la même lumière qui ont permis à l’ancien étudiant en cinéma, à son électronique chercheuse, à ses machines ouatées, à ses morceaux voyageurs de se faire un nom en une demi-décennie à peine : celui de Rone. De se faire un nom et beaucoup, beaucoup de nouveaux amis. Des inconnus : ces milliers d’admirateurs rêveurs qui, dans les quatre coins du monde, dans leur salon, de petites salles ou de gigantesques festivals, ont trouvé en sa création les périples mentaux qu’ils désiraient s’inventer. Des amis plus célèbres également, Etienne Daho notamment, qui lui a demandé de remixer En surface, morceau de son dernier album, The National qu’il a épaulé sur l’album Trouble Will Find Me ou Jean-Michel Jarre, qui a choisi deux des titres du jeune homme pour une compilation.
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Démons intérieurs
Sur la très belle pochette de son troisième album, Creatures, la présence discrète d’une foule de petites bêtes dans le reflet de ses lunettes offre un autre indice sur le garçon : Rone va vite dans sa tête, et il n’y est plus tout à fait seul. Car si Spanish Breakfast (2009) et Tohu Bohu (2012) avaient été conçus dans une grande solitude, Castex semble avoir voulu, sur son troisième album, ouvrir en grand les fenêtres de son cortex et laisser des “créatures”, bestioles intimes ou esprits extérieurs, imprimer leur marque sur ses inspirations premières.
“J’essaie toujours de laisser l’inconscient prendre le dessus sur la réflexion. Je ne sais pas écrire la musique : les mélodies que j’ai en tête, je les retranscris en bidouillant. Cette idée de ‘créatures’ a jailli au milieu de l’album avec Lilly Wood, ma copine, qui cherchait un univers graphique pour le disque. Parce que ces machines que je triturais sortaient des sons que je ne contrôlais plus, parce qu’il y avait ces titres faits en collaboration, rafistolés comme Frankenstein… Faire des morceaux, c’est comme faire des enfants : tu en es le créateur mais le truc t’échappe un peu et finit par avoir sa propre vie.”
Ces créatures, ce sont ses petits démons intérieurs, bons ou mauvais, celles également d’un brillant casting d’intervenants extérieurs : Etienne Daho, François Marry (Frànçois And The Atlas Mountains), Gaspar Claus, Bachar Mar-Khalifé, Bryce Dessner de The National ou le trompettiste Toshinori Kondo ont notamment participé à la naissance de ces morceaux en forme de golems sonores. Parce que Rone a ouvert son disque aux quatre vents et à toutes les latitudes, parce qu’il semble avoir réussi, techniquement comme mentalement, à lâcher sans réserve la bride de sa riche imagination, Creatures fourmille d’une vie étonnante.
Grand écart
Une vie sous toutes ses formes, dans tous ses écosystèmes : organique ou synthétique, souvent les deux à la fois, la chair et le spirituel, l’abstrait et le mélodique, le clair et l’obscur, le chaud et le froid, le classique et le moderne, l’immense et l’intime, confondus dans un kaléidoscope dont les variations infinies semblent inviter à toutes les interprétations.
“Je voulais du relief, du suspense, un climax, des choses très douces et des choses très violentes. J’aime cette idée de passer par plein d’humeurs, de sensations, de parfois ne plus vraiment savoir si on est bien ou pas. Il y a des choses un peu grandiloquentes, assumées, et des choses plus intimes, un peu maladroites : je cherche toujours le grand écart.”
Des symphonies entre Son Lux, Sufjan Stevens et Plaid (la vertigineuse Ouija, la furieuse et splendide Freaks, avec Gaspar Claus, la très warpienne Sing Song, l’épique conclusion Vif, avec Bryce Dessner), des chansons comme des rêves vaporeux (l’aquatique et trouble Mortelle, chantée par Etienne Daho, la magnifique Quitter la ville avec Frànçois, la plantureuse Sir Orfeo avec Sea Oleena), un orient futuriste (la mélancolie lumineuse de Calice Texas, avec Bachar Mar-Khalifé), un hip-hop progressif et coulé (Memory) : Creatures est un disque-univers à explorer sans boussole, un bestiaire obsédant dans lequel nos songes, diurnes comme nocturnes, vont trouver ces prochains mois une belle matière.
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