Après ses camarades Jamie XX et Oliver Sim, Romy Madley Croft signe un premier album solo qui sent le dancefloor moite et la fierté queer. À découvrir sur la scène de Rock en Seine vendredi 25 août.
Jeudi 22 juin au matin. Difficile de penser que Romy Madley Croft – membre de The XX, le trio anglais qui a marqué la pop britannique au fer rouge ces quinze dernières années avec sa cold wave teintée d’électronique –, venue défendre Mid Air, son premier album solo à paraître à la rentrée, est la même personne qu’on a vue mixer sur le parvis de l’église Saint-Joseph-des-Nations la veille au soir pour la Fête de la musique à Paris !
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Autant la Romy d’hier sautait en l’air, sourire extasié, avec ses mix qui n’appartiennent qu’à elle, où un remix d’Ariana Grande s’enchaîne à un standard rave des années 1990, autant la jeune trentenaire, mèche disciplinée et look de rockeuse sage, affiche une réserve confondante. Une timidité toute de noir vêtue qui faisait tout son charme et que Romy brise enfin avec sa première excursion en solitaire, alors que ses deux comparses, Jamie XX puis Oliver Sim, n’ont pas hésité, bien avant elle, à aller prendre l’air et à explorer de nouvelles pistes musicales, en dehors de leur trio originel.
Compositrice pour Kelela, King Princess, Jehnny Beth ou Silk Cit
“Je n’avais pas en tête de m’aventurer vers une carrière solo, explique Romy. Depuis quelques années, j’ai beaucoup écrit et composé, mais pour d’autres artistes, car j’avais besoin d’être dans un cadre créatif hors de la pression du groupe. Mais j’avais surtout soif d’apprendre, d’acquérir de nouvelles techniques de composition, histoire de comprendre comment la pop mainstream est produite, autant de choses que je pourrai intégrer par la suite dans le processus créatif de The XX. J’ai participé à plusieurs sessions d’écriture à Los Angeles : ce sont des séances de travail assez étranges et abstraites, car tu te retrouves à écrire des chansons sans savoir qui va les chanter. Or j’ai besoin de connaître l’interprète, de parler avec lui ou elle, d’entendre son ressenti, ce qu’il ou ce qu’elle veut exprimer, bref d’être simplement à ses côtés.
J’étais seule face à moi-même, alors j’ai écrit, en me fondant sur ma propre expérience, toute une série de titres qui résonnent de manière très confidentielle et intime. Quand je les faisais ensuite écouter à des amis, leurs réactions étaient invariables : ‘Mais ce morceau parle de toi ! Tu ne peux pas le donner à quelqu’un d’autre, tu dois l’interpréter !’ Et je répondais systématiquement : ‘Ah non, hors de question !’ Tout doucement, j’ai commencé à prendre confiance en moi et j’ai réalisé qu’ils avaient raison, que c’était à moi de les chanter.”
Fred Again, la rencontre décisive qui va la pousser à se lancer dans l’aventure solo
Après avoir composé pour Kelela, King Princess, Jehnny Beth ou Silk City (le duo formé par Mark Ronson et Diplo), Romy croise la route de Fred Again, le jeune producteur et DJ anglais que tout le monde s’arrache (Ellie Goulding, Charli XCX, P!nk, George Ezra), réputé pour sa maîtrise du piano (il vient de sortir un disque avec Brian Eno) et son appétence pour la musique de club la plus jouissive et décomplexée : une rencontre qui va tout précipiter.
“J’ai connu Fred en 2018, se souvient Romy. Il n’avait encore rien sorti, mais produisait beaucoup pour d’autres – il en est déjà aujourd’hui à son quatrième album. [sourire] Nous sommes devenus rapidement amis, c’est un garçon vraiment adorable, un bosseur acharné. On a commencé très vite à travailler ensemble, il a su me donner confiance et m’a poussée à me lancer enfin dans l’aventure.”
En quête d’une “safe place”
Une assurance palpable dès Lifetime, le premier single signé par le tandem, sorti à l’automne 2020, pure euphorie eurobeat parcourue de riffs trance et portée par les vocaux déployés comme jamais de Romy. Le signe avant-coureur que la chanteuse opérait une drôle de mue, abandonnant sa carapace de rockeuse pour mieux nous inviter à pousser la porte du club et danser avec elle dans un grand élan d’empowerment. “C’est un disque sur la célébration, le salut et le refuge que représente le dancefloor, qui parle d’amour, de chagrin, de relations amoureuses, d’identité et de sexualité. C’est une lettre d’amour aux clubs queer dans lesquels j’ai trouvé un refuge et une communauté.”
Mid Air est ainsi un double salto arrière dans l’adolescence de Romy, lorsque, découvrant son homosexualité à 16 ans, elle traînait au Ghetto, un club gay londonien, tous les jeudis soir avec Oliver Sim, qu’elle connaît depuis sa plus tendre enfance. Une “safe place” selon les propres termes de Romy, un endroit où être enfin soi-même, sans le regard désapprobateur et les remarques désobligeantes du reste de la société, un endroit où apprendre à s’accepter dans la joie. “Un lieu excitant à découvrir quand tu es adolescente car j’ai pu y trouver des représentations et rencontrer des personnes comme moi qui sont toujours aujourd’hui mes meilleurs amis, ajoute Romy, même si cet endroit n’existe plus et est devenu une station de métro !”
Daft Punk, Everything but the Girl, Madonna et Corona en ligne de mire
C’est cette émancipation par le club et la danse, cette bulle de liberté sublimée par la boule à facettes, découverte au Ghetto où elle a aussi fait ses premiers pas comme DJ, que Romy a cherché à retrouver sur Mid Air. Un grand tourbillon enivrant de trance, de pop vocale, d’eurodance, de tubes rave sortis des limbes des nineties, de clins d’œil à la French Touch filtrée qui s’immisce dans cette forme d’abandon permise par la club music.
Ce mélange de mélancolie et d’euphorie réunies fait référence au Missing d’Everything but the Girl, que Romy écoutait enfant dans la voiture de ses parents, au Around the World de Daft Punk, qu’elle se souvient avoir enregistré sur cassette lors de sa première diffusion sur la BBC, au Rhythm of the Night de Corona, tube ultime selon Romy (qu’elle a d’ailleurs repris avec The XX en version acoustique), ou à son album préféré de tous les temps, Confessions on a Dance Floor (2005) de Madonna.
“Dans tous ces disques, il existe une émotion mélangée à une forme d’euphorie que j’ai toujours aimée, se justifie Romy, qui a fait ses premières armes musicales en écoutant du punk et en traînant dans les concerts de rock tout en vouant une passion plus ou moins secrète à la dance. Avec le confinement [qu’elle a transcendé en dansant avec sa copine sur Chromatica de Lady Gaga en boucle], j’ai réalisé à quel point ces morceaux possèdent un pouvoir salvateur, vous transportent vers un ailleurs meilleur, vous plongent dans une bulle de bonheur.”
“De purs tubes pop qui sonnent monstrueusement en club”
C’est ce pouvoir de résilience, ce mélange entre une pop très écrite et l’immédiateté de la dance music qui a guidé Romy dans la longue élaboration de ce disque, freinée par la pandémie. Chaque titre a connu de nombreuses versions, avant d’aboutir au dosage parfait et que Romy ne rencontre enfin Jacques Lu Cont (producteur, entre autres, de Confessions on a Dance Floor de Madonna), tout de suite emballé à l’idée d’apporter sa science de la pop comme de la club music et cette habileté, comme le résume parfaitement Romy, “à composer de purs tubes pop qui sonnent monstrueusement en club mais qui peuvent être aussi joués à la guitare sèche”.
Mid Air, avec ses onze titres capables d’alterner purs bangers à faire trembler Ibiza (Enjoy Your Life, qui sample La Vita de Beverly Glenn-Copeland – que Romy a découvert en concert avec la chanteuse Robyn), douces ballades balearic (The Sea, comme un hommage transi à Everything but the Girl) ou house saisie dans son hédonisme le plus brut (l’irrésistible She’s on My Mind), est une bouffée d’ecstasy parfaitement addictive, qui passe du rire aux larmes, du salon au dancefloor, de la naïveté à la gravité, avec toujours la même aisance.
Certainement, comme le confirme Romy non sans humour, car elle a utilisé le même micro que celui de Madonna pour Confessions on a Dance Floor ! Mais Mid Air est surtout le disque où la membre la plus timide du trio se confie de manière inédite, abordant l’amour, notamment lesbien, sous toutes ses facettes. “J’ai essayé d’écrire sur les côtés les plus positifs de l’amour, confirme-t-elle, même si j’ai connu de nombreuses peines de cœur. C’était une forme de défi, d’envie de partager des expériences positives, mais aussi un message d’espoir envoyé à toutes les personnes queer, même si ce n’est encore toujours pas facile de l’être en 2023 !”
Une envie de “casser les codes”
Un disque plus politique qu’il n’y paraît à la première écoute, où Romy se dévoile en abordant de front son homosexualité. Alors que les chansons non genrées de The XX s’adressaient aussi bien aux garçons qu’aux filles, Mid Air est une confession intime sur le dancefloor, un vœu de puissance et de transcendance adressé à tous et toutes les queers.
“Je n’y ai pas pensé tout de suite quand je me suis attelée à ce projet, explique Romy. Puis je me suis souvenue de l’importance qu’avaient eue, pour moi et mes amies, dans notre construction et notre libération, des tubes comme Smalltown Boy de Bronski Beat ou Dancing on My Own de Robyn.
J’aurais pu faire un disque de chansons tristes accompagnées à la guitare sèche – après tout, c’est ce qu’on attend d’une lesbienne, non ? [rires] Mais j’avais envie d’explorer de nouvelles pistes, de casser les codes, de sortir de ma zone de confort et d’embrasser la dance music dans ce qu’elle a de plus libérateur. J’espère juste que Mid Air, par la visibilité dont il se réclame, offrira de nouvelles formes de narration à tous les jeunes queers qui en ont cruellement besoin.”
Mid Air (Young/Wagram). Sortie le 8 septembre. En concert au festival Rock en Seine, Saint-Cloud, le 25 août.
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