On a profité de la réédition augmentée de onze titres de son « Morale2 » (baptisée « Morale 2Luxe ») pour faire le point avec Roméo Elvis. Succès, weed, Angèle, coup de coeur pour Vald : le rappeur belge se confie.
2017 a été une année majeure pour toi non ?
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Roméo Elvis – C’est une année qui a tout multiplié, que ça soit les vues, les places de concert, le nombre de personnes qui ont travaillé avec moi.
Ça t’a fait peur à un moment ce buzz ?
Beaucoup de gens passent d’un rappeur à l’autre, oublient. Les rappeurs doivent tout le temps être au top. « Regardez ! Je suis numéro 1 sur Spotify ! » Je le fais aussi. Ça, ça m’inquiète. Ça va vite. Si on n’avait rien ressorti cette année, je sais qu’on aurait moins parlé de nous… C’est forcément un truc qui m’intrigue et m’affecte. J’y fais très attention. C’est devenu mon métier maintenant et je fais vivre des gens autour de moi avec ça. Par rapport au mode de vie, j’ai clairement arrêté les excès : la clope, l’alcool, la drogue. Je me suis remis au sport.
Tu es encore jeune pourtant !
L’alcool ne m’a jamais plu. Quand on boit, on ne se contrôle pas, on fait des choses qu’on regrette. Et quand on fume, on regrette de ne pas avoir fait quelque chose. Je préfère regretter de ne pas faire les choses, j’ai déjà une grande gueule… Je me rends aussi compte que je n’aurais jamais pu faire une tournée de plus de 50 dates avec l’alcool. Le seul vice que j’ai c’est donc la beuh, pure, à l’Américaine.
Ça t’apporte quoi la weed ?
La beuh me relaxe. C’est un moyen efficace pour ne pas écouter les sifflements de mes acouphènes aussi. Ils peuvent me rendre fous.
Tes acouphènes t’handicapent dans la création musicale ?
Ils m’handicapent pour le mix. Il y a des sons que je ne perçois plus. En live, je ne peux pas m’entendre correctement car je n’ai pas le système « in ear ». Ça serait trop dangereux en cas de larsen. Les acouphènes sont irréversibles. Le seul remède c’est la force mentale. En ce moment j’ai assez de choses autour de moi pour me permettre d’affronter cette souffrance. il faut bien le prendre. il y a des remèdes de méditation qui marchent bien. le soir je suis chez moi, je fume et je me retrouve dans un état un peu défoncé, pas minable hein. Et soudain je ne pense plus à mon acouphène ! quand je me sens bien tout va bien et quand je suis stressé, fatigué, ça empire…
Tu es quelqu’un d’angoissé ?
Je suis très angoissé. Je pense qu’il y a deux types de personnes dans la vie : les « RNG », rien n’est grave, et les « TPA », tout peut arriver. Moi je suis un TPA. Je pense à ce que je dois faire le lendemain et je ne prends pas de plaisir. Les RNG sont des gens pour qui le tableau de configuration c’est un bouton sur lequel ils appuient. Moi je vois pleins de boutons et je stresse pour savoir sur lequel appuyer !
A la fois, tu es bourré de second degré…
J’apprécie l’humour, le spectacle, la connerie. C’est peut être pas le mot « stressé » qui convient mais plutôt « nerveux ». J’ai beaucoup d’énergie et si je ne l’utilise pas dans la musique, dans l’artistique, ça tourne au vinaigre. Parce que je prends les mauvaises décisions, je réagis à chaud, je me mets des gens à dos, je parle, j’agis sans réfléchir.
Tu as participé au Planète rap de Lomepal en novembre dernier avec Alkpote et Philippe Katerine, c’était comment ?
Philippe Katerine s’est assis à côté de moi et au bout de 5 minutes il me dit « Roméo Elvis c’est ça ? », « euh oui cest moi », « je peux avoir un selfie ? » On a donc échangé un selfie ! Il est très humain. Bon après on dit toujours ça sur les gens célèbres, « il est très normal ». Tu t’en doutes. Mais c’était génial de l’avoir lui avec Alkpote sur cette radio. C’est la démocratisation, la diversification du rap qui s’installe de plus en plus. Je vois plein d’acteurs, de footballeurs français qui nous envoient du love. Le rap sort du rap !
Tu connaissais bien Katerine ?
A fond ! Je suis fanatique ! Il a tourné dans mon prochain clip, L’Amour avec des crocos. Je trouve que c’est un super compositeur. J’ai trop de respect pour lui.
L’Amour avec des crocos, c’est une ode à la zoophilie ?
J’aime bien m’approprier des clichés dans le rap, comme baiser des meufs. Je les reprends et je les exacerbe. J’utilise des crocodiles comme ça…; En fait je me rends compte que ça fait trois minutes que j’essaye de t’expliquer ce morceau mais je n’y arrive pas. C’est instinctif, ça sort comme ça !
C’est de l’absurde ?
Ça me fait toujours rire de dire des trucs absurdes, de prendre les gens à contrepied. Le morceau est super violent, et les paroles sont rigolotes et absurdes. J’aime bien faire ça. Ça me fait kiffer d’allier l’humour à un truc violent qui va casser des gueules sur scène.
Pourquoi ne pas avoir sorti un nouvel album ?
Le prochain album sera sans Le Motel. Là on voulait continuer l’aventure parce que Morale2 est disque d’or en Belgique. Faire une réédition nous permettait de prolonger la tournée. Moi j’ai signé chez Barclay. cest eux qui nous ont proposé aussi de relancer la machine Morale2 en France.
Tu es un super rappeur live, tu le travailles ?
À fond. On a commencé par des répétitions avec des coachs. Maintenant je travaille ma voix pour bien l’utiliser sur scène, et ne pas avoir de problèmes de souffle. Je vais travailler avec Leo, le copain de ma sœur, qui est danseur pour Christine and the Queens pour la gestuelle.
T’écoutes quoi en ce moment ?
J’écoute Vald à fond, à fond, à fond. Je me le prends à 1000%. Il s’ouvre beaucoup plus sur cet album, et il se fout beaucoup moins de notre gueule. Ça fait des années qu’il prend cette espèce d’incompréhension autour de lui à la dérision, il se fout de la gueule des gens, des médias. Et là soudain il dit qu’il a peur qu’on le manipule, il reconnait qu’il est devenu capitaliste. C’est mega fort.
===>>> A lire : notre entretien avec le beatmaker Le Motel.
Tu es quasi plus chanteur que rappeur sur Morale 2Luxe, tu écoutes de la chanson française ?
Apparemment j’étais fan de Balavoine quand j’étais petit. Je sais que mon père écoutait beaucoup de chanson française, Etienne Daho, Bourvil ! Ça n’a jamais été des Renaud ou Johnny.
Pourtant Johnny figure parmi tes nombreux prénoms !
Mes parents ont mis ça pour Johnny Hallyday mais après ils m’ont dit que je pouvais choisir Johnny Cash si je voulais ! Je l’ai toujours pris à la dérision Johnny. C’est une figure emblématique, rigolote, un peu botoxé avec des problèmes de fisc, des gaffes de prononciation. Je n’ai jamais été fanatique de Johnny mais je connais ses morceaux évidemment.
Ta sœur Angèle cartonne, comment le vis-tu ?
C’est une immense fierté. C’est une travailleuse, elle a du mérite. Elle est appliquée. C’est beau quand c’est fait par de belles personnes dans ce milieu où il y a beaucoup d’égo. C’est hyper touchant de voir sa petite sœur réussir. Elle est bien entourée. Elle est avec un keum depuis plus d’un an, que je connais hyper bien. Je ne m’inquiète pas trop du coup. J’aurais pu m’inquiéter des mecs car elle est très mignonne et je sais qu’elle est aussi appréciée pour ça. Faut faire attention, ça peut être un fardeau. Mais elle a les pieds sur terre.
Le rap a toujours une image très sexiste, qu’en penses-tu ?
Ça fait partie des codes que je n’apprécie pas trop. La bédave, la haine contre les flics je peux l’entendre. Mais le sexisme c’est un peu facile. Ma position est claire : je trouve ça inutile, fatiguant, de même que l’homophobie. Les trucs d’insulte genre « PD » ça me rend ouf. Le simple mot « fils de pute » est finalement utilisé à tort. C’est un réflexe que les mecs ont. Ça fait 20 ans qu’on en parle. Je ne suis pas du tout du côté « liberté d’importuner », mais je trouve que la vague d’indignation est surprenante. Ce qui m’interpelle c’est pourquoi on s‘indigne maintenant ? Le milieu du cinoche…tout se dit, tout se sait. Il y a une grosse hypocrisie quand même.
J’ai écrit un morceau où je suis un personnage qui tue une femme. C’est un truc trash, un excès. Je l’ai fait écouter à un pote que je ne nommerais pas. et le mec me dit nan mais tes fou tu peux pas sortir ça, surtout avec ce qu’il y a en ce moment. C’est fou comme réponse… ça fait des années qu’on connait les violences, l’inégalité salariale… Le harcèlement sexuel c’est pas le harlem shake ! Ça fait longtemps que ça existe, c’est un fléau de la société. Et ça n’a pas été assez écouté.
Tu penses que le public, les médias ne voient pas assez les personnages qu’incarnent les rappeurs ?
Oui. Je pense à Vald et à Damso. ça arrive souvent de se faire attaquer pour ça. Le rap est rattaché à la personnalité du rappeur. Sur Méchants je me suis fait critiquer parce que je dis que j’ai appris à tuer des gens et que j’ai caché des flingues dans ma chambre. Les gens me disent « hey c’est un petit-bourgeois il se prend pour qui » J’ai envie de dire « bien sûr que je suis un petit-bourgeois, je joue ! » ma sœur m’a fait réfléchir sur le morceau. Elle m’a dit qu’on ne comprenait pas assez la prise de position, j’ai donc revu mon texte.
Tu as une punchline préférée en ce moment ?
Celle de Vald sur Désaccordé quand il dit « Ton rap de caissier qui vend pas ». Oh putain au moment où je te parle j’ai une notification de Vald qui m’envoie plein de cœur ! C’est fou les planètes s’alignent ! Il est très gentil Vald. C’est agréable de le voir. Moi j’ai été caissier pendant 6 ans, tout le monde le sait à Bruxelles, et tout le monde a donc cru qu’il disait ça par rapport à moi alors que je pense que lui ne savait même pas que j’étais caissier. C’est drôle de voir que les gens ont juste envie de s’emballer sur quelque chose.
Ça te gonfle qu’on parle tout le temps des « rappeurs de Bruxelles » comme si vous ne formiez qu’un ?
Là tu poses la question en dernier et ça fait trop plais’ tu vois. On nous demande toujours ça en premier et on nous demande d’expliquer pourquoi le rap belge marche bien… J’en suis trop heureux mais je ne sais plus quoi en dire. On est installés dans le jeu maintenant. Peut-être qu’à un moment ce truc-là passera.
Tu penses quoi des Victoires de la musique ? [la cérémonie n’a alors pas encore eu lieu]
C’est un peu désolant de voir qu’il n’y a aucun renoi de représenté. je trouve ça ouf que Damso ne soit même pas représenté là alors qu’on me parle déjà de faire les victoires de la musique dans un an ou deux alors que je n’ai jamais autant vendu que lui. Je rafle tout parce que je suis blanc. C’est malaisant de voir qu’on en est encore là en 2018. « Musiques urbaines » avec trois artistes blancs…
Roméo Elvis, Morale 2Luxe (Daring Music/Barclay), sortie le vendredi 16 février.
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