Grâce à un trio de songwriters de talent, les Australiens signe un deuxième album brillant, voyageur et riche en collages sonores savants.
“L’éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps.” La citation de Racine, reprise à son compte par le réalisateur Chris Marker dans son film Sans soleil (1983), trouverait sa place dans la préface d’un bouquin consacré à Rolling Blackouts Coastal Fever. La formation indie pop de Melbourne, par son origine lointaine et insulaire, rend compte depuis ses balbutiements au début des années 2010 de ce décalage géo-temporel, à travers une collection de chansons se défiant de ce que l’on pourrait appeler, en opposition à la phrase de Racine, “l’air du temps”.
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Quelque part entre la jangle pop de Real Estate, la discographie des Feelies et le catalogue du label néo-zélandais Flying Nun Records (The Bats, The Clean) – sorte d’écho aux mouvements shoegaze et post-punk venus du continent océanien dans les années 1980 –, RBCF trace ainsi son microsillon et a sorti un deuxième album, Sideways to New Italy, qui ne devrait pas déboussoler les amateurs de la première heure, dont nous faisons partie.
Une longue maturation faite de décalages
Même si Joe White, l’un des trois songwriters avec Tom Russo et Fran Keaney, témoigne d’un processus d’enregistrement plus “expérimental” qu’à l’accoutumée : “Il a été mis en boîte en trois semaines, à Melbourne, mais on a beaucoup travaillé dessus en amont. On a toujours les mêmes goûts. On a essayé des nouveaux trucs, mais c’est toujours nous. C’est pour cela que ce disque peut sonner de façon familière. Cela reste des pop songs”, nous confie-t-il.
Après la sortie de Hope Downs (2018), leur premier lp, les Australiens quittent leur île pour une grande tournée qui devait, notamment, les amener à Paris, sur la scène de la Grande Halle de La Villette, dans le cadre du Pitchfork Music Festival. “La première fois qu’on partait outre-mer pour défendre un disque”, glisse Joe, ravi de constater que le public américain et européen les attendait de pied ferme. La relation du groupe au reste du monde ressemblait avant cela aux échanges épistolaires désincarnés et déphasés du titre The French Press, issu d’un second ep éponyme paru en 2017.
“L’histoire de deux frères séparés par des milliers de kilomètres, l’un étant en France, l’autre en Australie, précise Joe. Pendant que l’un lit la presse française (the French press – ndlr), l’autre se fait un café dans une cafetière à piston, également appelée french press.”
Un décalage que le voyage et les tournées “répareront” et qui nourrira l’écriture, toujours à six mains, de Sideways to New Italy : “Le concept est né du constat qu’on était perpétuellement en mouvement. New Italy, c’est une référence directe au besoin de ramener un bout de chez toi où que tu ailles. Le genre de chose que tu comprends une fois rentré à la maison après une longue absence. Tu reviens un peu différent et cela affecte tes relations.”
Phases introspectives et morceaux plus directs
Rolling Blackouts Coastal Fever a donc changé sa manière de bosser, sans bouleverser totalement l’équilibre des choses. Fran, Tom et Joe ont gardé cette habitude de chanter chacun leurs propres chansons, mais font intervenir les autres membres du groupe plus tôt dans le processus de composition : “On était vraiment dans une dynamique collaborative. On apportait les idées à un niveau embryonnaire et on essayait d’explorer, de voir où les jams et autres aspects de l’improvisation pouvaient nous mener, se souvient Joe. On a moins la sensation que les morceaux viennent d’un des musiciens en particulier, mais plutôt du collectif.”
Le changement n’est pas identifiable à la première écoute, la fluidité, la cohérence, le moule RBCF ayant toujours constitué les forces d’un groupe dont les plumes peuvent passer d’une main à l’autre, sans que l’aura d’un disque, dans ses moments les plus directs (Talking Straight, sur Hope Downs) comme dans ses phases les plus introspectives (Sunglasses at the Wedding, sur Sideways to New Italy), s’en trouve égratigné.
Et puis, en y regardant de plus près, on trouve quelques fantaisies qui viennent rompre avec la logique métronomique et harmonique centrée sur une section rythmique guitares-batterie rigoureuse, comme cette basse dansante ouvrant le titre The Only One, ou encore la structure alambiquée de The Second of the First, morceau d’ouverture où se mêlent collages sonores cacophoniques et voix fantomatiques, avant d’enchaîner avec une transition à peine perceptible sur Falling Thunder. “La première fois que j’ai joué un morceau devant des gens, ça devait être une reprise de Dive, de Nirvana. Je me souviens de l’excitation du riff et du sentiment d’électricité”, se remémore Joe. Un frisson qui ne l’a jamais vraiment quitté et qui parcourt la discographie jusqu’ici impeccable de Rolling Blackouts Coastal Fever.
Sideways to New Italy (Sub Pop/PIAS)
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