Armé de guitares classiques, le duo mexicain Rodrigo y Gabriela enflamme les foules avec sa musique acoustique muy caliente.
C’est l’histoire d’un homme et d’une femme engagés dans une cavale échevelée, de deux tueurs nés maniant de redoutables pétoires, qui enfreignent toutes les lois et affolent le coeur des foules. Bonnie & Clyde ? Non : Rodrigo Y Gabriela. Depuis 2006 et la sortie de son troisième album, aujourd’hui réédité, ce duo de guitaristes mexicains, balayant la planète de long en large tel un inépuisable cyclone, renverse tout sur son passage : les barrières entre les genres, les stéréotypes généralement associés au rock comme aux traditions latines, et cette idée absurde selon laquelle l’électricité poussée à plein volume serait le seul agent du désordre musical.
Car ce n’est pas avec des Gibson ou des Stratocaster chauffées à blanc que Rodrigo Y Gabriela, capables de mettre des stades entiers en transe, sont passés maîtres dans l’art de brûler les planches. Leur arme de prédilection n’est rien d’autre que la guitare classique, dont les cordes nylon deviennent sous leurs doigts de feu des fils très conducteurs, traversés par le courant à haute tension du plaisir.
Rodrigo Y Gabriela ne sont pas les premiers à déclencher un tel vent de folie acoustique : bien avant eux, Paco de Lucia, Baden Powell ou Tim Sparks, pour ne citer que ceux-là, auront aussi été d’ébouriffants semeurs de tempête. Mais les jeunes Mexicains ont un souffle qui leur est propre, et qui doit autant à l’originalité de leur pedigree qu’à la singularité de leur jeu.
Fans inconditionnels de Metallica, Pantera ou Megadeth, Rodrigo Sánchez et Gabriela Quintero sont de purs produits de la scène thrash-metal de Mexico. Au début des années 1990, ils se sont ainsi retrouvés au sein du groupe Tierra Acida – dont on peut voir quelques images croquignolettes dignes de Spinal Tap dans le DVD qui accompagne leur album. “Nous étions assez étroits d’esprit à l’époque, reconnaît Rodrigo. Mais nous savions que d’autres musiques existaient, notamment grâce aux albums de rock, de jazz ou de flamenco qu’écoutaient nos parents. Lorsque nous avons quitté le Mexique, toutes ces influences sont ressorties et ont coloré notre jeu.”
Quittant sans regret le petit monde du thrash (“Trop d’attitude, pas assez de musique”, résume Gabriela), le duo prend en effet la tangente en 1998 : direction Dublin, avec deux guitares en bois comme tout bagage. “L’acoustique, pour nous, était synonyme de liberté, raconte Gabriela. Pas besoin d’amplis ni de partenaires : nous pouvions jouer dans les rues et les cafés, changer d’endroit quand bon nous semblait.” Leur périple, qui les mènera également à Copenhague et à Barcelone, se double d’un voyage musical initiatique.
Travaillant leurs instruments comme des forcenés, le duo élabore la formule magique de leur ensorcelante musique, qui repose sur une savante répartition des rôles. Gabriela s’adjuge les parties rythmiques et harmoniques tout en assurant le travail de percussions, effectué à même la caisse avec une énergie saisissante ; Rodrigo, lui, se charge surtout des motifs mélodiques, qu’il exécute avec la gracieuse dextérité d’une fileuse de dentelle.
Le résultat évoque un improbable croisement entre la puissance éruptive de la rumba catalane, la fluidité mélodique de la pop, la richesse harmonique du flamenco ou du classique et l’intensité du metal. Sans renier leurs premières amours soniques – leur album contient de fameuses relectures de Stairway to Heaven (Led Zeppelin) et Orion (Metallica) –, Rodrigo Y Gabriela ont créé un langage neuf et autonome : chez eux, la virtuosité, avant d’être un art du geste, est surtout une formidable science de la parole. “Nous n’avons jamais été fans des phénomènes de la guitare comme Joe Satriani, précise Rodrigo. Nous prenons plaisir à repousser nos limites techniques, mais il est hors de question de transformer nos morceaux en numéros de cirque. Tant que nous jouerons ensemble, nous mettrons nos guitares au service de la seule musique.”