Record d’affluences, programmation dantesque, fosse VIP controversée : la première édition de Rock En Seine depuis 2019 était un formidable manège à sensations fortes.
Alignant Tame Impala, Nick Cave et ses Bad Seeds, les Arctic Monkeys, Kraftwerk aux côtés de IDLES, Squid, Fontaines D.C., Lala &ce, La Femme, Parcels ou Jehnny Beth, le retour du festival parisien avait des allures de rouleau compresseur pour mélomane. Une première édition depuis la pandémie, qui mettait donc les petits plats dans les grands : 82 concerts étalés sur quatre jours de festival – dont trois sold out -, avec, à la clé, un record d’affluence de 150 000 festivalier·ères. Néanmoins, sous le vernis de ces excellents résultats, un point reste à déplorer : la présence d’une fosse VIP largement décriée par le public et la presse, gâchant quelque peu la fête de retour de Rock En Seine – et, au passage, quelques pogos. Réservé à un public ayant payé plus cher et engloutissant la moitié des devants de la grande scène du festival, le désormais fameux golden pit a relancé les débats – plus que jamais décisifs – sur la recherche d’un modèle de festival plus résilient, mais toujours accessible au plus grand nombre. Récit.
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Aldous Harding, l’art du rien
Il aura fallu environ quatre mots et neufs morceaux à l’artiste néo-zélandaise pour conquérir le public de Rock En Seine. À l’instar de ces clips aussi fascinants que terrifiants, la performance d’Aldous Harding a prolongé la visite au royaume de l’étrange dans un show minimal. Pour peu qu’on se laisse happer par ce court passage en revue de la discographie de l’autrice du récent Warm Chris, Aldous Harding absorbe complètement notre attention en un simple écarquillement de yeux ou un pas de danse digne d’un Sims. TD
Jehnny Beth, goth girl
Arborant un tee-shirt blanc orné d’un “BADASSE” rose et d’une jupe simili-cuir noir, Jehnny Beth accoste en héroïne aux côtés de ses acolytes gothiques, le fidèle Johnny Hostile, son compagnon à la vie comme à la scène, et la productrice Malvina Meinier. Le trio de corbeaux déballe les synthés hypertrophiés, quitte à tourner au kitsch, et s’offre une virée dans les nineties, époque indus’ largement dominée par ce petit génie de Trent Reznor avec sa bande Nine Inch Nails, dont Jehnny reprend d’ailleurs le cultissime Closer. Filant l’inspiration goth années 1990 tout au long du set, la chanteuse française, qui flirte frénétiquement avec l’anglais, débite avec force les meilleurs titres (We Will Sin Together et Flower en tête) de To Love Is To Live, son premier effort solitaire paru à la sortie du confinement au printemps de 2020. Amorçant la fin du show, elle range l’artillerie lourde et entonne le vibrant I’m The Man au milieu de la foule dans un a cappella parfait. JP
James Blake, l’embellie
Si l’on nourrit toujours des regrets de voir un artiste de l’envergure de James Blake se produire aussi tôt en festival – un horaire trop ensoleillé pour la musique noctambule de l’artiste anglais –, sa bonhomie contagieuse a eu raison de nous. Partagés entre climax lacrymaux (superbes Limit to Your Love et Say What You Will) et improvisations d’obédience techno (CMYK), la performance de l’artiste préféré de nos artistes préféré·es s’est soldée, dans un dépouillement très classe, par une formidable reprise piano-voix du Godspeed de Frank Ocean. TD
Los Bitchos, en bande organisée
À chacun de leur passage en France, le quatuor féminin originaire de Londres enfonce un peu plus le clou des promesses formulées sur Let The Festivities Begin!, leur premier disque paru cette année. Entre les aspirations latines de la traditionnelle cumbia et le surf rock écouté à fond sur la côte californienne, les petites protégées d’Alex Kapranos, le leader de Franz Ferdinand qui a mis en boîte leur album, enchaînent The Link Is About To Die, Pista (Fresh Start) ou encore l’excellent Tripping at a Party. Autant de titres qui feraient groover aussi bien un petit village paumé en montagne où la chaleur estivale cogne toute la nuit qu’un club citadin où les murs ne cessent de suer. En bande de meufs affirmées, parfois un peu éméchées, Los Bitchos roule toujours vers une unique destination : la fête. JP
The Limiñanas, comme dans un film
De Película, leur dernier disque paru en 2021 et concocté aux côtés de l’incontournable Laurent Garnier, pourrait faire office de bande originale pour un road movie où l’errance rencontre la musique électronique et le krautrock discute avec Gainsbourg. En suivant le périple de cette tête brûlée de Saul, le personnage principal de l’album, on se demandait comment transposer une histoire en live. Sans douter des capacités de ces Perpignanais·es érudit·es, Lionel et Marie Limiñana s’entourent d’une meute de musiciens, parmi lesquels l’excellent Eduardo Henriquez (moitié du duo fêtard et minimaliste Nova Materia) en frontman prêt à en découdre. De Que Calor ! à la reprise de Mother Sky des iconiques CAN, en passant par Je rentrais par le bois… BB, The Limiñanas nous procure toujours autant de plaisir. JP
Kraftwerk, ou pourquoi il fallait faire LV1 allemand
“Non mais Daft Punk, ils ont rien inventé”, lâche un gars au milieu d’une foule compacte portant des lunettes rectangle blanches, en carton, pour lesquelles on pourrait appeler la police du style, mais qui s’avèrent très utiles pour entrer dans la troisième dimension d’Autobahn. En effet, pour celleux qui sont né·es en même temps que la French Touch, se rendre à un concert de Kraftwerk, c’est aller voir un groupe mythique mais archaïque, vieillot mais terriblement précurseur, que des parents ont probablement écouté sur cassette et que les gosses de la génération Z découvrent désormais au programme de la spécialité allemand, entre un cours sur la Neue Sachlichkeit et un texte de Bertolt Brecht. En robots indéboulonnables, Kraftwerk écume les classiques comme Tour de France, The Model, The Robots, Radioactivity et ressuscite le début froid des seventies avec sa musique électronique sinusoïdale et bizarroïde. Ein, zwei, drei, vier. Comme un hommage implicite à Florian Schneider, co-fondateur du groupe disparu en 2020, Kraftwerk (re)confirme son statut d’icône en clôturant le show phénoménal sur Boing Boom Tschak / Music Non Stop. JP
Squid, l’éruption
“Merci de venir nous voir jouer à la place de Kraftwerk”, esquisse Ollie Judge, le batteur-chanteur de la formation de Brighton, après une entrée en matière qui avait déjà dissipé tous nos doutes quant à ce choix draconien. Non loin des robots allemands, Squid leur répond par une performance au cordeau qui soulèvera la poussière du parc Saint-Cloud : setlist épurée (sept morceaux), interactions limitées et improvisation jazzy pour lier le tout. “I play my part”, éructe Ollie sur Narrator en guise de clôture d’une heure de pogos effrénés et de sidération. En effet, Squid a parfaitement rempli son rôle. TD
Nick Cave, la grande messe
Un “yeah yeah” au public à sa droite, un “boo boo” vers le golden pit à sa gauche. À bien des égards, la prestation de Nick Cave aura synthétisé en deux heures d’un show gargantuesque toute cette édition de Rock En Seine : don de soi absolu, public transi d’adoration et réaffirmation d’une approche égalitaire (à défaut d’être gratuite) des festivals en dénonçant la présence d’une fosse VIP (et donc plus chère) dévorant la moitié du front row. Deux heures d’ivresse, d’électricité et de larmes placées sous le signe du rock, du blues et du gospel. TD
La Femme, foutre le bordel
Comme toujours, le programme du jour 3 s’annonce des plus réjouissants : le groupe de Marlon et Sacha, nos chouchous basques, freaks et rocks, vient pour donner un concert bordélique. Toute vêtue de blanc et coiffée en drag ou punk rétro-futuriste, La Femme écume les tubes, de Où va le monde à Sur la planche 2013, en passant par Antitaxi et Elle ne t’aime pas, tout en faisant résonner les Cool Colorado, Foutre le bordel et autres Paradigmes zinzins arrivés l’an dernier pour poursuivre la fête. Sans oublier ce moment brillantissime où La Femme remercie les photographes de concerts, notamment Robert Gil et son marchepied, figure iconique des pits parisiens. JP
Lala &ce, prodigieuse
Disons que notre dernière rencontre fût frustrante. Accompagnée d’un groupe de musiciens, Lala &ce labourait la scène de la Maison de la Radio en solo, lors de l’Hyper Weekend Festival en janvier dernier, face à un public frénétique, mais assis à cause des restrictions sanitaires. Party remise et pari tenu à Rock En Seine, la jeune prodige du rap actuel déballe ses titres les plus galvanisants, Fallait Dire Non en tête, et secoue sa fanbase en offrant des basses ultra lourdes au fracassant SunSystem, son dernier disque paru cette année. JP
Tame Impala, le cours magistral
Après que Jamie XX ait – presque littéralement – transformé la grande scène en dancefloor géant (boule disco et scénographie mettant la danse à l’honneur à l’appui), la bande de Kevin Parker avait le champ libre pour électriser les milliers de festivalier·ères chauffé·es à blanc. Si les premiers instants de la performance laissaient imaginer une prestation doucement ennuyeuse, l’Australien a tôt fait de dissiper les doutes à la faveur d’un Elephant dantesque et surtout d’un enchaînement Let It Happen/Feels Like We Only Go Backwards : véritable maestria technique doublée de la maladresse attendrissante de Kevin Parker, bol d’air frais au pays des têtes d’affiche rock. Un numéro d’équilibriste parfaitement calibré et dimensionné pour d’énormes audiences, tout en restant euphorisant et sensible. TD
Parcels, clôture idéale
Si l’attente des festivalier·ères ce dimanche 28 août se cristallise autour de Stromae, c’est plutôt du côté de Parcels et de Channel Tres qu’il s’agit de lorgner pour trouver la conclusion idéale à ce Rock En Seine 2022. Le second pour sa faculté à retourner les idées de boys band et de showcase pour les transformer en machine à s’expurger par la danse ; les premiers, surtout, pour leur maestria toute entière dirigée vers l’amour de la musique – façon Random Access Memories de Daft Punk. Saillies électroniques, jams de 15 minutes, refrains gonflés d’endorphine, harmonies – vocales et avec le public – divines, tout est bon pour faire dérailler leurs pop-songs limpides et offrir une des prestations majeures de cette édition. TD
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