Lana Del Rey, Frànçois And The Atlas Mountains, Die Antwoord, Emilie Simon, Mac DeMarco et des soucoupes volantes : retour sur l’édition 2014 du grand festival francilien.
Les visuels de Rock en Seine 2014 montrent des extraterrestres, des soucoupes volantes et d’autres trucs marrants de l’espace. Et c’est bien ça un festival installé dans le domaine national de Saint-Cloud : un ovni écrasé aux portes de Paris, projet énorme qui continue, depuis 2003, à secouer la capitale avec des programmations chaque fois plus lourdes et ambitieuses. Mais si les têtes d’affiches internationales ont la part belle, quantité de découvertes et groupes indés trouvent également leur place dans la ligne artistique du festival.
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>> A voir aussi : notre portfolio du festival par le photographe David Balicki
Et si Rock en Seine n’a pas vocation à porter un discours identitaire sur la musique, il est devenu un parc d’attraction luxueux où les manèges sont les meilleurs groupes de l’actualité musicale. Le rock au sens large, entendu comme tout ce qui se nourrit des niches pour s’adresser au plus grand nombre, est à l’honneur trois jours par an au bord de la Seine. L’édition 2014 se tenait du 22 au 24 août : on fait le point sur trois journées de concerts réussies.
>> JOUR 1
Gary Clark Jr ranime les morts
Blues rocker des temps modernes, Gary Clark Jr. met tout le monde d’accord en débutant son concert par une reprise de Catfish Blues de Robert Petway, revisitée à la sauce Hendrix. Sans virer poussiéreux, il ranime les beaux jours du blues et attire même un rayon de soleil sur le domaine de Saint-Cloud qui commence à dangereusement s’assombrir.
Un set puissant et sans faute, donnant la part belle aux solos interminables desquels on ressort sans plus très bien savoir qui on est, ni à quelle époque on se trouve. Outre la filiation inévitablement hendrixienne, lui et son groupe évoquent des Black Keys qui ne feraient pas de concession à la pop. Le gars d’Austin nous le scande d’ailleurs lui-même sur Don’t Owe You a Thing : il ne nous doit rien si ce n’est une prestation endiablée, ce dont il s’acquitte sans peine.
Camp Claude vs. Wild Beasts vs. Traams
On passe au stand Ile-de-France pour essayer d’apercevoir Camp Claude, mais c’est peine perdue : la tente sous laquelle la belle joue est remplie bien au-delà de sa capacité et on doit se contenter d’entendre de loin son Trap ensorceleur. Une ferveur qui fait plaisir avant de retrouver Camp Claude à la finale Sosh aime les Inrocks Lab le 27 septembre prochain.
Du coup, on grimpe jusqu’à la scène Pression Live pour découvrir Traams. Et on n’est pas déçu. Malgré le public épars, les Anglais nous livrent des chansons diablement efficaces, bien qu’un peu linéaires. On mettra leur léger manque d’épaisseur sur le compte de leur jeunesse, d’autant que le son sans bavures du concert précédent résonne sans doute encore dans nos oreilles.
Jake Bugg ranime les morts (bis)
Comme Gary Clark Jr. avant lui, Jake Bugg invoque un esprit du passé sur la Grande Scène du festival : Dylan s’empare du jeune Anglais tandis qu’il chante When The Storm Passes Away sous la pluie. Puisant aussi du côté de ses racines britanniques pour les morceaux plus rock, sa musique apparaît comme un mélange d’influences digéré à la sauce 2014. Les chansons de Bugg respirent l’adolescence et la sincérité : elles ne révolutionneront peut-être pas le monde, mais elles peuvent certainement contribuer à l’adoucir.
Blondie, plus si atomique
Il y a des choses immuables : la terre est ronde, le ciel est bleu, à Rock en Seine il pleut. Le crachin s’installe et semble décidé à ne plus nous quitter. Abris oblige, les places privilégiées deviennent alors les colonnes d’arbres plutôt que le premier rang et c’est de là qu’on suit Blondie – enfin ce qu’il en reste. Venus nous livrer les éclats de leur passé, Debbie Harris et son groupe ouvrent le set avec One way or another et enchaînent rapidement les tubes extirpés d’un autre âge : Hanging’ on the Telephone, Call Me…
De son propre aveu, la blonde a “perdu quelques neurones” depuis son dernier passage à Paris. On ne peut que confirmer, car si le set est rodé à la minute, le tout manque tristement de flamme et de spontanéité. Une bonne partie du public fuit, et ceux qui restent s’occupent en observant les deux arcs-en-ciel qui jaillissent des nuages, causant au passage un nombre incalculable de selfies.
Mac DeMarco, la grosse détente
Il pète une corde de sa guitare, se fout par terre pour la changer, et pendant ce temps, ses musiciens ne trouvent rien de mieux à faire que de se lancer dans une reprise absurde du Yellow de Coldplay : Mac DeMarco nous a déjà fait le coup la semaine dernière à la Route du Rock – une simple recherche Google permet d’ailleurs de savoir que ces mongoles géniaux le font régulièrement –, mais rien n’enlève à la magie de cet instant, à l’image parfaite de concerts pas forcément égaux d’un lieu à l’autre, mais toujours prometteurs de légèreté, de nonchalance, de grosse détente comme le rock actuel en fournit trop rarement. Hier, le Mac a joué ses tubes tordus pendant que le soleil se couchait. Des gens riaient en s’enlaçant, d’autres dansaient tranquillement. Moment de grâce.
http://youtu.be/jIHmo_DrEr8
Die Antwoord, un gros show
Ils sont sales, bêtes, et méchants – c’est en tout cas ce qu’ils veulent nous faire croire : ouais, pendant le concert-événement d’hier soir, on y a cru en se dandinant sur ce hip-hop electro et trash, bien débilos, mais toujours parfaitement maîtrisé. Car le duo sud-africain a un projet artistique ultra-solide, et ils l’ont prouvé une nouvelle fois en répandant la folie et la joie dans un public tantôt enthousiasmé, tantôt un poil choqué. On a vu des gens sortir de la fosse au bord de la crise d’angoisse, trop secoués qu’ils furent par le tabassage dubstep-techno-rave-chelou de Ninja et Yo-Landi. Que ça vous plaise ou non, Die Antwoord est désormais un grand groupe et ça, Rock en Seine l’a bien compris hier soir.
Arctic Monkeys, Hit machine mécanique
Voir les Arctic Monkeys à Rock en Seine, c’est un peu comme voir sa famille à Noël, ça va de soi. La seule surprise que nous réservait ce concert était celle de l’intégration de leur dernier album AM à une setlist déjà bourrée de tubes.
Le choix de Do I Wanna Know comme morceau d’ouverture semble évident, le titre phare d’AM ouvrant un show comme le groupe nous en livre depuis ses débuts : puissant et calibré. Les tubes (Brianstorm, Dancing Shoes, Arabella) s’enchaînent sans trêve, nous prouvant une nouvelle fois quelle machine à hits rock Arctic Monkeys est devenu. Après un répit de courte durée avec le sombre Don’t Sit Down Cause I’ve Moved Your Chair, on rattaque, mécaniquement, avec Teddy Picker et Crying Lightning.
L’évolution depuis 2011 et l’album Suck It And See est bien visible : si on pouvait encore les qualifier de « jeunes » la dernière fois qu’on les a vus à Rock en Seine, les Arctic Monkeys sont désormais devenus des têtes d’affiches et font presque figures de vétérans dans la programmation. On regrettera seulement le côté trop millimétré d’un concert effectivement impeccable, mais qui manque cruellement de surprise.
>> JOUR 2
Cheveu, grosse claque
Comme à la Route du Rock la semaine dernière, le trio Cheveu a montré la puissance de sa folie, la violence de ses idées, la radicalité de sa musique à mi-chemin entre rock de rave et punk electro. Un truc chelou donc, pas vraiment dans les normes de la pop française, mais qui continue de faire la singularité d’un groupe déjà culte, dont les quatre albums continuent de hanter les esprits tentés par le vice. C’est la musique de l’enfer : vivement la suite.
Emilie Simon, la classe
Emilie Simon ne fait pas les choses à moitié : pour mettre en musique les morceau de Mue, son dernier album, ainsi que quelques-uns de ses tubes passés, la belle a fait appel à l’Orchestre national d’Ile-de-France, dirigé par Bruno Fontaine. Alors forcément, le show est très beau, très préparé, un peu lyrique (mais pas trop) – parfait pour un concert de jour dans le grand parc de Saint-Cloud.
Portishead, l’événement
« T’es venu pour quoi ? – Bah Portishead… » Ça, on l’a vraiment entendu plein de fois dans la journée d’hier. Alors que le groupe de Bristol vient de fêter les 20 ans de Dummy, son premier album, le public parisien a répondu en masse à l’appel du groupe qui a secoué une génération entière. Jeunes trentenaires vraiment à fond et autres curieux se sont regroupés en masse sur la grande scène de Rock en Seine : une foule et une ferveur impressionnantes.
Joey Bada$$, la fête
Jeune visage et grande promesse de la scène new-yorkaise, Joey Bada$$ a montré la coolerie de son style : entre clins d’œil aux classiques et entertainment maîtrisé, ce fut le chouette ovni dans une programmation pas vraiment tournée vers le hip-hop.
http://www.youtube.com/watch?v=8RkxJPbXl4c
Frànçois & The Atlas Mountains vs. Flume
Fait chier, il a fallu faire un choix : Flume jouaient en même temps que Frànçois & The Atlas Mountains. Mais ces derniers, toujours épatants sur scène, ont une nouvelle fois montré la grandeur de leurs talents : encore un grand moment d’amour, impossible de décrocher. Oubliez ici les morceaux de leurs albums magnifiques, dont le dernier Piano Ombre : sur scène, tout explose, on reconnaît à peine ce qu’on aimait tant, on redécouvre chaque mélodie dans un tourbillon instrumental totalement repensé.
Frànçois est souvent au bord de la transe, il gesticule et danse comme s’il était seul sur Terre. Il passe du clavier à la guitare avec la même aisance, montrant qu’à la différence de beaucoup de groupes marqués par l’idéologie punk, eux sont vraiment de grands musiciens.
Et c’est bien pour ça que chaque concert est une merveilleuse surprise, car des cérémonies de pop païenne aussi riches et folles, ça s’improvise, mais ça ne sort pas de nulle part. Pour ceux qui douteraient encore : croyez-nous, Frànçois & The Atlas Mountains est vraiment un grand groupe. Encore et toujours : ce sont eux les plus beaux.
The Prodigy, la violence
Difficile de poser des mots sur ce qu’on a vu. Les gens étaient vraiment maboules pour accueillir ce groupe culte des années 90. Sur scène, eux, ont balancé avec une violence inouïe les morceaux qui ont bâti la légende. Au-dessus de leurs têtes, l’image d’un avion de chasse. Ça résume bien l’ambiance.
http://www.youtube.com/watch?v=Wkq7FiLOtNw
>> JOUR 3
Petit Fantôme, le rayon de soleil
Il ne nous aura pas fallu beaucoup de temps pour nous sentir au soleil après l’apparition de Petit Fantôme sur la scène de l’Industrie. Déçus d’avoir raté Feu! Chatterton juste avant (on entend tout de même La Malinche de très loin en arrivant) – la faute aux transports en commun -, on retrouve vite le sourire aux premières notes de Teahupoo, titre poignant issu de l’excellente mixtape Stave de Pierre Loustaunau.
De ballades pop aériennes en tubes surf-rock, Petit Fantôme réussit l’exploit de capter l’attention de son public en ce milieu d’après-midi (tandis que le groupe australien Airbourne castagne son hard rock sur la grande scène). Le petit accent du Sud (de Bordeaux plus précisément) et les déhanchés à répétition de François Marry (Frànçois & The Atlas Mountains) rajouteront un petit charme à la prestation finale.
Fat White Family, la liberté punk
Occupé qu’il est à entretenir ses cheveux et ses perfectos ringardos, le rock anglais oublie trop souvent une chose : choquer. Mais les Londoniens de Fat White Family entretiennent cette tradition oubliée de punks crados, qui s’en foutent vraiment, savent souvent à peine jouer, ne sont pas doués pour la vie en général. Ils ont l’air bêtes et méchants et c’est ça qui est beau. Sur la scène (bien nommée pour le coup) Pression Live, cette famille de malados a montré ce que pouvait encore être la musique à guitares aujourd’hui : un grand cri de liberté.
Brody Dalle, femme fatale
Entre un passage furtif au concert de Warpaint, assez ennuyeux, et un arrêt au stand de bonbons (des voleurs !), on revient sur nos pas pour voir l’une des figures emblématiques du punk rock : Brody Dalle. Et là, c’est la grosse claque : en plus d’un charisme évident, la chanteuse-guitariste Australienne impressionne avec sa voix rauque et abîmée qui lui vaudra dans la foule des remarques du genre : « mais c’est pas un garçon qui chante ? ». On se souvient des années où on mettait Coral Fang de The Distillers à fond dans notre chambre. De Hall of Mirrors à The Hunger, Brody Dalle n’oublie pas de jouer ses tubes avec puissance. Non, le rock n’est pas mort et ça fait plaisir de voir que c’est une femme qui en tient les rênes en 2014.
Janelle Monáe, show à l’américaine
Sous ses faux airs de Bruno Mars (même houpette, même démarche), Janelle Monáe arrive sur la scène de la Cascade dans une sorte de camisole, transportée sur un deux roues par l’un de ses nombreux musiciens-danseurs-chœurs. Dans une ambiance rétro-psyché (grosse spirale en guise de backdrop et costumes blancs/noirs), le show de l’Américaine démarre fort. Avec une énergie débordante, la chanteuse enchaîne les titres sans aucun temps mort.
La première partie du concert manque cruellement de tubes (il faudra patienter jusqu’à l’autre moitié) et malgré les bonnes vibrations qui émanent de la scène, le live paraît un peu trop bien rôdé pour être authentique. Même entre les chansons, Janelle récite par cœur et en rythme les quelques phrases qu’elle adresse au public. Tout est millimétré jusqu’à la moindre mèche de ses cheveux. On finit tout de même par se réconcilier avec la belle quand elle saute dans l’énorme foule en prenant son pied.
Lana Del Rey, la plus attendue
Son nom est sur toutes les lèvres des festivaliers et elle est attendue comme le messie depuis le début de ce dimanche après-midi. Pour vous faire une petite idée du phénomène, on va dire que lors de la prestation de The Prodigy, la veille, il n’y avait pas grand monde comparé à la masse de gens qui se trouve devant la grande scène pour Lana Del Rey. Encore une fois, elle crée l’événement avec un concert rare et précieux.
Vêtue d’une robe rose qui lui donne des airs de la princesse Aurore (de la Belle au Bois Dormant), Elizabeth Grant surgit sur la scène peu après les premières notes de Cola. Les tubes se suivent de façon succincte : Blue Jeans, West Coast, Born To Die, Ultraviolence, puis quand elle ne se fait pas allumer une cigarette par l’un de ses roadies, Lana descend vers la foule pour signer quelques autographes et faire des sefies avec ses fans (au bord des larmes).
Moins touchante qu’auparavant mais plus sûre d’elle, l’insaisissable chanteuse délivre une prestation haut de gamme. Une voix très juste et envoûtante (contrairement aux dires de certains) qui nous achève au moment de chanter la magnifique Carmen, jouée très rarement en live, ou les nouvelles chansons qui fonctionnent à la perfection sur scène, comme Fucked My Way Up To The Top. Lana Del Rey termine le concert, comme à son habitude, avec National Anthem, qui durera une bonne dizaine de minutes – le temps de toucher quelques mains chanceuses dans la foule avant de dire au revoir. Sans doute l’un des plus beaux moments de cette édition de Rock en Seine.
La Roux, un retour triomphal
La plus mauvaise idée du festival pour les fans de pop était de faire suivre les concerts de Lana Del Rey et de La Roux. On se tape donc un sprint (comme beaucoup d’autres) pour retrouver l’artiste Britannique. On arrive pile au début de la première chanson du set, Let Me Down Gently : c’est bon, on est sauvé. Un peu après, on se faufile au milieu du public (très dense) et c’est là que les choses sérieuses débutent. Car Elly Jackson nous a malmenés ces dernières années (5 ans d’attente entre la sortie d’un premier album excellent et d’un second décevant) : on l’attendait donc au tournant.
Mais La Roux, désormais projet solo depuis le départ du producteur Ben Langmaid, transforme l’espace en une discothèque étoilée qui donne vite la fièvre au corps. Quicksand, Sexothèque, I’m Not Your Toy, Uptight Downtown… On avait presque oublié que malgré deux albums seulement à son actif, l’artiste était munie d’une flopée de tubes tous assez impressionnants. Avec son charisme fou, ses pas de danse endiablés et une voix de tête maîtrisée et renforcée, La Roux nous ravit de son retour. Mention spéciale pour Bulletproof, qui clôture le show de façon magistrale. On a du mal à s’en remettre encore aujourd’hui.
Cut Copy, la belle surprise
Ce fut la belle surprise de la fin de soirée : sur la scène Pression Live, en toute fin de festival, les Australiens de Cut Copy ont fait danser de façon folle la foule qui déjà commençait à se dissiper. Avec leurs tubes 80’s à souhait, à la limite du kitsch et du cliché electro-pop, ils s’en sortent brillamment et tout en décontraction, jouant avec légèreté d’une énergie que beaucoup pourraient (devraient) envier. On a vu certains fans danser de joie, des sourires exquis aux lèvres, à l’écoute des tubes Lights & Music et Feel The Love : oui, beaucoup d’amour à Rock en Seine cette année.
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