Musicien surdoué, le pianiste Roberto Fonseca revient avec un album impressionnant, qui ouvre pour de bon les frontières de la musique à Cuba.
C’est en 2005 que le Cubain Roberto Fonseca rejoint pour la première fois nos platines, grâce à sa participation au disque Echu Mingua de son regretté compatriote le percussioniste virtuose Miguel “Angá” Díaz. L’enregistrement de ce manifeste de jazz afro-cubain, postmoderne et sans frontière, avait permis au jeune pianiste de La Havane de jouer pour la première fois avec un musicien africain, Baba Sissoko.
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Sept ans plus tard, le même Baba est au coeur du projet de Fonseca, consacré depuis parmi les meilleurs compositeurs-improvisateurs débarqués de la plus grande île des Antilles. Présent sur la plupart des morceaux de l’album Yo, le poly-instrumentiste malien est une pièce maîtresse de la nouvelle formation du Cubain, remaniée pour l’occasion avec claviers vintage, basse et guitare électrique. “Je rêvais de retravailler avec Baba, il était le premier sur la liste des personnes auxquelles j’ai pensé pour ce disque”, explique Roberto Fonseca.
Dans le studio parisien où nous assistons à leur dernière répétition, les deux hommes ne se quittent pas du regard et échangent des sourires, faute de pouvoir partager quelques mots en espagnol ou en français. Une main sur le Steinway et l’autre sur l’orgue Hammond, Fonseca détourne systématiquement ses compositions en joutes instrumentales improvisées. Sissoko, au tambour d’aisselle tamani, luth n’goni et chant, répond à l’éloquence du Cubain avec l’assurance d’un musicien rompu à ce mode de session, où l’échange prime sur l’interprétation. Le plaisir de ce dialogue ludique et spirituel est palpable et irrémédiablement contagieux.
Si la tournée de Fonseca laisse augurer de beaux duels pour nos soirées d’été, son nouvel album s’avère tout aussi passionnant, à la hauteur des ambitions de ce musicien prolifique et omniscient. Formé au sérail cubain de la musique classique, adoubé dans le registre de la tradition au sein du Buena Vista Social Club, c’est dans celui du jazz (où il laisse libre cours à une écriture lyrique habitée de pulsations afro) qu’il accède à la consécration depuis cinq ans. Plus récemment, il imprimait sa classe au projet Havana Cultura de Gilles Peterson, sur la nouvelle scène rap et soul de l’île socialiste.
Avec sa pléiade d’invités (outre Sissoko, le bassiste Etienne Mbappe, le joueur de kora Sékou Kouyaté, le poète Mike Ladd, Fatoumata Diawara, Faudel ou encore Assane Mboup, chanteur d’Orchestra Baobab), Yo joue encore davantage la carte de l’éclectisme et de l’hybridité, qui projette les racines cubaines de son auteur dans un espace transatlantique, au contact de gâteries jazz-funk et de chants ancestraux, d’harmonies mandingues et de rythmes gnawas.
D’autres l’ont précédé sur cette voie, à l’image d’Echu Mingua ou du pionnier Omar Sosa, mais Fonseca revendique d’abord la sincérité et la cohérence d’une démarche personnelle. “Le disque Soro de Salif Keita, que j’ai découvert à l’adolescence, fait partie de mon éducation musicale au même titre qu’Herbie Hancock et tous les grands de la musique cubaine”, explique-t-il au sujet des influences qui nourrissent ce collage bariolé, contrôlé au juste choix de l’économie avec l’aide de précieux collaborateurs de l’ombre – le producteur californien Mikael “Count” Elridge et le Londonien Gilles Peterson pour deux titres.
Selon les croyances de la santería afro-cubaine, culte auquel adhère Fonseca, les esprits des ancêtres traversent l’océan pour regagner l’Afrique après la mort. Nul doute qu’au cours de ce voyage Ibrahim Ferrer, Cachaíto López, “Angá” Díaz et les autres dansent déjà sur la musique du pianiste.
Concerts : en tournée en France, le 1er juillet à Samois (Festival Django Reinhardt), le 18 à Paris (Olympia)
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