Rineke Dijkstra aime les ados aux attitudes incertaines. Des plages baltes à Liverpool, elle les photographie au naturel.
Un petit noeud dans les cheveux, une grande femme un peu gauche s’énerve en réglant un moniteur vidéo. « C’est désynchronisé ! Ça ne devrait pas être comme ça. » Derrière elle, des images d’adolescentes endimanchées et de petites frappes technoïdes défilent sur un écran divisé en deux. Un coup à gauche, un coup à droite. Rythme binaire choisi pour recréer l’ambiance du Buzzclub, boîte de jeunes de Liverpool qui fleure bon la bière du samedi soir et les premières sorties entre copains.
Pendant plusieurs mois, Rineke Dijkstra, artiste hollandaise de 39 ans, a installé un studio photo à l’intérieur du Buzzclub, invitant des jeunes filles (16, 14, voire 12 ans) à se comporter devant la caméra comme si elles attendaient quelqu’un au bord de la piste de danse. Une bouteille de bière ou une cigarette à la main, elles frétillent du chef, se démènent en gigotant les bras ou regardent timidement le spectateur, la bouche en coeur et les seins en avant. Car ces petites poupées adolescentes se maquillent comme des grandes, portent des robes découpées, lancent des oeillades d’héroïnes de romans-photos. Glamour cheap disséqué en live, dans un marais sonore ouateux, puisque la vidéo a été tournée sous le dance-floor. « C’est pas de la très bonne techno », s’excuse même Rineke, alors que la salle d’exposition retentit de cette musique étouffée mais puissante.
Ambiance bien éloignée des grands espaces balnéaires qu’a photographiés Rineke au début des années 90. Sur des plages nues, elle a saisi des adolescents en maillots de bain, pris en pied comme pour un casting de vacances. Mais la plupart des silhouettes qu’elle aligne dans l’album qu’elle en a tiré sont pâles et efflanquées, posant les bras ballants devant une mer nostalgique : des plages d’Europe de l’Est (Pologne, Pays baltes) grises à souhait.
A Rochechouart, entre les photos de Valérie Jouve et les vidéos de Gillian Wearing, Rineke a glissé des portraits d’autres jeunes filles du Buzzclub, réalisés en mars 95. Des coquettes aussi blanches et roses que celles de la vidéo, comme cette boulotte figée dans un short à paillettes trop serré, un sac à main à la Sue Ellen en bandoulière. Presque glauque. Avec son style ado-réaliste, Rineke Dijkstra évoque les belles désoeuvrées de Sarah Jones et les petites Spice Girls de Clare Strand, exposées chez Pierre Chevalier l’année dernière à Paris. Tout un courant de photographes et de vidéastes qui s’attachent à chroniquer les émois psychologiques et la recherche maladroite d’identité des 11-19 ans. Une étude de moeurs qui brasse attitudes narcissiques, culture pop et fringale vestimentaire. Après les sculptures de Duane Hanson (voir chronique de la semaine dernière), une autre forme d’ennui contemporain.
Menschenbilder (Museum Folkwang, Essen et galerie der Hochschuk für Grakik und Buchkunst, Leipzig, 1998) et Beaches (Codax Publisher, Zurich, 1996).{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
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