Première rétrospective de Raymond Hains à Beaubourg. La consécration d’un artiste atypique pour qui le monde est un grand terrain de jeu.
A l’entrée de l’exposition, la plage, transats et râteaux, plantent le décor, puis une allée de six troènes débouche sur le logo énorme de la marque Citroën, puis des captures d’écran d’ordinateurs, une rangée de skis alignés contre un mur, un tas de barres de fer au milieu d’une pièce jouxtant la photographie d’une « palissade » de biscuits à la cuillère dégoulinant de crème fouettée : pas de doute, la rétrospective Raymond Hains est à l’image du personnage, éclatée, transversale, et limite bric-à-brac.
A 75 ans, et avec cinquante années d’activité à son actif, Raymond Hains, sa vie, son uvre, relèvent presque de l’anthropologie. Devenu un objet de fascination (et parfois de rejet) pour une scène artistique qui s’incline devant sa particularité et sa ligne de conduite jamais démentie, son uvre reste pourtant méconnue du grand public. Secret, truculent, un brin suranné, une logorrhée impressionnante, un esprit d’escalier et une érudition féroce, Raymond Hains est surtout connu dans les années 60 en tant qu’affichiste avec Villeglé, Dufrêne et Rotella, au sein des Nouveaux Réalistes : « Je suis un inaction painter. » Le concept de l’affiche lacérée par les passants et exposée sans modifications de l’artiste en un ready made urbain poétique fait tomber le rôle de l’artiste comme un château de cartes et réinvente du même coup, sans pot ni pinceau, une peinture abstraite devenue obsolète. Pourtant, la reconnaissance se fait attendre puisque les artistes français se font griller la vedette par les Américains, alors en pleine période pop art, et souffrent alors d’une désertion de la critique française.
Actif dès les années 50, Raymond Hains s’intéresse déjà à la trituration du verbe et de la photo, multipliant les tentatives d’éclatement du langage et des formes visuelles, lorgnant du côté de Guy Debord et du lettrisme. Mots, jeux de mots, objets, photos, tout est ramassé, assemblé, conceptualisé et poétisé à partir du lien ténu d’un nom et d’associations quasi freudiennes déclinées à l’infini et concourt à alimenter une obsession langagière, à fournir de la matière à la toile d’araignée géante qu’il tisse depuis plus de cinquante ans. Depuis il ne cesse, au fil des années, ses multiples détours et associations autour de thèmes aussi déroutants que la liaison Cahors/New York, les boîtes d’allumettes de la Seita, la littérature en général, Léonard de Vinci en particulier, ou les pièces en chocolat. Un art du copier-coller qu’il pratique depuis toujours et qui en dit long sur son uvre : « Je travaille à une sorte de Web. »
D’où l’absence, dans cette rétrospective, de parti pris historique ou d’avancée linéaire. Mais un choix de thématiques fait par l’artiste lui-même, hostile à toute idée figée de rétrospective, préférant adopter le terme de « rétroprospective », voire de « tentative ». En mélangeant les époques et les supports, la commissaire d’exposition Christine Macel a choisi de noyer le spectateur dans un univers foisonnant, à l’image du personnage. Au spectateur de tisser les liens et de louvoyer entre les affiches politiques des années 60, les calembours improbables, les photographies hypnagogiques, l’organisation de défilés en ville et les récents Macintoshages, et de trouver des repères dans la nébuleuse Raymond Hains : une esthétique de la compilation et du classement, un titanesque travail de mémoire, un rébus infini, une encyclopédie à échelle mondiale. L’important étant de fabriquer et de créer du lien, de donner du sens, en adepte convaincu de la pansémiotique, théorie selon laquelle tout dans le cosmos est « signe » et appelé à être décodé : « Le fond de ma pensée est de croire dans les équations de la vie. »
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Centre Georges Pompidou, à Paris, Galerie sud. Jusqu’au 3 septembre. Tél. 01.44.78.12.33.
A voir, Raymond Hains, Mon Encyclopédie Clartés sur le site : www.centrepompidou.fr/expositions/hains
Le dernier numéro de Point d’ironie ainsi que le livret Vedettes, réalisés par Raymond Hains, sont disponibles à la galerie du Jour agnès b.