La soirée du 8 novembre du Festival Les Inrocks / Orange donnait carte blanche au label Rough Trade. Avec Jacob Golden, Baxter Dury, British Sea Power et les énergiques Libertines.
Oh surprise, dans la fosse, « A Charming Man » élancé, chauve et élégant, légèrement gauche et largement souriant déambule. C’est Geoff Travis, l’homme qui a beaucoup de mal à se cacher derrière Rough Trade. Le label mythique, à la base de carrières aussi courtes que légendaires, à l’image de celle des Smiths; l’homme à l’origine de lancements de roquettes pop novatrices tel Scritti Politti ? dont le leader poseur Green Gartside, envoya ses déchets synthétiques vers le National UK TOP 40 une fois s’être très éloigné des Rough Trade Shops et rapproché des Megastores du récupérateur Branson ? avec l’inoubliable Oh Patty !.
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Rough Trade, c’est aussi d’étonnantes mises en valeur du patrimoine punk français comme Metal Urbain, première signature du label dont l’un des chanteurs Eric Débris se montrera pour l’occasion un peu plus tard dans le centre de Paris pour renverser une piste de danse acquise au revival garage. Il serait aussi injuste d’oublier de noter que Geoff est responsable des premiers jets des Stiff Little Fingers, Subway Sect, Cabaret Voltaire, Television Personalities, Virgin Prunes, Essential Logic, Young Marble Giants, the Slits, Woodentops, Sundays ou encore des fabuleux Mabuses.
La liste est longue et elle ne risque de ne plus s’interrompre avant longtemps car après de sérieux ennuis financiers qui l’obligèrent, en pleine banqueroute, à vendre sa peau aux peaux rouges assoiffés de pouvoir de One Little Indian, Geoff est de retour, indépendant comme au premier jour, et il n’a rien perdu de sa capacité d’écoute et de détection.
Placé au premier rang pour acclamer Pete, Carl, Gary et John des Libertines, Travis jubile, ce sont ses gosses, son uvre qui mettent Paris à genoux ce soir, et ça ne fait que commencer. The Libertines cabotinent, ils se savent deuxième grande trouvaille du label, après les Strokes, mais ils bavent d’énergie ambitieuse, de rage punk à la Johnny Rotten, il manque l’union jack déchiré derrière l’ex-batteur de Eddy « Do you feel my love ? » Grant dans leur dos, et quelques « Piss Off » envoyés à l’assistance pour donner à leur show, une dimension « Retour vers No-future ».
Pourtant The Libertines, passé le quart d’heure, après n’avoir pas voulu canaliser toute l’énergie enfouie dans leurs petits corps de gymnastes, buttent sur un constat, pourquoi Up the Bracket et ses demi-s’urs seraient-elles plus exceptionnelles sur scène que les courts chefs d’ uvres que Yeah Yeah Yeahs, D4, Datsuns, Von Bondies et le triptyque Hivinestripes ont pondu ces derniers mois ?
Eh bien, peut-être parce qu’ils sont anglais et que ça se sent ! Leurs influences sont identifiables – mélodie, énergie, et spiritisme – au point de remuer les fantômes des Kinks, Clash, Smiths, Buzzcocks, Stranglers ou Jam. The Libertines rend à son pays ce qu’ils lui doivent, une reconnaissance sonique, en adoptant une attitude impeccable mais ça ne suffit pas à les placer on top of the world.
C’est vrai, ces gars-là ne trichent pas, ils soigent leur look dans leurs blousons en cuir Jumble-Sale-Kiloshop et leur jeans moulants sculptés au cutter. Leur look ? Plus un hommage aux brosses canines pour poil doux qu’une pub pour Calvin Klein. Quand ils transpirent, on sent les vapeurs d’animal jusqu’au fond de la salle. L’autre réjouissance esthétique est un groupe de Brighton nommé British Sea Power.
Entrés en scène avant les Libertines, BSP impressionne par ce decorum tout droit sorti d’une version en noir et blanc d’Apocalypse Now. Dans une forêt de feuillages plus destinés à impressionner le Divan du Monde qu’à camoufler les erreurs scéniques de jeunesse, ce concert végétal au concept improbable démarre dans un déluge mélodieux de basse lourde et d’accords de guitares simples et efficaces, dans la lignée du jeu de Bernard Albrecht des premières années.
Prestation crue, tranchante et passionnante, brouillonne aussi ! British Sea Power pourrait être une interprétation moderne d’un prolongement de la galaxie des groupes Rough Trade et Factory fin 70, début années 80. Yan (alias Scott, le chanteur) a certainement choisi ce nom en hommage à un Ian aux cheveux courts et aux crises d’épilepsie légendaires.
Il manque du cuivre à ces lads du sud, pour enrichir une couche musicale somme toute basique, à peine relevée d’un tambour de marche martiale que l’un des frères Noble se charge de promener dans l’assistance à la fin du show. « Ce groupe a le sens des mélodies et un talent de composition immense » juge Jim Glennie du groupe James, venu en grand frère protecteur, chevalier blanc pacifique de la cause de ces jeunes génies anglais en devenir. Jim leur prédit un grand avenir, on attend l’album pour pouvoir juger sur pièces.
Le ballet des voix a gentiment mis les gens à l’aise en début de soirée, le duo sucré de Jacob Golden et sa petite amie ont caressé l’oreille dans le bon sens du lobbe, alors que la voix grave de Baxter Dury écrasait largement celle de ses deux gardes du corps fluets et son orchestre cousin germain des blockheads paternels mais aussi des Dexys Midnight Runners ou autre Madness. Gentille introduction qui a le mérite de placer Rough Trade au premier rang des labels créatifs et diversifiés du moment. « That Geoff isn’t funny Anymore disait Morrissey à l’époque de Strangeways, Here We Come », ce Geoff nous ravit en sortant du paradis des producteurs morts. D’ailleurs, il se dit qu’il pourrait ressusciter Morrissey et bien d’autres encore sur Rough Trade.
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