Rendez-vous immanquable des professionnel·les du secteur de la musique et d’un public fidèle, le festival Eurosonic, qui se tenait à Groningen, aux Pays-Bas, du 18 au 21 janvier, a tenu ses promesses de révélations et de consécrations après deux ans d’absence pour cause de pandémie. Du succès de Heartworms à la consécration Kids Return, en passant par Marina Herlop ou encore Varnish la Piscine, retour en long sur quatre jours mouvementés.
Du 18 au 21 janvier se tenait la 37e édition du festival Eurosonic (ESNS), à Groningen, au nord des Pays-Bas. Couvert chaque année par Les Inrocks, l’événement est un grand marché de la musique aux allures de séminaire IBM rock, où se retrouvent, avec badges autour du cou et tout le tremblement, des professionnel·les du secteur de la musique venu·es du monde entier.
D’après les organisateurs, iels étaient 4250 cette année, sur un total de 40 000 visiteur·rices, venu·es entretenir et développer leur réseau, prendre part aux diverses conférences (beaucoup sur la diversité et l’inclusion, le développement durable, ou l’économie du numérique) et, surtout, assister aux concerts : 315 artistes “émergent·es” européen·nes se sont ainsi succédé sur les scènes de la ville, dans une sorte de formule “45 minutes pour convaincre”.
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Après deux éditions full numérique, pandémie oblige, on retrouvait la semaine dernière les rues pittoresques de cette petite bourgade aux confins de la Hollande, à deux pas de la frontière allemande, ses croquettes et ses planchers qui collent, pour un rendez-vous, nous dit-on, qui s’est joué à guichets fermés.
Comme le Great Escape, à Brighton, le festival South by Southwest (SXSW) à Austin, ou le Festival de musique émergente (FME) au Québec, Eurosonic met en avant les jeunes artistes dont les albums tourneront bientôt sur vos platines, et que vous croiserez probablement en festivals dès cet été. Pour resituer un peu : de Fontaines D.C. à Dry Cleaning, en passant par Angèle (solo derrière son clavier), Oklou, Working Men’s Club, girl in red ou encore Kae Tempest, tous·tes sont passé·es par Eurosonic avant de connaître un succès populaire.
La relève
Qui pour prendre la relève, après le carton plein de ces quelques noms qui remplissent les salles du monde entier aujourd’hui ? On pense d’emblée à Jojo Orme, alias Heartworms (comme l’album des Shins, pas le meilleur, certes), qui ne fut pas une totale révélation pour nous, puisque l’Anglaise jouait pour la première fois en dehors de ses frontières en décembre 2022 à la Boule Noire (Paris) dans le cadre des Inrocks Festival. Et comme à la Boule Noire, la nouvelle signature Speedy Wunderground, label qui fêtera ses dix ans cette année, animé par le producteur Dan Carey (aux manettes, notamment, des albums des Wet Leg, Squid, ou Fontaines D.C.), a captivé l’assistance, pris dans la nasse de la salle Mutua Fides.
Très électronique sur disque (son premier EP, A Conforting Notion, sortira le 24 mars prochain), la musique de Heartworms prend une tout autre dimension sur scène, où la jeune Jojo, accompagnée par un full band, s’échine à délivrer un son post-punk noir et rutilant. Fringuée comme si son groupe s’appelait Throbbing Gristle, cette kid passionnée d’histoire militaire maîtrise l’espace scénique, jette des regards noirs au public, gesticule minutieusement dans le cadré fixé par une chorégraphie minimaliste qui produit son petit effet.
Le lendemain, dans un disquaire de la ville où elle nous a donné rendez-vous, elle nous raconte qu’à l’âge de 14 ans, elle a été privée de sortie, de téléphone et de toute connexion aux réseaux sociaux pour avoir fréquenté un garçon de trop près. Elle a profité de cette période pur apprendre à jouer de plusieurs instruments. Un portrait de la jeune fille en bonne et due forme arrivera prochainement.
Who Dat Boy
Autre artiste à suivre : Varnish la Piscine. Oh, je vous vois venir, le kid des faubourgs de Genève n’est pas à proprement parler une découverte. Il jouit même d’une réputation d’artiste culte à bien des égards, et notamment pour son travail de production sur les disques de Makala, autre figure de la scène rap made in Switzerland, et pour ses albums en forme de B.O. perchées (Le Regard qui tue, en 2019, où l’on croise une certaine Bonnie Banane, ou Metronome Pole Dance Twist Amazone, l’année d’après).
Fils spirituel du pote Pharrell Williams, Jephté Mbisi (son nom à la ville) est par ailleurs la nouvelle signature Ed Banger. Dans un steakhouse de la ville, autour d’une pièce de viande, Varnish nous parle de ses projets pour 2023 (une rencontre à retrouver prochainement dans Les Inrocks) et du show qu’il livrera le soir même au Huize Maas et deux jours plus tard à Radio France, dans le cadre de l’Hyperweekend.
Sur scène, Jephté est entouré d’un band cinq étoiles, en l’espèce, des membres du sextet suisse L’Éclair, formation à l’essence funk capable de faire le lien entre jazz et rock progressif. Casque sur les oreilles, La Piscine semble être comme un poisson dans l’eau quand il débite ses hits, sur des productions qui n’auraient pas pu voir le jour sans le travail percusseur des Neptunes à l’orée des années 2000. Alors, révélation tout court, non. Mais révélation scénique, pour sûr.
French Touch
Côté made in France, QuinzeQuinze (qui gagne des points à chaque prestation, comme on le soulignait déjà dans notre reportage aux Trans Musicales), Eloi, Nelick, November Ultra, Structures ou encore Kids Return étaient de la partie. On n’a pas pu aller voir tout le monde, mais on a quand même croisé la route de Structures à la Machinefabriek, où le duo (ils sont quatre sur scène), écharpe de supporter de l’Amiens Sporting Club jetée sur les enceintes, a livré un set brutal, rutilant et d’une rare intensité, au point d’être à ça de se prendre la basse de Marvin en pleine tronche, constitué de nouvelles compositions dont on attend toujours une sortie prochaine.
Dans un genre beaucoup plus pop, il nous a fallu attendre d’aller à Groningen pour voir les Kids Return en full band. Et, croyez-le ou non, cette relève post-Air et compagnie est prête pour sa Cigale (Paris XVIII) du 14 mars prochain. Voire pour n’importe quel stade d’ailleurs, tant Clément et Hadrien ont le regard fixé sur l’horizon quand ils égrènent leurs chansons, dont on peut témoigner qu’elles sont pour eux, comme pour les fidèles qui les suivent, une source d’émerveillement qui ne tarit jamais. Ironie du sort, ces héritiers French Touch du son de Laurel Canyon jouaient pendant que David Crosby passait l’arme à gauche. Kids Return n’est d’ailleurs pas reparti les mains vides, puisque le duo a reçu un prix au MME Awards, récompense remise par le festival avec l’appui de l’Union européenne au terme d’une cérémonie aux allures de soirée d’intégration Erasmus.
Errances nocturnes
La nuit tombe tôt à Groningen, on a vite fait de perdre la notion du temps. Le cours de nos errances nocturnes nous a ainsi mené au Stadsschouwburg, le très beau théâtre municipal de la ville, où se produisait Marina Herlop, musicienne à la formation classique et donnant dans la composition expérimentale. Les deux premiers disques de Marina (Nanook en 2016 et Babasha en 2018) mettant davantage l’accent sur la forme piano-voix, on en conclut que le set présenté ce soir-là tient davantage du troisième album de la Catalane, Pripyat (2022), plus expérimental. On ne sait pas s’il tire son nom de la ville ukrainienne située à quelques encablures de Tchernobyl, laissée en ruines depuis l’explosion de la centrale nucléaire en 1986, ou des vertus ludiques de la collision des deux syllabes qui composent le mot.
Toujours est-il que le spectacle que nous donne à voir Marina Herlop, accompagnée sur scène par trois comparses, met le paquet sur les percussions synthétiques et les harmonies vocales, chantées dans une langue qui n’existe pas et donc tout à fait compréhensible par tous·tes, pour peu que l’on soit ouvert à l’inconnu. Sachez que ARTE Concert a filmé l’événement, et qu’il est déjà disponible ici.
Pour le reste, le trio punk féministe londonien Big Joanie (elles joueront bientôt en France, l’occasion de vous les présenter plus en détails) a eu la lourde tâche de faire bouger la salle éphémère Blauwe Hemel et sa façade Art Déco. Le discours est immédiatement revendicatif et la prestation dans la veine de ce que le punk féminin a fait de mieux, des Slits à Sleater-Kinney.
Plus 90’s, le trio Adwaith, venu du Pays de Galles cette fois, a livré une prestation indie rock de facture tout à fait classique, mais enthousiasmante. Comme a pu le dire l’un de nos compagnons de virée : “T’as jamais été jeune si t’accroches pas.” Adwaith jouait d’ailleurs sur la scène du Vera, qui a vu passer en 1989 Nirvana. Au rayon des choses que l’on aurait aimé voir, mais que l’on a ratées : Girl Scout, quartet suédois éduqué au jazz mais flingué à l’indie des années 1990 et SPRINTS, un autre quartet, irlandais cette fois, dont on parle beaucoup outre-Manche depuis la sortie de leur EP A Modern Job l’année dernière. Du sang, de la chique et du mollard.
Dans un contexte d’inflation carabinée, multipliant de fait les coûts des tournées et donc des cachets (à relire, notre enquête sur le sujet), la tenue en physique cette année d’Eurosonic aidera-t-elle à rassurer un secteur en proie à de nombreux questionnements ? Time will tell, comme dirait Blood Orange.
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