Le Montréalais nous offre « Twin Solitude » en écoute exclusive, un troisième album ultra-sensible, d’une grâce infinie et fruit d’un long pèlerinage. Rencontre.
Le 24 février prochain, le songwriter Leif Vollebekk présentera son troisième album Twin Solitude chez Secret City Records. Un ouvrage qui marque un virage important dans la carrière du Canadien, et comme on le verra, pas seulement sur le plan de la musique. Avec ce disque, on part en voyage avec Leif en Amérique du Nord, mais aussi au plus profond de soi-même. Il suffit de fermer les yeux pour s’imaginer sur la route, dans une lumière rasante de début ou de fin de journée. A l’occasion de son dernier passage à Paris, on a rencontré le songwriter pour évoquer la genèse de ce disque plein d’espoir, à écouter en exclu ci-dessous :
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« Je crois que j’en ai fini avec mes idoles ! » : après 10 ans à observer les diktats de la folk, Leif prend le large…
Né à Ottawa, Leif Vollebekk a étudié la philosophie en Islande, avant de s’installer à Montréal. A 23 ans, il sort son premier disque Inland (2010) suivi de North Americana (2013), des ouvrages mêlant folk et country qui reprennent des codes enseignés par ses aînés et modèles comme Townes Van Zandt, Neil Young et Bob Dylan. Salué par la presse, il enchaîne les concerts en Amérique du Nord et en Europe.
Pourtant, concert après concert, Leif se sent moins à l’aise dans ses propres oeuvres alors qu’il reprend aisément celles des autres. Et étonnamment, le Québécois rend plus souvent hommage à des artistes pop qu’à ses racines country ou folk. Des détours « mainstream » chezles Beatles, Joni Mitchell, Ray Charles, Prince, les Killers…
« Pendant que je terminais la tournée du second album North Americana, j’ai réalisé que j’avais vraiment plus envie de jouer les chansons des autres. Je me retrouvais bien plus dans ces reprises que dans mes propres chansons. En effet, il y a des morceaux qui ont évolué avec moi et que je peux encore jouer en live mais d’autres où je ne me reconnais plus du tout. »
A 30 ans, Leif abandonne ainsi peu à peu son uniforme de chanteur folk, pour éviter de tomber dans un exercice de style, ses précédents ouvrages lui paraissant moins naturels et presque surjoués. Peu à peu, il s’oriente vers des chansons plus pop, un genre plus évident et instantané à ses yeux :
« Je crois que j’en ai fini avec mes idoles ! Un jour tu te réveilles à 30 ans et tu réalises que okay, eux aussi [ses mentors] ont été jeunes. Je n’ai pas besoin de les imiter. […] Au début, je me voyais chanteur folk, et puis je me suis dit, c‘est quand même dommage que je ne puisse pas écrire une chanson comme celles des Killers. J’ai donc pris du temps avant d’écrire des chansons qui me ressemblent plus. »
https://youtu.be/pPfViqCMWNQ
Il lui faudra plusieurs années pour se retrouver, se libérer de ses précédents codes et réflexes stylistiques. Et pendant tout ce temps, Leif continue d’écrire… mais résiste à l’envie de sortir un troisième album dans la lignée des deux premiers :
« J’écrivais beaucoup mais les chansons qui en ressortaient étaient plus de mon vieux style. J’ai dû en écrire une vingtaine comme ça, où je me suis dit : oui je pourrais faire un nouvel album là toute suite, mais je n’en étais pas assez fier. Je n’avais pas envie de les jouer live non plus. Il fallait que je prenne du recul et je me suis dit à l’époque : ça prendra le temps que ça prendra pour les écrire. »
« Pour mon nouvel album, je voulais qu’il y ait la même pesanteur, la même empreinte que Pink Moon de Nick Drake. »
Pendant cette période de remise en question, Leif réécoute fréquemment chez lui l’album Pink Moon de Nick Drake. Il retrouve dans ce disque la philosophie même qu’il cherche à atteindre depuis toujours, celle qui va lui donner le courage d’écrire le sien. Un album sans trop d’ornements, intime et sincère, « relax » même :
« Cet album il est toujours là pour moi. Il donne tout. Il est si calme, et atteint une perfection. J’ai l’impression que Nick Drake s’y est fait plaisir et tu as vraiment l’impression d’entendre son âme sur ce disque.[…] Quand tu enregistres, plus tu mets d’instruments, moins chacun a de place. Or Pink Moon, c’est principalement du guitare voix : la voix est immense et la guitare aussi. Tu peux l’écouter vraiment fort ce disque et ça reste tranquille. Pour mon nouvel album, je voulais qu’il y ait la même pesanteur, la même empreinte que sur Pink Moon. «
Second déclic musical : une reprise live de Bruce Springsteen
Son second déclic musical, Leif l’aura pendant une tournée, où il assure la première partie de Gregory Alan Isakov. Soir après soir, les deux artistes reprennent sur scène Dry Lightning (1995), une chanson de Bruce Springsteen. Et en la revisitant à la fin de chaque concert, leur performance scénique s’améliore certes, mais surtout cette chanson se fraye un chemin tout particulier en Leif : « la chanson elle-même allait plus loin en moi. » A son retour à la maison, il se sent comme libéré et commence à écrire son troisième album :
« Quand je suis revenu de tournée un mois plus tard, j’ai écrit à la guitare une chanson qui s’appelle Vancouver Time, d’une traite. Et puis après cela, tout a changé. Je n’ai plus eu besoin d’essayer. Tout ça m’a permis de recalibrer ma plume, comme un ostéopathe qui remet en places les os. Et dans cet esprit-là, j’ai écrit 15 ou 20 chansons en piano voix dans les mois qui ont suivi et je me suis amélioré. Les chansons étaient comme immédiates et concises. Très simplement, j’avais déjà l’idée de percussions et d’harmonies. Et puis, je suis parti enregistrer, très naturellement. »
Un troisième album en route
Avec la quinzaine de chansons qu’il vient tout juste d’écrire, Leif réalise qu’il vient de passer une étape déterminante dans sa carrière, débutée à seulement 20 ans :
» Avec ce disque, c’est la première fois où je me suis dit qu’il n’y avait pas de limite. C’est juste simple et pas compliqué : je n’essaye pas d’imiter ou de surpasser quelqu’un. »
En effet, même si les chansons de son futur troisième album ne sont alors qu’au stade de l’esquisse (en piano voix), Leif a déjà une idée précise de l’allure que chacune prendra, contrairement aux deux premiers :
« Cette fois-ci, je savais quelle couleur l’album avait besoin d’avoir et je n’avais pas de référence. J’avais vraiment le son en tête et on a passé seulement quelques jours en studio pour le retrouver et le peaufiner, choisir le piano ou la batterie exacte. »
L’enregistrement peut bel et bien commencer pour Vollebekk. Au total, ce sont 10 chansons qui seront mis sur pistes, et pas une de plus. Un album concis où tout est mesuré et rien n’est accessoire :
« Je voulais que mon disque s’écoute du début à la fin. C’est comme un courant, et il n’y a pas de chanson qui vient le briser.
Si tu mets 11 chansons, elles doivent toutes être bonnes. Il y a toujours des albums qui en ont toujours deux ou trois en trop selon moi. »
Alors que son précédent disque, North Americana, est mis en boîte dans plus de 4 studios différents, Leif choisit cette fois-ci un seul et unique lieu : le Breakglass Studio à Montréal. A l’unité de lieu, s’ajoute une unité de temps. Il réserve le studio pour seulement une toute petite semaine, accompagné de son fidèle ingénieur du son, David Smith : « Quand je cherche un son, il m’accompagne vraiment au bout de cette quête ». Gage de sa spontanéité, de cette nouvelle assurance et de l’osmose qui règne dans le studio, Leif enregistre tout en « prise live » (tous les instruments et la voix sont enregistrés en même temps et dans la même pièce) et le plus souvent en une seule prise !
« Les chansons sont assez simples et puis les musiciens bons. Donc l’album était fini en 5 ou 6 jours. Sauf pour Elegy et Into the Ether où on n’avait pas eu le bon groove, donc on est retourné en studio juste moi et Olivier Fairfield. Et puis on l’a refait en quelques prises. »
Grâce à cette connexion entre Leif et ses musiciens, l’enregistrement est d’autant plus facile et évident. Pas besoin pour lui de tout mettre sur papier, ni de passer des heures en studio, comme il nous raconte :
« Miles Davis choisissait ses musiciens de sorte qu’il n’avait pas à leur dicter précisément quoi jouer. Et de la même façon, j’ai choisi mes musiciens car leur manière de jouer me parle vraiment. Avec d’autres personnes, je pourrais paraître perfectionniste, et je leur dirai quoi faire mais pas là. »
Leif s’entoure d’illustres musiciens comme le batteur Philippe Melanson (qui était déjà à ses côtés pour le second album et qui a joué pour Peter Peter et Coeur de Pirate), mais aussi du batteur de Timber Timbre Oliver Fairfield (« j’adore son groupe Last Ex signé chez Constellation Records »). Deux batteurs pour un seul album ? Oui, car Leif mesure avec beaucoup de précision les talents de chacun et a une idée très précise du résultat escompté, sans doute une nouvelle facette de sa personnalité, plus instinctive.
Twin Solitude, un disque nomade mêlant souvenirs de tournée et voyage introspectif
En s’inspirant du titre d’un best seller canadien : Two Solitudes de Hugh McLennan (paru en 1945 et adapté à l’écran en 1978) qui capte le manque de communication entre les canadiens francophones et anglophones, Leif baptise son troisième album Twin Solitude. Pourtant son choix est surtout esthétique et sa signification est toute autre, comme il nous le confie :
« Quand tu écoutes un grand album et qu’il se termine, tu as l’impression de connaître son auteur. Et d’une manière ça te rend moins seul, et tu te reconnaît dans l’autre. C’est ça Twin Solitude pour moi. »
Titre après titre, on découvre un album aérien et épuré dans sa forme, mais dans le fond profondément touchant. A cœur ouvert, Leif nous dévoile ses voyages introspectifs (Road to Venus, East of Eden) et reliquats de tournées (Telluride, Vancouvert Time, All Night Sedans, Michigan).
« Je fais beaucoup de tournées et quand je reviens, les paysages que j’ai vu se mettent dans mon subconscient. Et ils sortent parfois dans mes chansons. Je n’ai jamais été en Telluride par exemple, mais j’ai entendu ce nom lors d’un voyage dans le Colorado, et j’ai trouvé ça beau. Il y a la même racine que le mot ‘tellurique’ non ? »
Mais derrière toutes ses chansons nomades, se cachent sans nul doute de grandes histoires d’amour. Elles sont ainsi le décor de romances dont Leif nous parle ici pudiquement :
« C’est plus facile de mettre des noms de lieux sur les chansons. Une ville donne tellement une ouverture à l’esprit et à l’imagination, c’est comme un lieu fertile pour la musique. Tom Waits a dit dans une interview qu’il aimait que ses chansons aient quelque chose à boire, à manger ou une température, bref qu’on y soit bien. C’est une autre manière pour moi de dire que l’amour ça n’arrive pas dans un milieu fermé. Ça se passe dans un café ou chez toi à deux heures du matin. Et ces repères il faut les nommer. Quand tu dis les choses telles qu’elles se sont passées, ça les rend bien plus vraies. »
Dans l’arrangement monochrome des chansons, lisse et serein, et « ses notes comme en suspension », on reconnait d’ailleurs un tendre hommage au groupe islandais Sigur Ros, et plus particulièrement à son ex pianiste, Kjartan Sveinsson – qui mène depuis une carrière en solo et a signé l’opéra Der Klang Der Offenbarung Des Göttlichen (en 4 actes, 2016). Leif nous avoue en être un grand grand fan.
Enfin si l’album peut paraître céleste et presque sacré par moments, c’est aussi grâce à la présence de cordes, ce doux voile doré qui tend un plafond au dessus du confortable nid dessiné par Leif sur Vancouver Time, Elegy, Into the Ether ou encore le titre Telluride. Pour se faire, Leif a puisé dans des influences bien plus urbaines que ses débuts, en invitant le duo new-yorkais Chargaux :
« A l’époque, j’écoutais beaucoup l’album Good Kid, M.A.A.D City de Kendrick Lamar, et à la fin sur le morceau Bitch don’t Kill My Vibes, il y a une session de cordes, et je me suis dit : ah ça c’est le son que je veux ! Si tu écoutes le morceau, tu peux entendre que c’est improvisé la manière dont elles jouent. Ce ne sont pas des artistes de classique qui sont capables de faire ça ! Je suis donc parti les [duo Chargaux] rencontrer à NYC et on a tout enregistré en une journée en studio. Leurs dons de synesthésie accordés aux miens ont facilité notre communication, c’était comme une évidence… »
Pour découvrir le nouveau Leif Vollebekk sur scène, il faudra attendre le 23 mars au Pop Up du Label, et le Canadien nous confie qu’il privilégiera pour le live des extraits de Twin Solitude :
« Le premier album [écrit à 20 ans] j’ai vraiment de la “misère” à le jouer. C’est peut-être une question de maturité, quand je serai plus vieux, j’arriverai à rejouer mes anciens titres. Je ne sais pas si c’est normal, mais j’ai besoin d’un peu plus de recul. »
En concert le 23 mars au Pop Up du Label (Paris)
Album Twin Solitude chez Secret City Records : sortie officielle le 24 février. Lien de Précommande sur Apple Music.
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